Reportage
Les buvettes d’alpage ouvrent au compte-gouttes, dans l’incertitude

Réaménager son établissement pour accueillir de rares clients, est-ce que cela vaut le coup? Cette question taraude les tenanciers de buvettes d’alpage, du Jura vaudois aux Préalpes fribourgeoises, à l’heure du déconfinement.

Les buvettes d’alpage ouvrent au compte-gouttes, dans l’incertitude

En plaine, les cafés et les restaurants ont accueilli leurs premiers clients ce lundi, les effluves de café se mêlant à ceux des produits désinfectants. Sur les alpages aussi, les patrons s’affairent pour ouvrir leur buvette dans les temps, en suivant scrupuleusement les recommandations de GastroSuisse. Au chalet de la Thiolle, au-dessus de Lignerolle (VD), Christophe Lambercy était prêt à recevoir ses premiers clients ce 11 mai. Pendant des jours, il a entièrement réaménagé son établissement dans ce but, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur «On a accroché des séparations en plastique transparent entre les tables. Ces rideaux permettent de délimiter l’espace sans devoir déplacer notre lourd mobilier. La terrasse a été divisée en deux, pour espacer un maximum les tables.» Depuis l’annonce de la réouverture de la Thiolle, le téléphone ne cesse de sonner, les réservations s’enchaînent. Elles sont désormais obligatoires et le service a été doublé le soir. «S’adapter au Covid-19 est un défi, détaille Christophe Lambercy. Il y a sept pages de directives à suivre, on s’y plie page après page.» Il faut en effet souvent faire preuve d’imagination pour trouver une solution pour mettre aux normes des buvettes, d’alpage plus atypiques les unes que les autres.

Contraintes de charme
On y entre souvent par la cuisine, en pliant l’échine tant le plafond est bas. Les habitués s’assoient à la «stammtisch»,  la table qui leur est réservée près des fourneaux. Ce qui faisait auparavant le charme de ces buvette est devenu aujourd’hui un casse-tête. «L’exiguïté des chalets génère de grandes contraintes, confirme Olivier Rochat, secrétaire de la Société vaudoise d’économie alpestre. Comment arrivera-t-on à limiter l’utilisation des locaux? Là-haut, l’organisation est encore plus compliquée qu’en plaine.» Ils sont pourtant nombreux à avoir ouvert cette semaine.

Au Suchet (VD), à près de 1500 mètres d’altitude, les Rochat déplacent les dernières tables et tendent des rubalises pour condamner des places, en vue de l’ouverture ce vendredi 15 mai. «On a décidé de le faire car on est de toute façon  sur place, explique Dragica Rochat. Mon mari s’occupe du bétail, moi de la buvette. La plus grande inconnue est le comportement des gens. Ce sera compliqué de refuser des randonneurs par exemple, par manque de place. Si on est d’ordinaire tributaire de la météo, cette année il y a le coronavirus en plus.»
Les restaurateurs affineront leur concept ces prochaines semaines, afin d’être au point d’ici la haute saison, en juillet et en août. Tous espèrent un déconfinement rapide et un large soutien de la population, privée de buvettes depuis peu. De nombreuses routes d’accès avaient en effet été barrées lors du week-end de Pâques pour éviter la propagation du virus.

Pas de précipitation
Les tenanciers espèrent que cette fermeture ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir, mais tous ne sont pas pressés d’ouvrir, vu l’ampleur  des mesures à prendre. Certains gérants se demandent même s’ils ouvriront les portes de leur établissement. François Liaudat, à la tête de la buvette du Vuipay (FR), à 1478 mètres d’altitude, préfère temporiser pour le moment. «Est-ce qu’il faudra engager du personnel supplémentaire, ne serait-ce que pour désinfecter le mobilier? se demande-t-il. Avec nos frais et nos charges, on ne peut pas se le permettre. Et on ne sait même pas si les clients viendront.» Des décisions seront prises à la fin du mois de mai ou début juin, estime Frédéric Ménétrey, secrétaire de la Société fribourgeoise d’économie alpestre, lorsque le bétail sera arrivé sur les alpages.

Moins de babillage
D’ici là, les tenanciers tentent de parer à chaque situation, et cela commence par  le paiement des repas. Les espèces se font rares dans les porte-monnaie en temps de pandémie, or de nombreux établissements d’altitude n’ont pas de connexion internet ou un réseau téléphonique défaillant, rendant les versements par carte impossibles. D’autres gérants ont sorti leur calculette pour savoir combien d’employés ils pouvaient embaucher pour tourner sans couler.
À la vallée de Joux, le patron des Croisettes attend quant à lui qu’une partie de son personnel étranger franchisse la frontière. Faute de permis de travail, l’ouverture de son établissement, ce mercredi 13 mai, s’est faite en petit comité. «On devait ouvrir, c’est une nécessité économique pour nous. Le restaurant est notre principal canal de vente de la viande de nos vaches highlands», explique Louis-François Berney. La capacité du restaurant a été diminuée de moitié, sans que cela entame la bonne humeur du patron. «On sent qu’il y a eu un traumatisme avec ce virus, les réservations sont encore timides. On va être dépendants des choix des consommateurs, conclut-il. On babillera un peu moins avec eux, mais ça devrait tout même aller!»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Guillaume Perret/Lundi 13

Le bétail déplacé incognito

Ces prochaines semaines, les vaches vont rejoindre leurs quartiers d’été dans les alpages romands, comme d’ordinaire, à un détail près. Si les inalpes ne sont pas remises en question, elles se feront souvent en camion, en toute discrétion. «Les montées à l’alpage folkloriques, à pied, n’auront pas lieu, confirme Olivier Rochat, secrétaire de la Société vaudoise d’économie alpestre. En cette période, il faut absolument éviter tout attroupement de spectateurs. Un tel rassemblement serait de la responsabilité des éleveurs.» Ces mesures s’appliquent aussi en Valais, où les premiers combats pour désigner les reines des alpages auront lieu à huis clos.

Des directives très strictes

Les restaurateurs se plient depuis ce lundi à de strictes règles établies par GastroSuisse pour pouvoir accueillir leurs clients. S’attabler pour manger une croûte au fromage est possible, mais à quatre maximum, avec des gens que l’ont connaît. Le lavage des mains doit être systématique, que ce soit pour les clients ou le personnel de l’établissement. Ce dernier s’assure aussi que les différents groupes ne se mélangent pas. La distance sociale de 2 mètres doit être maintenue et le mobilier ainsi que les ustensiles manipulés par plusieurs personnes nettoyés et désinfectés régulièrement. Les personnes vulnérables doivent en outre bénéficier d’une protection supplémentaire alors que les malades se présentant dans un restaurant seront renvoyés à la maison immédiatement.

+ D’infos www.gastrosuisse.ch