Viticulture
Les gelées du printemps compliquent le travail des vignerons-encaveurs

Touchés par les gelées catastrophiques du printemps 2017, nombre de vignerons-encaveurs ont rentré des récoltes parfois modestes. La vinification n’en est pas pour autant aisée. Témoignage dans le canton de Genève.

Les gelées du printemps compliquent le travail des vignerons-encaveurs

Drôle d’ambiance au domaine de Chafalet, à Essertines. L’automne est pourtant splendide, les conditions de travail à la vigne idéales. À la cave, les fermentations malolactiques laissent augurer un beau millésime. Mais dans la famille Ramu, le cœur n’y est pas. Alignées devant la cave, les grandes cuves de 4000 litres restent désespérément vides. Et à l’intérieur, il faut se faufiler entre de petites cuves en inox à moitié pleines. La cause de cette organisation chaotique? Les nuits glaciales d’avril et leurs conséquences dévastatrices sur le vignoble helvétique. Dans la région de Dardagny, comme ailleurs en Valais, dans le Vully et en Suisse allemande, les vendanges ont tout simplement été catastrophiques. Sur les 4 hectares de vignes qu’ils exploitent, les Ramu estiment ainsi n’avoir vendangé que 30 à 40% des quantités habituelles. «En pinot noir, cépage le plus représenté sur notre domaine, nous avons des rendements de 160 g/m2. C’est le quart d’une année normale», confie Mathurin Ramu, qui, à 25 ans, effectuait ses sixièmes vendanges à la tête du domaine de Chafalet.

Chapeaux flottants
Conséquence directe de ces vendanges exceptionnellement mauvaises, il a fallu réorganiser la cave de façon à encaver les crus 2017 dans des contenants plus petits. «Le rosé, avec seulement 380 litres contre 1500 habituellement, n’occupe qu’une moitié de cuve.» Mathurin et son père Guy ont donc équipé leurs cuves de chapeaux flottants, qui assurent l’étanchéité du contenu. «Cette technologie nous sauve la mise, mais elle s’avère très contraignante. Il faut aller vérifier quotidiennement que les chambres à air des couvercles sont toutes parfaitement gonflées afin d’éviter de voir partir une cuve en oxydation! Et puis pas question de s’absenter plusieurs jours, c’est beaucoup trop risqué!»
Cette microvinification forcée est le lot de tous les vignerons-encaveurs qui ont subi le gel cette année, observe Christian Guyot, professeur d’œnologie à l’école d’ingénieurs de Changins (VD). Le problème est similaire du côté des encaveurs recourant aux fûts de chêne dans le processus de vinification. «À certaines places, la moitié des barriques vont rester vides pendant toute une année, ce qui est clairement contre-indiqué: le bois va s’abîmer et risque de conférer des tonalités tout à fait indésirables au vin l’an prochain.» Les encaveurs concernés devraient donc dès à présent prévoir un renouvellement de leur parc de barriques. «Sauf que cela constitue un investissement difficilement conciliable avec les mauvais résultats financiers à venir.»
Après avoir tenté de résoudre au mieux l’équation de l’encavage, c’est le déroulé de la vinification à proprement parler qui inquiète désormais Mathurin Ramu. «Le peu qu’on a vendangé, on veut évidemment bien le travailler. Mais ce n’est pas si simple!» Vinifier une petite vendange et gérer la fermentation de faibles volumes s’avèrent en effet plus complexe qu’il n’y paraît. «La cinétique des températures, essentielle lors des fermentations, est différente dans de petits contenants, explique Christian Guyot. Tout va plus vite. Par conséquent, il faut être plus réactif. La moindre porte ouverte peut arrêter une fermentation, faute d’inertie thermique. Ce qui risque de poser des problèmes avec les vins rouges, si on ne parvient pas assez à faire monter leur température.»

Pertes de marchés en vue
Ces petits volumes sont par ailleurs nettement plus fragiles à manipuler: «Lors d’un soutirage, on soumet nos 200 litres à la même quantité d’air que si on en avait 2000, explique Christian Guyot. Le risque d’oxydation est donc nettement plus grand.» En plus d’être particulièrement délicat, l’exercice demande, contrairement à ce qu’on pourrait croire, tout autant de temps. «Ce n’est parce qu’on a moins de vin qu’on a moins de boulot, lance Mathurin Ramu. Qu’on ait 380 litres au lieu de 3500 à transvaser, il faut au final nettoyer pompes et cuves. Même si ça ne fera que très peu de bouteilles au bout du compte!»
D’un point de vue financier, outre le manque à gagner faute de volume, la rentabilité de l’encavage 2017 sera également affectée. «On va passer le même nombre d’heures pour une rentrée d’argent moindre, analyse Christian Guyot. Faute de volume, il n’y aura plus d’économie d’échelle, ce qui peut rapidement déséquilibrer les comptes d’un domaine familial.» C’est d’ailleurs ce genre de calculs qui poussent certains vignerons-encaveurs à renoncer à produire certains vins cette année, les contraignant à modifier leur carte. «Avec seulement 100 kg récoltés, on a décidé de faire une croix sur le savagnin», regrette Mathurin Ramu. Mais proposer un vin en moins à sa clientèle n’est pas sans conséquence. «Face à des clients privés, avec qui on entretient une relation privilégiée, on peut expliquer la situation et proposer un autre produit, poursuit Christian Guyot. Mais face à un restaurateur, qui accorde une place bien précise à chaque vin, c’est nettement plus compliqué.» Au vu de la concurrence importante que se livrent les caves d’une même région, les vignerons-encaveurs déjà touchés par le gel risquent donc de subir une double peine et de perdre certains marchés. «Sans compter les vins étrangers qui occuperont les places vides, notamment dans les grandes surfaces! Regagner ces parts de marché ne sera pas de tout repos ces prochaines années…»

Prendre des risques malgré tout
Face à cette situation, les Ramu font contre mauvaise fortune bon cœur et rebondissent avec les moyens du bord. «À défaut de valoriser le peu de savagnin vendangé, on l’a passerillé sur des claies de paille avec le sauvignon, pour en faire un liquoreux. Il y a une demande pour ce genre de vins!»
Entrepreneurs dans l’âme, Mathurin et son père ne peuvent s’empêcher malgré les difficultés de tester de nouveaux procédés de vinification. «Je sais que ce n’est pas la bonne année pour prendre des risques, mais vu la bonne qualité des raisins récoltés, j’ai décidé de laisser partir une cuve en fermentation spontanée», confie Guy Ramu, qui refuse de baisser les bras: «On va se battre et continuer nos efforts.»

+ d’infos: www.domainedechafalet.ch

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27 avril 2017: D’interminables nuits blanches pour lutter contre les gels noirs
4 mai 2017: Les gelées noires ont décimé sans aucune pitié les vignes valaisannes
26 mai 2017: Après les gels d’avril, comment se prémunir d’une nouvelle catastrophe?

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Thierry Parel

Bon à savoir

On a hâte que l’année 2017 soit derrière nous, peut-on entendre fréquemment de la part de vignerons touchés par les gels. Chez Guy et Mathurin Ramu, du domaine de Chafalet, à Essertines (GE), ce qu’on espère désormais, c’est un bon millésime 2018. Mais encore faut-il que la récolte soit au rendez-vous. Et les vignerons-encaveurs genevois de s’inquiéter: «Ce phénomène de gelées tardives est pour nous du jamais vu. Du coup, nous ignorons dans quelle mesure les gels du printemps 2017 auront un effet sur la vigne un an plus tard. Sera-t-elle moins fructifère? Les vendanges s’en ressentiront-elles?» Sauf cas exceptionnels, les ceps n’ont pas été abîmés par la vague de froid qui s’est abattue fin avril sur le vignoble suisse, rassure Christian Guyot. «Le potentiel de la vendange 2018 s’est construit au cours des mois de juin et juillet 2017, qui ont été magnifiques. La pérennité des vignes n’a donc pas été affectée et le potentiel de rendement est là. Désormais, c’est le climat des prochains mois qui décidera de la récolte 2018.»