Reportage
Les fleurs s’épanouissent sur les douces pentes du Jardin des fées

Elene et Christophe Bonnard ont fait de leur ferme aux Granges-de-Cheyres (FR) une oasis de bien-être. Plus de cent variétés de roses enjolivent les talus qui l’entourent, modelés par les lamas qu’ils élevaient autrefois.

Les fleurs s’épanouissent sur les douces pentes du Jardin des fées

C’est un petit joyau insoupçonné dissimulé dans l’épaisse végétation, au fond d’une impasse. Il paraît que six mois par an, Elene et Christophe Bonnard ont une vue imprenable sur le lac de Neuchâtel en contrebas. Depuis que les feuilles ont fait leur apparition sur les arbres cernant leur parcelle, leur horizon s’est réduit. Il s’est en même temps embelli, les premières fleurs ayant éclos dans leur jardin extraordinaire. Pour les admirer, il suffit de laisser son regard se promener sur les 7000 mètres carrés qu’ils ont aménagés avec soin et beaucoup de goût, des murs de leur maison à la lisière de leur forêt.

L’œuvre de deux vies
Depuis quarante ans, les Bonnard cultivent sans cesse des plantes autour de leur ferme. Le couple s’est installé dans cet écrin en 1982, afin d’y élever leurs quatre enfants ainsi que des moutons et des lamas pour leur laine, en souvenir de leur séjour en Équateur. «Au départ, il y avait quelques arbres fruitiers, dont un cerisier qui doit être presque centenaire aujourd’hui, raconte Elene. Et des prés pour les vaches, c’est pour cela que l’on trouve encore beaucoup d’orties et de renoncules par endroits. On a supprimé les chemins pierre par pierre. Je les ai d’ailleurs rassemblées pour réaliser des murets partout!» Sous le porche, elle a aussi conservé deux rosiers modernes «sans odeur» mis en terre par les habitants précédents, et ajouté un autre récupéré chez sa mère.

Sa progéniture grandissant, elle choisit de ne plus se consacrer uniquement au soin d’un potager vivrier, et en garde toutefois un aménagé en spirale. «Mon jardin est vivant, en constante évolution, explique-t-elle. La nature est tellement puissante qu’il ne faut pas tenter de la canaliser à tout prix! J’aime les jardins anglais, sauvages en apparence seulement.» Ainsi, les plants de monnaie-du-pape se sont disséminés dans diverses plates-bandes et fleurissent même en lisière de forêt, sans que cela la dérange. Les trois géraniums à l’entrée se sont, quant à eux, décuplés tout seuls. Ce profond respect de la biodiversité a été décoré de deux papillons par l’association Pro Natura.

Organisation par couleurs
Lorsqu’une amie lui offre un plant de rose de Damas, c’est le coup de cœur. L’ancienne tisserande à la fibre artistique certaine se plonge dans des livres consacrés aux roses. Quelques années plus tard, le couple s’envole pour l’Angleterre, afin d’y admirer les plus beaux jardins. «En 1999, on en a visité une douzaine, se souvient Elene. Dans celui du château de Sissinghurst, les fleurs étaient plantées par teinte. Des dégradés avaient été réalisés sur des terrains pentus, c’était sublime. J’ai essayé de reproduire cela ici en m’inspirant du livre Couleurs éclatantes de Nori et Sandra Pope.»

En autodidacte, le couple ne cesse d’innover. Il vient de créer une seconde serre pour préserver les semis des aléas de la météo. Un épisode de grêle dévastateur a haché menu leurs protégés il y a quatre ans, ils espèrent être épargnés ces prochains temps. Avec une curiosité jamais assouvie, Elene s’inspire de ses voisins, pratiquant la permaculture, «ce que j’ai toujours fait sans y mettre le nom», reconnaît-elle. Au fond de cet espace, un compost en demi-lune se repose, une idée observée dans un jardin fribourgeois, que le couple a voulu tester. Il ne nourrira les végétaux que dans quelques années, après avoir servi de terreau pour des pommes de terre puis des courges.

Trace des Incas et des lamas
Un mince ruisseau, alimenté par l’une de leurs sources, et un sentier recouvert de pâquerettes nous mènent jusqu’à un étang de 22 mètres de long parsemé de nénuphars, dans lequel les grenouilles rivalisent de vocalises. «Ce sont nos lamas qui ont façonné ces talus, raconte Elene Bonnard. Ils ont réalisé des passages que l’on a conservés.» Un potager inca, en terrasses, donne un côté exotique à leur extérieur

. On y trouve les seules lignes droites du jardin. «Les plantes apprécient plutôt de pousser en suivant des formes, précise Elene. Elles se les approprient.» La lumière, douce le matin, révèle la splendeur des premières fleurs de la saison. Quotidiennement, le couple suit l’évolution des bourgeons.

Les pivoines ont décidé d’éclore le jour de notre venue. À proximité, Rosa primula a pris un peu d’avance. L’arbuste est en fleur depuis Pâques, c’est le premier à franchir le pas. Depuis peu, son voisin Rosa chinensis fait de même, puis ce sera le tour de celui ramené du Kirghizistan par Christophe il y a des années de cela. En tout, plus de 140 rosiers magnifieront le site jusqu’en décembre, rivalisant de beauté avec les iris et autres lilas s’épanouissant sur cette terre argileuse. Ceux-ci se plaisent si bien ici qu’ils se sont transformés en massifs exceptionnels. Il faut faire attention où l’on met les pieds, pour éviter de piétiner leurs drageons.

Ces roses anciennes ont attiré des amateurs de Lyon ou des Grisons, venus les admirer en cars entiers. «On a eu un coup de foudre pour ce lieu. On l’appelle le Jardin des fées, car il y a quelque chose ici, des énergies, une force de la nature rendant la végétation tellement exubérante, conclut Elene Bonnard, qui a évidemment contribué à cette réussite. C’est notre façon de les remercier.»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Pierre-Yves Massot

En chiffres

Ce lieu, c’est:

7000 mètres carrés essentiellement en pente, autour de la ferme, auxquels s’ajoutent 4 hectares de forêt.

140 espèces de rosiers dont une multitude de variétés anciennes prisées par Elene.

Un terrain à 610 mètres d’altitude, au-dessus du lac de Neuchâtel.

Depuis son aménagement en 1982, il n’a cessé d’être modelé.

Les jardiniers

Elene et Christophe Bonnard ont transformé le pourtour de leur ferme en un lieu extraordinaire, disposant de son propre observatoire surélevé et d’une volière. Grande amatrice de jardins anglais, Elene prend soin des plantes en plein air comme sous serre – marchant parfois plus de 10km par jour! – alors que Christophe s’occupe de la construction et de l’entretien des serres et des potagers en hauteur. Il aime particulièrement travailler le bois, que ce soit celui de leur forêt ou celui récupéré en recyclant d’anciens meubles.