Semé avant l’automne, un engrais vert non gélif apporte fraîcheur, résilience et nutriments au sol viticole, sans les inévitables pertes de rendement d’un couvert permanent.

En passe de s’imposer sur le vignoble romand, l’enherbement permanent est simple d’emploi et efficace pour améliorer la portance et la santé des sols, diminuer les maladies et freiner les adventices. Il a pourtant ses limites, observe David Marchand, conseiller en viticulture au FiBL, l’Institut de recherche en agriculture biologique. «Les épisodes de sécheresse estivale, de plus en plus fréquents, ont tendance à favoriser les graminées, qui y résistent le mieux. Or, ces espèces créent alors un tapis de racines très concurrentiel, occasionnant des pertes de rendement importantes. Et si le travail des sols permet de le contenir, il est synonyme de pertes d’azote et d’érosion.»
Le double effet du couvert
Ce constat est à l’origine du concept de couvert temporaire constitué d’espèces non pérennes, sur lequel planche un groupe d’intérêt vaudois, et qui commence à se faire voir dans les parchets romands – parfois de façon spectaculaire: «À son apex, il dépasse souvent la hauteur des vignes», sourit David Marchand. Semé à la fin de l’été ou en automne, un couvert annuel va limiter les pertes d’azote et dynamiser la vie du sol durant l’hiver, en développant des systèmes racinaires qui le colonisent sur différents horizons. Détruit au printemps et laissé sur place, il se mue en paillage épais se dégradant lentement en humus et amenant du carbone et de l’azote dans la terre. «Il va ainsi limiter les pertes de vigueur, sécuriser les rendements et éviter les problèmes qualitatifs, tout en augmentant l’absorption du sol et en diminuant la charge de travail, puisqu’il remplace à la fois l’engrais et l’herbicide», énumère le spécialiste.
Comme toujours en matière de couverts végétaux, la période à laquelle on sème a toute son importance. «Il est essentiel de se caler sur les cycles de minéralisation de l’azote par les plantes, qui connaissent deux pics, l’un au printemps et l’autre en automne. Profiter de ce dernier est intéressant, puisque la vigne, en période de vendange, ne l’exploite justement pas», relève-t-il, précisant en outre que profiter de terrains bien ressuyés sera un atout. «Et la première fois, mieux vaut travailler le sol avant de semer, de même qu’éliminer l’ancien enherbement.»
Bouquet bien garni
Que semer? «La qualité et la variété comptent davantage que les espèces en soi», souligne David Marchand, qui conseille un bouquet constitué de légumineuses pour accélérer la vigueur (trèfle incarnat, vesce pourpre, féverole, pois, notamment), d’une crucifère qui créera de la biomasse et servira de piège aux éléments nutritifs, d’une graminée annuelle comme le seigle et d’une mellifère. «L’idée, c’est de choisir des plantes non gélives précoces, au redémarrage printanier rapide pour éviter de faire concurrence à la vigne.»
Au printemps, le couvert sera détruit – au rouleau plutôt qu’au broyeur, histoire d’obtenir une couche épaisse ne se décomposant pas trop rapidement et ainsi ne libérant pas son azote dans l’atmosphère. Et surtout au bon moment: pas trop tôt pour profiter de plantes vigoureuses et ligneuses… mais pas trop tard non plus, pour éviter de concurrencer une vigne en plein réveil.
Méthode expérimentale
Évidemment, la technique exige une certaine audace de la part du vigneron – l’exubérance du couvert en pleine gloire a de quoi susciter son inquiétude – et surtout d’acquérir le geste auguste du semeur. Traduisez par acquérir des semences, qui ont un certain coût (le mélange développé par le groupe d’intérêt vaudois revient environ à 250 fr. par hectare), et bien sûr disposer d’un matériel spécifique. Qui n’existe pas forcément, du moins pas pour tous les types de parcelles; plusieurs viticulteurs férus de mécanique ont d’ailleurs entrepris d’adapter eux-mêmes leurs outils – y compris de rendre une chenillette compatible avec des semis en terrasse – avec succès.
«De fait, on est encore largement dans l’expérimentation, et on trouve quasiment autant de types de couverts temporaires que de vignerons qui s’y mettent», souligne l’expert (voir encadré ci-contre). Au chapitre des inconvénients à gérer, la présence de gibier caché dans cette petite jungle entre les vignes est fréquemment relevée, de même que le risque de gel, la difficulté de mener des travaux d’ébourgeonnage en se frayant un chemin dans les hautes herbes, la crainte de voir les couverts couchés au rouleau abîmer les jeunes vignes, etc. «Et sur les vignes en réseau écologique dédiées à la promotion de la biodiversité, le couvert est assimilé à un engrais, donc interdit entre les rangs. Mais alterner enherbement et couvert végétal est justement favorable à la biodiversité végétale tout en favorisant celle du sol», conclut David Marchand.
Un couvert gélif et atypique
Sur une jeune vigne de Denens (VD), Jérémie Rossier a semé au début du mois d’août un couvert temporaire dont la cime est en passe de dépasser les piquets entre lesquels il pousse. «Il a profité de bonnes conditions au semis! Je le fais depuis trois ans. La première année de la vigne, j’en sème partout; ensuite, j’engazonne une ligne sur deux», explique le chef de culture du Domaine de Valmont. Son couvert est plutôt atypique, puisqu’il est constitué de niger et de phacélie, un mélange gélif conçu pour les grandes cultures, «plus conciliable avec le désherbage mécanique sous le rang». «Et je préfère broyer mon couvert avant l’hiver, pour éviter tout dommage aux barbues et toute concurrence au printemps. J’en laisserai peut-être deux lignes, pour voir ce que ça donne.» Le vigneron apprécie la fonction de structuration du sol du couvert et sa capacité de délivrer de l’azote au sol. «Mais déterminer le bénéfice exact pour une parcelle en fonction d’un résultat sur la vendange reste difficile», estime-t-il.
Recherche à ciel ouvert
Mené par le FiBL, Agroscope et l’HEPIA et soutenu par BioSuisse ainsi que les cantons de Vaud et du Valais, le projet CV-VigneSol est un programme sur cinq ans visant à mettre au point des itinéraires innovants en matière de couverture végétale totale des sols viticoles, pour en diminuer le travail au maximum et trouver des solutions pour les parcelles difficiles (pente, terrasses). Dès 2021, une batterie de tests sera menée durant deux ans chez une trentaine de vignerons engagés dans la démarche, puis auprès d’une dizaine dès la 3e année. En parallèle, deux techniques seront comparées sur une parcelle de Changins.