Reportage
Les hautes tiges reprennent leur place dans le Pays-d’Enhaut

Le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut encourage depuis dix ans la production d’arbres fruitiers à hautes tiges. Un projet paysager dont les paysans sont un maillon essentiel.

Les hautes tiges reprennent leur place dans le Pays-d’Enhaut

Ils sont encore frêles et frissonnent, le pied dans la neige, nus dans ce coin de prairie surplombant la route des Mosses (VD). Le soleil n’a pas encore atteint ce flanc du Pays-d’Enhaut, et on peine à croire que ces huit silhouettes deviendront bientôt autant de fiers arbres fruitiers hautes tiges. Un poirier, un pommier, un cognassier, un cerisier, un pruneautier et un prunier: tous plantés depuis 2016 dans le cadre du projet «Hautes tiges» mené dès 2007 par le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. Ce printemps, un mirabellier viendra les rejoindre. Et redonner à la vallée un peu de son allure d’antan.

Arbres sous garantie
Car autrefois, les arbres fruitiers étaient bien plus nombreux, ici comme partout en Suisse, explique Didier Girard, agronome et jardinier. Cet appauvrissement préoccupant a conduit la direction du Parc à réagir. «C’est l’une des toutes premières initiatives mises en place après sa création. Classée comme projet paysager, elle vise aussi à conserver la biodiversité et a permis d’identifier 138 variétés différentes de hautes tiges sur le territoire du Parc», précise le responsable du projet. En un peu plus de dix ans, 554 hautes tiges ont été plantées dans le cadre d’un contrat conclu entre le Parc et tout propriétaire intéressé (voir l’encadré). Concrètement, ce dernier va payer 160 francs un fruitier garanti et fourni «clés en main», tandis que le Parc en assume l’entretien, en particulier la taille annuelle durant les cinq premières années – une dépense calculée à 250 fr. par arbre. «Les greffons sont prélevés sur des arbres, dont les variétés ont été inventoriées par le Parc, précise Didier Girard. Et pour soutenir la diversité génétique, on a créé un outil de veille et établi une liste de variétés rares pour lesquelles un effort particulier de conservation est requis. Nous avons collaboré avec RétroPommes, dont le Parc est membre. Nos objectifs se recoupent largement et se rejoignent dans la préservation de la biodiversité.»

Un pari sur la durabilité
Ce discours a été de mieux en mieux relayé cette dernière décennie, constate-t-il. De fait, c’est ce qui a convaincu Steeve Daenzer, l’agriculteur des Moulins (VD) qui a planté les huit arbres évoqués ci-dessus: «J’ai repris mon exploitation en 2016 et l’ai réorientée vers le bio, l’extensif et les vaches allaitantes», confirme le jeune professionnel, qui entretient en outre une basse-cour complète ainsi qu’un troupeau de moutons, qu’il voit déjà paître sous les branches de ses arbres fruitiers dans quelques années. «Le projet hautes tiges s’intègre bien dans cette vision: c’est un pari sur la durabilité, pas un calcul commercial.» À deux cents mètres de là, son collègue Joël Mottier, qui élève une vingtaine de robustes angus certifiées bios, a fait le même pari. Lui s’est lancé dès 2010. «J’ai toujours aimé les arbres fruitiers! Nous avons planté cinq arbres et profité de remplacer des variétés peu goûteuses par d’autres, bien meilleures, comme la pomme rose de Berne. C’est un excellent projet, financièrement intéressant, avec des arbres très bien entretenus qui sont entrés en production très rapidement.»
Pour Didier Girard, les agriculteurs sont un maillon essentiel à la réussite du projet. S’il estime leur part à deux tiers des participants, peu d’entre eux ont eu l’audace de replanter des hautes tiges au milieu des champs, là où ils déployaient autrefois leurs silhouettes caractéristiques. «Il y a dix ans, moi-même, j’aurais charogné contre ces arbres qui gênent le passage du tracteur», avoue Steeve Daenzer avec un petit sourire. Les temps changent, à l’évidence. Fort de son succès, le programme hautes tiges sera reconduit, avec le soutien d’un financement extérieur et des objectifs identiques – une cinquantaine d’arbres plantés par an.
En plus des 554 arbres plantés par le Parc, 200 autres environ l’ont été par des particuliers ou des paysans de leur propre chef. La diminution des hautes tiges dans la région n’est pas enrayée pour autant, estime cependant Didier Girard. «Mais l’objectif n’est pas uniquement quantitatif, d’autant que certaines variétés anciennes étaient gustativement peu satisfaisantes et qu’on ignore encore leur usage», observe-t-il. Pour lui, la piste la plus intéressante est sans doute là: «Pour favoriser leur replantation, il faut retrouver ce qu’on en faisait. Par exemple, la midolette, une petite pomme de l’Intyamon, était coupée en quatre et mise à sécher… Le succès de la promotion de ces variétés passe par la mise en valeur de leur utilisation, qu’il s’agisse de jus, de raisinée ou des fruits tombés.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Mathieu Rod

Contrat juteux

Pour voir pousser un bel arbre fruitier à haute tige, l’acquéreur s’engage:

  • à préparer lui-même la plantation;
  • à soigner son arbre pendant cinq ans minimum (arrosage, lutte contre les campagnols, désherbage autour du tronc, apport de fumier ou de compost).
    En contrepartie, le Parc;
  • fournit un arbre correspondant aux souhaits de l’acquéreur;
  • le taille durant cinq ans;
  • procure des fiches d’entretien gratuites;
  • remplace gratuitement l’arbre s’il ne «repart» pas dans ses deux premières années.

Questions à...

Antonin Jaquet, responsable du projet SOS Vergers, Association RétroPomme pour la sauvegarde du patrimoine fruitier de Suisse romande.

Comment se portent les hautes tiges en Suisse romande?
En trente ans, la Suisse a perdu deux tiers de ses vergers traditionnels. Mais la lutte contre leur disparition s’est accentuée cette dernière décennie et divers projets de plantation ont récemment été lancés. Nous avons ainsi mis en place 3500 arbres en dix ans, dont un record de 750 en 2018, et créé 240 nouveaux vergers dans le cadre du programme SOS Vergers. On est d’ailleurs en train de rechercher des fonds pour le reconduire. De plus, les ventes des pépinières explosent, alors que le marché était encore morose il y a dix ans.

Pommes, poires, prunes… quelle est l’espèce qui s’en sort le mieux?
Le pommier, vraisemblablement, mais cela varie selon les régions et les exploitations. En Ajoie (JU), le prunier est encore très présent avec la petite damassine.

Quelle est la part des hautes tiges sur le marché des fruits?
Difficile à dire: seuls les fruits à cidre sont valorisés, et la production des arbres plantés ces dix dernières années n’est pas encore quantifiable. Mais les initiatives visant une production de niche se développent partout, et les nouveaux vergers sont accompagnés de projets de valorisation prometteurs.