Animaux
Les icônes à quatre pattes qui ont forgé l’imaginaire helvétique

Chaque pays a son animal fétiche. Ou presque: la Suisse fait exception à la règle. Le Musée national de Zurich consacre une exposition à quatre espèces qui pourraient prétendre à ce titre.

Les icônes à quatre pattes qui ont forgé l’imaginaire helvétique

Si vous deviez citer un animal typiquement suisse, auquel penseriez-vous? L’équipe du Musée national suisse de Zurich s’est posé cette question pour mettre sur pied sa dernière exposition. De la marmotte à la vache, en passant par le bouquetin ou l’incontournable saint-bernard, nul ne contestera l’absolue «suissitude» de ces quatre espèces. «Nous avons cherché des animaux qui représentent les diverses facettes de la Suisse, résume Jacqueline Perifanakis, collaboratrice scientifique du Musée national. Des espèces qui ont une forte présence, que ce soit dans la nature ou dans notre histoire.»
Il faut dire que la Suisse fait figure d’exception: contrairement à la plupart de ses voisins, elle n’a jamais canonisé une espèce animale en la faisant accéder au rang d’emblème national. Mais comment choisir un animal fétiche? «Plusieurs raisons culturelles, écologiques ou économiques peuvent expliquer le choix d’un animal symbolique, note la muséographe. L’Australie a adopté le kangourou parce qu’il ne vit que sur ce continent. Le coq français doit son statut à l’étymologie de son nom latin, gallus, qui fait référence à la Gaule antique.» D’autres, enfin, choisissent un animal dont les caractéristiques mettent en lumière une qualité bien précise: «Les figures animales ont un grand potentiel métaphorique, estime Jacqueline Perifanakis. Elles permettent de donner corps à des valeurs sociales.» Le plus prisé, sans surprise, a une crinière et des crocs: incarnant le courage et la force, le lion a été choisi comme emblème national par l’Ethiopie, mais aussi par la Norvège, la Belgique ou la Hollande.

Du chevalier au touriste
Le processus qui voit une espèce accéder au titre de symbole national diffère d’une situation à l’autre. Pour Jacqueline Perifanakis, il trouve souvent sa source à l’époque médiévale: «La nature et les animaux jouaient un rôle central dans la vie quotidienne. Ils se sont donc tout naturellement chargés d’une forte charge symbolique. Au Moyen Âge, ils font leur apparition sur les champs de bataille: le cerf, le loup ou l’ours qui orne le bouclier permet d’identifier le chevalier caché sous son heaume.»
Si les blasons sont d’abord l’apanage des combattants, chaque famille ou corporation s’invente peu à peu des armoiries entre le XIIe et le XIVe siècle. Malgré cette origine médiévale, les espèces généralement associées à la Suisse n’acquièrent vraiment ce statut que quelques siècles plus tard, lorsque le développement du tourisme alpin s’accompagne de la création d’une véritable mythologie helvétique liée à l’univers montagnard. Alors, ces bestiaires symboliques sont-ils de simples constructions médiatiques, ou témoignent-ils d’une véritable conscience patriotique collective? À chacun de trancher. «Ce qui est certain, c’est qu’il y a de nombreux symboles, des héros historiques aux plats traditionnels en passant par les mélodies populaires, qui rassemblent les nations», résume Jacqueline Perifanakis. Nous voilà rassurés: il n’y aura pas besoin d’élire un vainqueur parmi nos quatre animaux. Un consensus tout ce qu’il y a de plus suisse, finalement, non?

+ D’infos Bestialement suisses, jusqu’au 11 mars 2018 au Musée national suisse de Zurich, www.nationalmuseum.ch/f/zuerich

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Illustrations Marcel G.

Quatre stars nationales

Italien bien intégré
Le bouquetin, un animal 100% suisse? Détrompez-vous! S’ils ont perdu leur accent depuis lors, les bouquetins qui peuplent les pierriers helvétiques ont des origines italiennes. En effet, le mammifère est totalement éradiqué au cours du XIXe siècle par des chasseurs convaincus que ses cornes possèdent des vertus médicinales. On ne doit son retour en Suisse qu’à une anecdote rocambolesque: des contrebandiers font passer la frontière à quelques jeunes bouquetins nés dans la réserve de chasse du roi d’Italie et les vendent à prix d’or à deux parcs zoologiques. Il faut dire qu’à cette époque, on n’envisage pas une Suisse sans bouquetin: l’animal figure sur une cinquantaine d’armoiries communales et sur un drapeau cantonal, celui des Grisons. C’est dire l’attachement des Helvètes à ce roi des cimes!


Douteux tonnelet
Oui, le saint-bernard est l’une des plus anciennes races canines suisses. Non, il n’est pas franchement le meilleur des chiens d’avalanche. Mais d’où vient donc cette réputation héroïque que l’on prête à un chien de caractère plutôt pataud? Peut-être de Napoléon qui, dans son récit de la traversée des Alpes, vante les mérites des chiens détenus à l’hospice du Grand Saint-Bernard? Des histoires plus ou moins légendaires de la vie de Barry? Ou des quelques photographies qui mettent en scène un chien muni d’un tonnelet d’eau-de-vie censé redonner conscience aux malheureux randonneurs égarés? Ce qui est certain, c’est que le saint-bernard est vite devenu un produit du marketing: début 1800, les têtes couronnées d’Europe s’arrachent ces chiens, qui deviendront au siècle suivant un élément indispensable du répertoire touristique.


De l’étable au salon
S’il est un animal indissociable du paysage helvétique, c’est bien la vache: au XIIIe siècle, les paysans suisses exportaient déjà des produits laitiers. Et le nombre de vaches détenues par un propriétaire a longtemps été un indicateur de sa situation financière. Parce qu’il est intimement lié à une activité économique importante, l’animal apparaît très tôt dans l’art populaire: c’est le motif de la poya, bien connu en Appenzell, dans le Toggenbourg ou en Gruyère. Taillée dans un morceau de bois, la vache a même sa place dans la chambre des enfants… Un jouet qui, de nos jours, fait plutôt le bonheur des touristes.


Et la marmotte…
Il ne faut pas toujours croire les penseurs de l’Antiquité: dans son ouvrage «Naturalis Historia», Pline l’Ancien raconte avoir observé une marmotte déposer du foin sur le ventre d’une congénère avant de la tirer par la queue jusqu’à son terrier. Pittoresque, non? Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’il fut coutume, sur les alpages, d’apprivoiser ces petits rongeurs auxquels il semble être possible d’apprendre quelques tours. Au XVIIIe siècle, on pouvait ainsi voir des marmottes dressées danser aux côtés des musiciens de rue. Sans oublier que sa viande était volontiers consommée en période de disette. Aujourd’hui, la marmotte est surtout l’un des animaux alpins les plus faciles à observer par les randonneurs.