Reportage
Les étonnantes bêtes à cornes d’un Zurichois fan d’héliciculture

Armin Mähler est producteur d’escargots à Elgg (ZH). Une activité accessoire qu’il qualifie lui-même d’agriculture de loisirs, mais que cet éleveur exerce avec passion depuis dix-sept ans.

Les étonnantes bêtes à cornes d’un Zurichois fan d’héliciculture

À Elgg, dans la campagne zurichoise, Armin Mähler ne passe pas inaperçu. Pour son tempérament légèrement excentrique, d’abord. Pour sa ferme peu commune ensuite. Une belle bâtisse plantée en bordure de village que ce presque quinquagénaire a transformée voilà dix-sept ans en véritable royaume des escargots. «C’est mon père qui m’a proposé de lancer cette activité. J’ai trouvé l’idée insolite et accepté de le suivre dans cette aventure», raconte le Zurichois.

Tout ici est une ode à ces drôles de bêtes à cornes. À côté de la grange, l’éleveur tient un petit restaurant, le Schnecken Chalet, dans lequel il propose tous les derniers vendredis du mois ses spécialités maison concoctées à partir de son élevage insolite: escargots au beurre à l’ail, caviar, schnaps, et même une bière locale spécialement brassée par un petit producteur de la région, sans extraits de gastéropodes toutefois, mais frappée du logo de l’exploitation. «Oui, l’escargot est véritablement la mascotte des lieux», lance-t-il dans un rire généreux.

Dix mille gastéropodes
Il nous emmène voir ses protégés, mais prévient: «Tout le monde dort avec cette chaleur. L’été, mes bêtes à cornes sont surtout actives la nuit.» Son élevage est installé en zone agricole, dans des caisses en bois surélevées qu’il a confectionnées lui-même et dont les cadres sont électrifiés afin d’éviter toute évasion fortuite de ses pensionnaires. Armin Mähler soulève une planche sur laquelle sont accrochés une trentaine d’Helix aspersa, également appelés «petits-gris», une espèce originaire du pourtour méditerranéen. L’hiver, l’éleveur doit donc les protéger du froid dans sa grange. Dans un petit enclos juste à côté, il a installé des Helix pomatia, les fameux Bourgogne, très répandus dans les élevages. Ils sont plus gros et adaptés aux climats frais, puisqu’on les trouve à l’état sauvage dans toute l’Europe centrale et du Nord. «Ceux-là vivent dehors toute l’année», explique Armin Mähler. Très prisés de la clientèle, ils sont toutefois plus longs à élever que les petits-gris, puisque trois ans sont nécessaires avant de pouvoir les déguster.

Le Zurichois est actuellement à la tête d’un cheptel de 10000 gastéropodes. C’est plus de deux fois moins que d’habitude, la faute à une saison particulièrement maussade qui a empêché l’éclosion d’une grande partie des œufs. Pour assurer le renouvellement de son cheptel, il a donc dû renoncer à produire son caviar cette année. «J’ai préféré garder la totalité des œufs pour la reproduction.» Celle-ci a lieu de manière naturelle et spontanée. On observe d’ailleurs dans l’une des caisses deux individus enroulés l’un à l’autre. «Les escargots sont hermaphrodites. Ils possèdent les organes reproducteurs mâle et femelle, mais doivent s’accoupler pour échanger des spermatozoïdes et se féconder», rappelle Armin Mähler. Une phase qui peut durer jusqu’à douze heures. La ponte, généralement de 80 à 90 œufs, intervient une dizaine de jours plus tard et leur éclosion environ deux semaines après.

Agriculture de loisirs
L’héliciculteur nourrit quotidiennement ses gastéropodes de carottes, salades, laitues ou concombres. Lorsque le climat est très sec, il doit aussi veiller à les humidifier grâce aux petites buses fixées sur les caisses. «Pour le reste, ils grandissent tout seuls et demandent peu de soins», indique Armin Mähler. Le gros du travail intervient surtout au moment de leur transformation, car l’éleveur fabrique lui-même sur sa ferme l’entier des produits confectionnés à base de ses gastéropodes. Il y a les escargots en bocaux et au beurre à l’ail, prisés des restaurateurs de la région, le caviar et le schnaps, sorte de liqueur composée d’alcool de vieille prune et d’extrait d’escargot. Une recette dont il tient à garder le secret. Sa production, modeste et ne bénéficiant d’aucun paiement direct, ne lui permet toutefois pas de vivre de son élevage. «C’est un revenu accessoire, de l’agriculture de loisir. À côté, je travaille comme gérant immobilier», signale le Zurichois.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il aime dans son métier d’héliciculteur, il répond sans hésiter: «Le calme et la lenteur de ces animaux. Et puis c’est très varié. Je suis à la fois éleveur, jardinier, boucher, restaurateur, vendeur, j’adore ça.» Il fourmille d’ailleurs d’idées pour développer son activité et prévoit, prochainement, de créer un parc à escargots didactique pour y accueillir des écoles de la région.

+ d’infos www.schneckenfarm.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Aurélie Jaquet

Une filière confidentielle en Suisse

Si l’héliciculture demeure chez nous très marginale, avec un peu plus d’une dizaine de producteurs seulement et des élevages de taille modeste, elle représente néanmoins une filière importante dans plusieurs pays d’Europe de l’Est. C’est le cas notamment de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie et de l’Ukraine, qui comptent parmi les principaux exportateurs de gastéropodes à destination du marché de l’ouest de l’Europe. Ceux-ci sont issus d’élevages, mais aussi de cueillettes sauvages. Un marché rendu possible parce que l’appellation «escargots de Bourgogne» n’est pas protégée. En France, l’un des pays parmi les plus gros mangeurs d’escargots du monde, avec environ 40000 tonnes consommées chaque année, plus de 90% de la marchandise proviennent d’importations. L’Hexagone ne recense en effet plus que 400 exploitations d’héliciculture sur son territoire.

En bref

L’élevage d’Elgg:

  • Début de l’activité en 2004 avec son père.
  • 0,7 hectare de surface d’exploitation.
  • Environ 25′000 escargots produits annuellement.
  • 2009: débuts de la vente directe et des soirées dégustation à la ferme.
  • 2012: lancement de son caviar d’escargots.
  • 2013: création de l’élixir d’escargots produit et vendu sur le domaine