Semences bios
Les fils Zollinger poursuivent le travail de sélection et de multiplication

Aux Évouettes (VS), les fils Zollinger ont repris l’entreprise familiale. Ils s’attellent à poursuivre le travail de multiplication des semences bios traditionnelles. Pour répondre aux attentes des jardiniers et sauvegarder la biodiversité.

Les fils Zollinger poursuivent le travail de sélection et de multiplication

Gamins, ce n’est pas quelques pois mangetout qu’ils avaient dans l’assiette, mais bien sept variétés différentes à tester et évaluer. On ignore si les quatre fils Zollinger aimaient les légumes quand ils étaient petits. Aujourd’hui, en tout cas, ils reprennent avec enthousiasme et compétence les rênes de l’entreprise familiale. Pendant plus de trente ans, leurs parents Christine et Robert ont œuvré pour la sauvegarde de la biodiversité des graines potagères locales. Aux Évouettes depuis 1991, ils ont mis en place une filière de culture, récolte, tri et ensachage de semences bios, non hybrides et sans OGM.
En 2016, Tulipan, Tizian et Til ont repris la main. Le cadet, Falc, est encore en formation à l’École d’horticulture de Lullier (GE). «Nos parents sont partis de rien. Dans les années nonante, ils passaient plutôt pour des originaux à cultiver en bio d’anciennes variétés indigènes pour les sauver d’une disparition annoncée. Ils souhaitaient conserver ce patrimoine, sélectionné patiemment par les paysans pour assurer la diversité de nos fruits et légumes. Le temps leur a donné raison», constate Tulipan Zollinger. Avec l’entreprise Sativa, ils ne sont plus que deux semenciers bios de ce type en Suisse.

Succès au potager
Depuis quelques années, l’entreprise ­Zollinger enregistre une croissance à deux chiffres. Il y a une véritable prise de conscience de la nécessité de sauvegarder la biodiversité des espèces cultivées, dont le marché est concentré entre les mains de quelques groupes industriels. La sélection et la création d’hybrides résistants aux maladies et plus productifs n’a pas que des avantages. Elle a réduit de façon draconienne le nombre d’espèces cultivées. Or ce n’est qu’à partir des anciennes variétés, reproductibles, que l’on peut réaliser un travail de sélection afin de les adapter aux conditions climatiques, aux nouvelles maladies, aux ravageurs ou à l’évolution de nos habitudes alimentaires. En trente ans, la clientèle des Zollinger a changé. Hormis des cultivateurs aguerris, elle comprend désormais beaucoup de nouveaux jardiniers très engagés, très motivés mais parfois dénués de connaissances pratiques. «C’était l’un des enjeux de notre arrivée à la tête de l’entreprise, offrir à nos clients plus que des graines: le savoir-faire pour les cultiver, relève Tulipan. Nos parents avaient mis toutes leurs forces dans l’aspect production. À nous de poursuivre en valorisant le travail accompli.»
Depuis qu’elle est aux commandes, la jeune génération a développé les réseaux sociaux, produit des séquences vidéo didactiques, lancé un marché aux plantons et envisage la création d’un espace de vente directe. «Les achats via notre site internet représentent aujourd’hui deux tiers du chiffre d’affaires. Et notre clientèle ne cesse d’augmenter. La Suisse romande représente désormais 40% de notre marché.» Entre janvier et avril, la maison familiale des Évouettes se transforme en «Amazone de la graine», se réjouit avec humour Tulipan Zollinger. À cette période, quelque 300 commandes sont traitées chaque jour. Pour faciliter la logistique, le stockage des 450 variétés en des milliers de paquets va être réorganisé dans un nouveau bâtiment.

Des cultures longue durée
Sur le domaine de 24 hectares, vingt employés fixes travaillent tout au long de l’année. Au semis et à la préparation des plantons succède une intense période de désherbage et d’entretien des cultures. Il faut installer des perches pour les haricots à rame ou couper les feuilles inférieures des laitues pour qu’elles ne pourrissent pas. En effet, la multiplication des semences exige que les plantes restent très longtemps en place. Les planches de légumes offrent donc des visions inédites: des chicorées arborent une belle floraison mauve, les poireaux des inflorescences en pompons et les carottes d’innombrables ombelles crème. Une fois à maturité, elles seront coupées une à une à la main. «On cultive principalement en plein air afin que nos variétés poussent dans les mêmes conditions que chez nos clients. Il faut toutefois composer avec les oiseaux, les ravageurs et les risques d’hybridation», précise Tulipan Zollinger. Élaborer le calendrier et la rotation des cultures tient du casse-tête, les salades restant six mois au champ au lieu de six semaines en maraîchage. Le climat du Chablais offre heureusement des conditions de culture favorables au mûrissement des graines: un été plutôt long, chaud et sec et un hiver relativement clément. La nappe phréatique, présente à 1,5 m de la surface, limite considérablement les besoins en arrosage. En fin d’été vient la période de battage et de récolte des graines. L’automne est consacré au tri et à l’ensachage. L’hiver à l’envoi des commandes et à la préparation des nouvelles cultures. Pour certaines graines comme les haricots, le facteur de multiplication est très bas: une graine semée pour quarante récoltées. Elles sont parmi les plus chères à produire. Avec un rapport d’un pour quatre cents, les tomates sont plus généreuses.
Par chance, les quatre fils ont développé des compétences bienvenues et complémentaires. Tulipan, l’aîné dispose d’un master en génétique et sélection végétale. Ensuite, il n’a pas craint de se frotter aux grandes multinationales que sont Roche et Novartis. À lui le marketing et la communication. Après un apprentissage de maraîcher, Tizian a aussi obtenu un master dans la branche. Il gère désormais toute la production. Til, qui a fait les HEC à Saint-Gall s’occupe de la partie commerciale. Cette séparation nette des responsabilités leur semble profitable. Quant à leurs parents, ils profitent d’une retraite active. Il semble en tous cas qu’ils n’aient pas dégoûté leurs fils des légumes!

+ D’infos Journée portes ouvertes le samedi 8 juillet 2017, de 10 h à 17 h, La Praille, Les Évouettes, www.zollinger.bio

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): Laurent de Senarclens

En Suisse, les semences ont aussi leur banque

Quarante-deux variétés d’aubergines traditionnelles et non hybrides poussent cet été sur le domaine Zollinger. Fin août, elles seront évaluées et dégustées par un panel d’experts de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), d’Agroscope et de divers instituts de recherche. Une dizaine de variétés, les meilleures, intégreront ensuite la Banque de gènes fédérale de l’Agroscope de Changins (VD). L’an dernier, ce sont 50 variétés de mâche qui avaient été testées. Depuis quinze ans, l’entreprise Zollinger travaille en collaboration avec l’OFAG dans le cadre du Plan d’action national pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, le PAN-RPGAA. Derrière cet acronyme un peu rude, c’est la biodiversité agricole qui est en jeu! Le catalogue national des variétés regroupe en effet toutes celles qui forment un matériel de multiplication digne d’intérêt. Les semences des espèces utilisées pour les grandes cultures et fourragères doivent être certifiées avant d’être mises en circulation. Ce qui n’est pas le cas pour les espèces potagères qui peuvent être multipliées et commercialisées librement. Le meilleur moyen de préserver la biodiversité de ces ressources, c’est de les utiliser. Plantez donc d’anciennes variétés d’aubergines ou de mâche!

+ D’infos Sur le site www.zollinger.bio, l’onglet «Lexique des variétés» permet de découvrir la collection de la banque de gènes fédérale. On peut aussi voter pour les variétés que l’on souhaiterait faire revivre pour les planter dans son jardin.