Reportage
Les Hagmann élèvent leurs porcs en plein air et en direct sur internet

Un couple d’agriculteurs du Toggenbourg a équipé quelques-uns de ses animaux d’une caméra embarquée, retransmettant des images en live sur le web. Un outil marketing redoutablement efficace.

Les Hagmann élèvent leurs porcs en plein air et en direct sur internet

«Ma vie de cochon». Telle pourrait être le nom d’une série de téléréalité proposée par Leandra et Köbi Hagmann, un couple de jeunes agriculteurs du Neckertal (SG). Depuis un an et demi, ces producteurs laitiers et engraisseurs de porcs ont opté pour la détention en plein air de leur vingtaine de cochons, en commercialisant la viande hors des circuits traditionnels. Et ils le font savoir, en retransmettant en temps réel le quotidien de leurs duroc, équipés d’une petite caméra sur le dos.

Une clientèle de particuliers
Sur le site internet kamerasau.ch, à côté des images live d’un cochon vautré dans la paille ou fouissant avec délice dans les résidus de culture – des séquences en caméra embarquée tressautant ou oscillant paisiblement suivant sa respiration et son humeur – on ne peut rater l’encart en rouge: «Nos paquets sont disponibles pour les grillades, cliquez ici!»

Et ça fonctionne. Le marketing direct est aujourd’hui un des piliers de l’exploitation des Hagmann; congelés par choc thermique, filets, saucisses, lard, côtelettes et viande hachée sont conditionnés en paquets sous vide de 2,5 à 25kg par un boucher voisin; assortis de glace carbonique (sèche) à -70°C, les paquets de viande sont expédiés aux quatre coins du pays – et bien sûr disponibles au libre-service de leur domaine de Adelbach, à 640 m d’altitude. La clientèle: des particuliers gourmets, plutôt que les restaurateurs, peu enclins à valoriser une viande perçue comme moins prestigieuse que le bœuf.

À la ferme, les visiteurs sont bienvenus toute l’année, en tout temps. Panneaux indicateurs, automate ergonomique équipé de toutes les possibilités de paiements, mais aussi – pari audacieux – libre accès à la porcherie aménagée avec soin… et malice: un plancher vitré permet de visualiser la vie des porcs dans leur box paillé. Le parcours extérieur est lui aussi parfaitement accessible, et les protégés des Hagmann s’y ébattent par demi-groupes, retournant à qui mieux mieux les parcelles de 50 ares qui leur sont dévolues en rotation (voir encadré ci-dessous).

Changement de modèle
Voilà un peu plus d’un an que les Hagmann ont revu leur stratégie d’exploitation. «Auparavant, nous étions dans un système traditionnel, avec 300 porcs engraissés par année et vendus à Micarna», précise Köbi, alors que Leandra berce la petite Irina, venue agrandir la famille en janvier. La pression des prix, le calcul permanent pour atteindre la rentabilité et globalement un travail extrêmement astreignant mais peu rémunérateur (en dépit du label IP-Suisse) les ont poussés à changer de vision; surtout, la triste frustration liée à un taux de mortalité très élevé (plus de 13 décès par an) est devenue insupportable pour le jeune paysan. «Il ne se passait pas un mois sans qu’on retrouve un cochon mort. La faute à un mode d’élevage intensif qui pousse les animaux à la productivité!»

Après un test mené sur trois bêtes en novembre 2019, ils ont ainsi entièrement réaménagé leur porcherie. Et de 330 cochons engraissés par année, ils sont passés à une soixantaine. Sans que leur revenu en soit affecté outre mesure. L’aliment, pourtant, est plus cher (voir encadré ci-contre), mais le prix de vente le compense.

Les porcs sont abattus à 120 kg de poids vif, à 15 minutes de la ferme, dans une structure à taille humaine. «La qualité de la viande n’a absolument plus rien à voir, confient les Saint-Gallois. L’absence de stress pendant leur séjour à la ferme et au moment de l’abattage est déterminant, sans compter le fait qu’on la laisse rassir deux semaines.»

Quant au lait de leurs 24 laitières, il emprunte également un circuit court. «La baisse des prix nous a là aussi convaincus de renoncer au maximum à la filière, d’autant que nous avions un peu d’expérience grâce à notre petite laiterie», explique Leandra. Aujourd’hui, à l’exception d’une centaine de litres livrés à la fromagerie de Necker, 90% de leur production sont transformés sur place en yaourts délactosés vendus quasiment en totalité aux collectivités – cantines scolaires et EMS – de la région. Et si le coronavirus a touché ce dernier marché, la couverture médiatique que leur a value Kamerasau – y compris un passage au Deville Late Night Show, le 52 minutes alémanique – s’est révélée efficace. «Et surtout, on a retrouvé la fierté et le plaisir de travailler avec des animaux beaucoup plus vifs et friands de contacts», conclut Köbi.

Claire Muller n

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

Kamerasau, c’est…

  • 24 vaches laitières à 6000 kg de moyenne annuelle, destinés à 20% à la transformation en yaourts fermiers.
  • 21 hectares en zone montagne I, en prairies, seigle, maïs.
  • 20 porcs engraissés  (60 porcs abattus chaque année) avec un accès permanent à un parcours en plein air.
  • 600 g de gain moyen quotidien pour une durée d’élevage de 4 semaines et un poids à l’abattage d’environ120 kg.

+ D’infos www.kamerasau.ch

L’élevage en plein air

«Les porcs s’insèrent dans notre assolement comme une culture intercalaire dans une rotation, entre un maïs et un seigle, explique Köbi Hagmann. En sortie d’hiver, les parcelles sont clôturées de façon que les porcs effectuent un vrai travail du sol: ce sont de véritables charrues, le sol est meuble et propre après leur passage!» En complément, les porcs sont nourris avec un mélange de tournesol et de tourteau de colza; une recette maison ne contenant ni soja ni huile de palme, précise le jeune agriculteur. Chaque kilo de croissance des porcs nécessite désormais 2,9 kg d’aliment, contre 2,5 kg en mode intensif – et l’élevage plus extensif exige un mois d’engraissement de plus. «Mais, si l’on considère les pertes que le modèle intensif entraîne, la différence de coût n’est que de 50 centimes par kilo d’aliment, et le prix de vente de notre viande (ndlr: 36fr./kg) nous permet de nous y retrouver», conclut Köbi.