Du côté alémanique
Les chèvres cachemires ont pris leurs quartiers d’été en Haut-Valais

Seuls quelques rares amateurs élèvent ces caprins réputés pour la finesse de leur laine. L’un des plus grands troupeaux de Suisse alpe dans le Nanztal. Découverte.

Les chèvres cachemires ont pris leurs quartiers d’été en Haut-Valais

Difficile d’imaginer un lieu plus propice à accueillir un troupeau de chèvres cachemires: le Nanztal, vallée sauvage située à deux pas du col du Simplon, évoque l’Asie centrale, terre d’origine de ces caprins. Voilà six ans que Michael Leiggener y a repris en consortage un alpage qui tombait en désuétude. Trop abrupt pour des vaches, trop petit pour une production intensive, des étables au bord de la ruine: il a fallu du courage et un brin d’inconscience pour tenter l’aventure. Le choix de la chèvre cachemire s’est d’emblée imposé. «Je cherchais une race à plusieurs fins, qui n’ait pas été sélectionnée à outrance et soit rustique.»

Ce qui n’était au début qu’un simple hobby pour ce charpentier également au bénéfice d’une formation agricole s’est transformé en vocation professionnelle, le troupeau s’agrandissant au fil des ans pour devenir l’un des plus importants du pays. Acquis auprès d’un Saint-Gallois pionnier dans cet élevage, les premiers sujets ont été rejoints par d’autres chèvres achetées en France, en Allemagne, en Autriche et en Italie, afin de se prémunir de la consanguinité. Le cheptel suisse est en effet très limité. En parallèle, le Valaisan n’a pas ménagé ses efforts pour réhabiliter peu à peu les bâtiments et les pâtures de son alpage.

 

Laine et fromage

Contrairement à la laine de mouton, qu’on récolte en moins de trois minutes en tondant l’animal, le cachemire exige un travail plus fastidieux. Michael Leiggener peigne une à une ses chèvres pour recueillir les précieuses fibres, à raison d’une demi-heure par bête. Trouver le moment idéal demande un peu de doigté: trop tôt, il est difficile de prélever la laine, trop tard, celle-ci se feutre. À noter que la chèvre cachemire n’est pas nommée comme telle à cause de caractéristiques morphologiques: seule compte la finesse de son sous-poil, qui ne doit pas dépasser 18,5 micron, pour une longueur de 3 à 6 cm. Celui-ci peut être de différentes couleurs, mais le Valaisan a opté pour des animaux qui produisent du cachemire blanc, afin que les acheteurs puissent la teinter selon leurs préférences. «J’envoie la laine brute dans une filature en Suisse allemande qui travaille à façon et me la retourne sous forme de pelotes.»

Économiquement, il est cependant difficile de vivre uniquement de la vente du cachemire, un produit de niche qui séduit uniquement une rare clientèle de connaisseurs. Michael Leiggener s’est donc lancé en parallèle dans la production laitière, fabriquant un fromage mi-dur qu’il affine au cours de l’été. Les premières tommes de la saison reposent sur les rayons en bois de la cave. «Je croise chaque année une partie de mes chèvres cachemires avec un bouc de race alpine chamoisée, afin d’augmenter la production laitière.» Soucieux de valoriser l’ensemble des produits de ses animaux, l’éleveur propose également des peaux entières de chèvre tannées. « Elles sont très demandées comme article de décoration, notamment par des hôtels comme à Zermatt.»

Des chevreaux en altitude

Michael Leiggener souhaite que ses chèvres vivent une existence la plus naturelle possible. Il laisse donc ses chevreaux nouveau-nés pendant deux mois avec leur mère, puis à nouveau en fin d’estivage après la fabrication du fromage. Dans l’intervalle, ceux-ci sont réunis dans un pâturage qu’il nomme «le jardin d’enfants», sous la bonne garde de quelques chèvres adultes. Une rivière offre une barrière acoustique facilitant la séparation avec les mères, celles-ci ne répondant pas aux appels de leurs cabris les premiers jours. «Je ne connais aucun autre éleveur qui monte les chevreaux à l’alpage, par manque de rentabilité, note l’éleveur.

Mais trouver un équilibre entre la production et le respect de l’animal est au centre de mes préoccupations. Voir mes bêtes ainsi épanouies représente une grande satisfaction.» Une dizaine de chevreaux seront gardés pour renouveler le cheptel, le reste est destiné à la boucherie. «Il est plus difficile de commercialiser la viande que le fromage, à cause des habitudes des consommateurs, admet Michael Leiggener. Mais j’ai toujours pu vendre ma production, que cela soit des cabris entiers, notamment à des personnes originaires des Balkans, ou sous formes de produits transformés, comme des saucisses.»

Mi-octobre, après avoir gambadé tout l’été sur les pentes escarpées du Nanztal, le troupeau rejoindra à pied ses quartiers d’hiver, situés près de Brigue. «Personne ne s’intéressait à cet alpage. En quelques années à peine, les arbres auraient pris le dessus sur les pâturages. Participer à maintenir vivant un lieu dont ont pris soin des générations de paysans est important à mes yeux.»

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Véronique Curchod

L'exploitation en bref

2 lieux: le village de Glis en hiver, la vallée
de Nanz en été.

200 chèvres adultes, dont deux tiers sont des cachemires.

10 kilos de laine brute récoltée par an.

40 francs, la pelote de 100 g.

70 chèvres traites, pendant deux mois, à raison de 1 l produit par jour et par animal.

200 kg de fromage mi-dur fabriqués annuellement.

+ d’infos www.nanztal-kaschmir.ch

Un élevage confidentiel en Suisse

Ces chèvres sont originaires des plateaux d’Asie centrale, où elles sont aujourd’hui encore les plus répandues, bien qu’on les trouve désormais sur tous les continents. L’association Alpine Cashmere a été fondée en 2009, afin d’encourager l’élevage de cette chèvre en Suisse. Elle réunit actuellement une dizaine d’éleveurs, principalement amateurs. La marque «Alpine Cashmere» a été créée pour aider à la production et la commercialisation de produits régionaux issus de ce type de caprin. Les éleveurs ont notamment la possibilité de grouper les envois de laine pour la transformation dans une filature. À noter que le terme de chèvre cachemire ne décrit pas une race spécifique, mais un phénotype caractérisé par un sous-poil long et fin. La production annuelle moyenne par chèvre est de 150 g de laine.