Reportage
Les cerfs entonnent leur sérénade non loin de l’autoroute

Depuis la mi-septembre, les cerfs ont investi les bois de Versoix (GE) pour la période du rut. Ces majestueux animaux rivalisent à coup de vocalises pour séduire les biches, ce qui n’est pas sans risque pour les automobilistes.

Les cerfs entonnent leur sérénade non loin de l’autoroute

La nuit tombe, la lune n’est pas encore apparue. Nous partons, jumelles en bandoulière, à la recherche des cerfs, en pleine période du brame. Bien habillés, bien équipés, nous nous enfonçons dans la forêt, curieux d’assister à cette parade qui a lieu tous les ans à la même période lors de la saison des amours. Mais cette fois, nous n’allons pas à la conquête des sommets ou au fin fond d’une vallée préservée pour assister à ce spectacle: l’inspecteur de la faune genevois Gottlieb Dandliker nous a donné rendez-vous au stand de tir de Versoix. Joli clin d’œil en pleine période de chasse.
C’est dans ce cadre on ne peut moins romantique que des dizaines de cerfs et leurs biches se retrouvent chaque automne depuis les années 1970. Ces majestueux animaux, exterminés de notre pays il y a deux siècles, sont peu à peu revenus dans les bois de la région. «Les bêtes que l’on voit ici sont originaires du Pays de Gex, où des cerfs de la réserve naturelle de Chambord (F) ont été réintroduits il y a plus de quarante ans, explique l’inspecteur de la faune à voix basse alors que nous empruntons un sentier traversant la forêt. Ils descendent du massif du Jura en traversant le canton de Vaud.» Tous ont choisi de se reproduire dans les bois de Sauverny, le long d’une route rectiligne très fréquentée reliant la France.

La folie des hormones
Les voitures filent ici à vive allure, les automobilistes n’ayant aucune idée du rituel se déroulant à quelques mètres seulement d’eux, dans la pénombre. Ce brouhaha de moteurs, auquel s’ajoute le vrombissement des avions décollant de Cointrin, ne semble pas gêner les cerfs. Rien ne les perturbe ni ne les détourne de leur objectif. Excités, débordants d’hormones, ils sont obnubilés par leur envie de se reproduire. Ce qui n’est pas sans risque pour les centaines d’automobilistes circulant jour et nuit sur la route de Sauverny, à travers les bois de Versoix. «Quand un mâle perd son combat, il lui arrive de fuir sans regarder autour de lui, signale Gottlieb Dandliker. Normalement, les cerfs sont prudents avant de traverser les routes, mais dans ces moments-là tout peut arriver.»
Pour éviter les collisions avec les véhicules qui peuvent encore survenir – malgré les dispositifs sonores et les catadioptres mis en place il y a déjà plusieurs années – le canton de Genève a pris cette année une mesure inédite: réduire la vitesse à cet endroit de 80 à 60 km/h, du 17 septembre au 30 novembre. Des panneaux officiels et d’autres spécialement conçus pour la grande faune ainsi que des radars indiquant la vitesse ont été mis en place. Ce tronçon de 3,1 kilomètres est constellé de signaux durant trois mois afin de garantir aussi bien la sécurité des conducteurs que celle des animaux. Le canton a aussi informé les riverains de leur présence dans la région, afin de réduire l’effet de surprise sur la route. «Un cerf qui surgit à 35 mètres de nous, alors qu’on roule à 80 km/h, sera percuté avec une énergie équivalant à une chute de cinq étages, malgré le freinage d’urgence, souligne Gottlieb Dandliker. Cet animal est de la taille d’un cheval! Or si on roule à 60 km/h, on arrive à s’arrêter avant l’impact.»

Des joutes qui durent des jours
La mesure paraît proportionnée, alors même que de nombreux habitants de la région ignorent la présence de ces grands mammifères, pourtant pas très discrets. Une fois la nuit tombée, les cerfs se livrent à un drôle de manège au milieu d’un champ. Leur voix grave porte à des kilomètres. Il leur faut bien ça pour prendre l’ascendant sur leurs rivaux, venus séduire les biches prêtes à se reproduire. À gauche, à droite, devant et derrière nous: ce soir-là, les cerfs nous cernent de leurs brames, le spectacle est impressionnant. La scène à laquelle nous assistons a lieu à 150 mètres à peine du parking de l’Observatoire astronomique de l’Université de Genève, où quelques scientifiques travaillent encore. Leur parade, captivante, s’intensifie par instants. On les admire grâce un amplificateur de lumière rendant la nuit vert fluo, comme dans un film: trois mâles se disputent les faveurs de cinq ou six biches, à deux pas d’un verger. Leurs échanges peuvent durer jusqu’à l’aube, parfois pendant plus de deux semaines. «En 2016, nous avons pu reconnaître vingt-trois mâles différents, reléve Gottlieb Dandliker. Mais seuls six d’entre eux, les plus forts, se déplaçaient avec un harem de plusieurs biches et bichettes.» Les prétendants moins chanceux reprennent souvent leur errance rapidement, à la recherche d’une autre place de brame et surtout d’une biche esseulée. Faute de prédateur naturel – les cerfs n’étant réellement menacés que par les ours et les loups –, ils se multiplient dans le pays, où ils font partie du ­patrimoine naturel.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Guillaume Mégevand/DR

percutés par centaines chaque année

Des milliers d’animaux sont tués chaque année lors de collisions avec des véhicules sur les routes suisses. L’Association des assurances suisses dénombrait près 20 000 collisions en 2011, estimant que les dégâts se chiffreraient alors à près de 25 millions de francs. Si les renards et les chevreuils sont particulièrement touchés, les autres mammifères ne sont pas en reste. Selon les statistiques de la chasse, 353 cerfs rouges ont ainsi perdu la vie en 2016, contre 447 en 2014. Les chevreuils, certes plus nombreux dans les forêts helvétiques, paient un plus lourd tribut encore: 8379 d’entre eux n’ont pas survécu après avoir été heurtés par une voiture en 2016. Si les cerfs venant se reproduire dans le vallon de Réchy (VS), dans le val d’Anniviers, ont une paix royale, n’étant dérangés que par des randonneurs arpentant les sentiers pédestres, ce n’est pas le cas de ceux restant en plaine, notamment à Versoix. L’initiative genevoise de réduire la vitesse pendant trois mois, une première dans ce canton, reste cependant encore isolée.
+ D’infos www.uzh.ch

En chiffres

Le brame du cerf à Versoix, c’est:
Une vingtaine de cerfs sont dénombrés chaque automne depuis 2016 à Versoix et autant de biches.
Jusqu’à 13 biches, bichettes et faons peuvent former le harem d’un grand mâle.
Un cerf peut rester plus de trente jours sur place, dans ce secteur de plus de 3 kilomètres carrés, s’il a du succès.
Deux à cinq collisions avec un véhicule étaient relevées sur ce tronçon ces dernières années. Il n’y en a eu aucune en 2017, suite aux mesures prises pour ralentir le trafic.
De 18 h à 9 h, le risque d’accident est accru.