Reportage outre-Sarine
Les cochons sur gazon, prochaine évolution de la filière porcine?

La première porcherie labellisée Porc de prairie a ouvert à Schüpfheim (LU).Plus de 300 porcs y sont engraissés entre litière paillée, pataugeoire, aire de fouissage et pâturage.

Les cochons sur gazon, prochaine évolution de la filière porcine?

Jouer, fouisser, courir, se reposer, barboter et manger: tels sont les besoins fondamentaux du cochon domestique. À Schüpfheim (LU), on a pris ces préceptes au pied de la lettre pour construire un bâtiment unique en Suisse. Depuis l’automne dernier sur leur domaine de Brügghof, les agriculteurs Franz Studer et Joseph Schmid engraisse, en parallèle à un atelier de naissage traditionnel, 350 porcs répartis en dix groupes. Le quotidien des animaux y est rythmé par des sorties régulières dans une aire de fouissage ainsi qu’en plein air, dans un pré attenant.
Dès 9 h du matin, des bips retentissent à intervalle régulier autour de la halle cernée de filets pare-soleil. Les porcs qui s’ébattent dans le pré lèvent alors la tête, et après avoir émis quelques grognements, rentrent ventre à terre dans le box où les attend leur ration matinale. Debout devant les auges, Franz Studer observe la scène. «Il nous a fallu trois jours pour dresser les animaux. Les cochons sont plus intelligents qu’il n’y paraît et comprennent très vite.» Les tonalités, différentes pour chaque lots, permettent de conditionner les cochons, un aspect essentiel pour le bon fonctionnement du concept.

De l’herbe et de la sciure de bois
Dans la halle, chaque groupe d’animaux dispose d’une aire paillée conçue selon les exigences du label Coop Natura Farm. Deux aires de fouissage de 150 m2 chacune sont à la disposition à plusieurs reprises dans la journée. Les porcs plongent à loisir leurs groins dans une épaisse couche de sciure de bois. «On ne l’a pas changé depuis septembre, précise l’agriculteur lucernois. Les porcs font leurs déjections dans des endroits spécialement dévolus à cela.» Dès que les températures montent, les animaux vont barboter dans une pataugeoire où l’eau est sans cesse renouvelée. Franz Studer ne boude pas son plaisir à travailler dans de telles conditions. «C’est quand même plus agréable de voir ses animaux gambader à l’air libre que maintenus enfermés.» Ses motivations sont également commerciales. «Dans un marché du porc exsangue, toutes les solutions permettant de se démarquer sont bonnes à prendre. En outre, le porc de prairie est bien plus compatible avec les attentes actuelles des consommateurs.»
À l’extérieur, le pré de 1000 m2 où gambadent à tour de rôle les 350 porcs, reste étonnamment en bon état. «Pour s’en assurer, on apporte la ration à base de maïs dans un emplacement recouvert de copeaux de bois. De plus, on ne laisse pas les cochons au pâturage plus d’une heure.» Là encore, c’est un signal qui annonce l’arrivée prochaine de la ration via un tuyau depuis le bâtiment. «Les porcs bénéficient ainsi d’une grande liberté de mouvement sur une surface relativement restreinte. Ce système est donc tout à fait reproductible chez d’autres producteurs de porcs», affirme Oliver Hess, concepteur du système «Wiesenschwein/Porc de prairie».

Big brother à la porcherie
En outre, le concept ne demande guère plus d’heures de travail qu’une garde traditionnelle. «Ceux qui pensent qu’ils devront ouvrir et fermer des barrières à longueur de journée se trompent», poursuit Oliver Hess, également à l’origine d’un logiciel de gestion de troupeau. Les ouvertures et fermetures de portes, la distribution des repas, ainsi que les signaux sonores sont entièrement automatisés. «Chaque porc, marqué à l’oreille d’une puce RFID, est reconnu à l’entrée de la halle. Des algorithmes de reconnaissance par vidéo sécurisent par ailleurs le système.»
Si le modèle d’élevage semble s’avérer concluant d’un point de vue technique, il lui reste à faire ses preuves en termes commerciaux. Franz Studer, qui a investi 600 francs de plus par place d’engraissement, touche depuis peu 5 fr. 70 par kilo de porc commercialisé. De quoi amortir selon lui le nouveau bâtiment en six ans. Quant à Oliver Hess, il ne cache pas ses ambitions: «Si les consommateurs jouent le jeu, les porcs de prairie occuperont 2 à 5% du marché d’ici dix ans.»

+ d’infos www.wiesenschwein.ch

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

Brügghof, c’est:

  • Une communauté d’exploitations comptant 56 hectares de SAU, entièrement en herbages.
  • 75 vaches laitières produisant chaque année 600 000 kg de lait destiné à la transformation en emmental AOP et sbrinz AOP.
  • 90 truies mères donnant le jour à 2700 porcelets chaque année.
  • 350 places d’engraissement.
  • 1200 porcs commercialisés chaque année.

Bon à savoir

Le système «Wiesenschwein – Porc de prairie» ne laisse pas le Service vaudois de l’agricul-ture indifférent. «En proposant notamment une aire où les porcs peuvent se bauger et fouisser, ce concept va plus loin que les programmes SST/SRPA, le tout sur une surface réduite», confirme son directeur, Frédéric Brand, qui suit de près l’évolution du projet.
«Une telle exploitation serait tout à fait concevable dans le canton de Vaud, confirme le vétérinaire cantonal Giovanni Pedutto, tant en termes de biosécurité (PPA) ou de coûts.» Oliver Hess, créateur de la société Wiesenschwein AG qui planifie et conseille les engraisseurs de porc dans la construction de nouvelles halles, travaille actuellement avec plusieurs partenaires commerciaux, à savoir une poignée de magasins Coop, la filiale Fooby de Lausanne, Traitafina, ainsi que la chaîne Biosphäre Markt. Il n’y a cependant pas de contrat d’exclusivité. «Ce qui donne une plus grande marge de manœuvre aux producteurs», apprécie Frédéric Brand, qui précise encore que le concept bauge/aire de fouissage/prairie forestière est déjà pratiqué au Japon depuis plusieurs années.