Point fort
Les buvettes d’alpage se préparent à une saison pleine d’inconnues

Les terrasses ouvrent, offrant une bouffée d’oxygène à une branche de la restauration en mauvaise posture. Au-dessus de 1000 mètres, toutefois, on accueille cet allègement des restrictions avec circonspection.

Les buvettes d’alpage se préparent à une saison pleine d’inconnues

Les pieds de parasol sont alignés dans l’herbe, la terrasse est dépourvue de tables et de chaises. Devant la buvette des Croisettes, sur les hauteurs de L’Abbaye (VD), difficile d’imaginer que l’ouverture est prévue pour la semaine prochaine. Et pour cause: «Si nous n’avons pas l’autorisation d’avoir des clients à l’intérieur, nous n’ouvrirons pas.» Pour Louis-François Berney (photo), qui exploite depuis vingt ans avec son épouse Roselyne ce qui est l’une des buvettes d’alpage les plus courues de Suisse romande, la saison qui s’annonce ne ressemblera certainement à aucune autre. La faute à une pandémie qui frappe de plein fouet le monde de la restauration, et à laquelle l’offre saisonnière en montagne n’échappe pas. La situation n’est pas totalement nouvelle: l’année dernière a déjà mis les nerfs des tenanciers à rude épreuve. «On a improvisé au jour le jour, se souvient Louis-François Berney. On a ouvert quand c’était possible, fermé quand il fallait fermer. Notre angoisse, c’était qu’on nous annonce un «cas-contact»: imaginez le manque à gagner si on vous force à boucler pour dix jours en plein mois de juillet. Cela aurait été une catastrophe.»

2020, l’épreuve du feu
Flexibles, les patronnes et patrons de buvettes ont traversé 2020 sans trop de dommage, mais avec un moral en berne. «Ç’a été extrêmement stressant, confirme Sarah de Siebenthal, aux fourneaux du Refuge de Taveyanne (VD). Se tenir au courant de la situation, gérer les stocks pour éviter de commander trop de marchandise, s’occuper de clients pas toujours informés… On a fini la saison vannés!» Ces mois de tâtonnement ont certes permis aux établissements de montagne d’apprivoiser les directives fédérales ainsi que les mesures de distanciation sociale et d’expérimenter une foule de solutions de protection, des panneaux de plexiglas aux rideaux en plastique en passant par l’inéluctable réduction du nombre de couverts.​ Mais tout n’est pas réglé pour autant pour la saison qui s’ouvre.

Il faut dire qu’en altitude, les règles les plus simples peuvent s’avérer problématiques. Le meilleur exemple est sans doute celui de l’application d’enregistrement des clients SocialScan: bon nombre d’établissements sont inquiets face à la faible couverture du réseau de téléphonie en montagne: il risque de compliquer le transfert des données. «La seule solution est de prendre les coordonnées de tous les clients avant de les entrer manuellement dans le système en fin de journée, se résigne Christophe Lambercy, patron du Chalet de la Thiolle (VD). C’est un travail titanesque!»

La météo, nerf de la guerre
Mais la préoccupation première des tenanciers vient du fait qu’ils n’ont l’autorisation d’ouvrir que leurs terrasses comme les restaurants de plaine: «Cette mesure nous rend totalement dépendants de la météo, très changeante en altitude, explique Christophe Lambercy. Je ne me vois pas dire à mes clients d’aller finir leur fondue dans la voiture si la pluie se met à tomber!» Si la Thiolle ouvrira tout de même le 6 mai prochain et Taveyanne début juin, la terrasse des Croisettes, elle, restera fermée tant que les autorités n’élargiront pas les conditions d’exploitation aux espaces intérieurs, garantissant aux visiteurs une place à l’abri et permettant d’assurer le service du soir. «Sans cela, ce n’est pas suffisamment rentable pour ouvrir», se désole Louis-François Berney.

L’autre question sensible est celle de la planification du personnel: comment estimer le nombre d’employés à engager sans savoir dans quelles conditions ils pourront travailler ni pour combien de temps? Il y a autant de réponses que de buvettes, tant les conditions varient d’un bout à l’autre de la Romandie: le risque financier n’est pas le même selon qu’on embauche des étudiants de la région en pause estivale ou qu’on fasse appel à des professionnels de la restauration, souvent venus de l’étranger. Dans l’expectative, tous les établissements s’efforcent de réduire la voilure afin de limiter le risque de perte financière. Car, pour les autres postes, les frais vont plutôt en
augmentant: commande de matière première en plus petites quantités que d’habitude, mise en place de mesures de protection, création éventuelle d’une offre alternative comme des paniers de pique-nique à emporter, s’adapter n’est pas gratuit.

Pas là pour jouer aux gendarmes
Pour les gérants de buvettes et de refuges de montagne, la pression est donc énorme: si leur organisation est considérée comme non conforme, ils encourent une amende qui peut grimper jusqu’à 10000 francs. De quoi les pousser à jouer les policiers pour faire respecter les prescriptions. Ce contrôle de leur clientèle est d’ailleurs loin de les ravir: «Si on a choisi cette profession, c’est parce qu’on aime accueillir et cuisiner. Nous ne sommes pas des gendarmes. Je tiens le coup parce que cela fait vingt ans que je suis aux commandes du Refuge de Taveyanne. Si j’avais commencé seulement il y a deux ou trois saisons, j’aurais jeté l’éponge, avoue Sarah de Siebenthal. Ce n’est pas tant une question d’argent qu’un sentiment d’essoufflement. Je ne continuerai pas longtemps comme cela.»

À l’heure de mettre le couvert pour une saison dont les contours se révèlent encore bien flous, un rayon de soleil perce tout de même entre les nuages: l’an dernier, une nouvelle clientèle est venue découvrir la riche offre en buvettes d’alpage de notre pays. Il ne reste à leur tenancier qu’à espérer que les Suisses retrouveront le chemin des hauteurs.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

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