Consommation
Les bouteilles connectées séduisent le marché suisse du vin

Depuis peu, l’entreprise Univerre propose aux vignerons une puce NFC à coller sur leurs flacons. Cette technologie interactive vise à garantir la traçabilité, tout en offrant un nouveau canal de vente aux producteurs.

Les bouteilles connectées séduisent le marché suisse du vin

Imaginez: vous goûtez un excellent vin au restaurant et vous souhaitez en savoir plus. En approchant simplement votre smartphone de la bouteille, un sommelier numérique apparaît et vous présente le vigneron, son domaine et ses techniques de production, tout en rendant la commande du cru en question possible en quelques clics. Ce scénario futuriste existe désormais, grâce au projet «Smart Bottle» de l’entreprise Univerre, à Sierre (VS), qui propose depuis un mois une puce NFC – Near-Field Communication, ou communication en champ proche – à coller sur les vins et spiritueux. «Il s’agit de la même technologie que celle utilisée lors des paiements sans contact par carte. Mais c’est une grande innovation dans le domaine du terroir!» se réjouit David Naselli, responsable marketing et ventes de la société.

Ce système vise à assurer la traçabilité de la marchandise tout en offrant une expérience interactive aux utilisateurs et un nouveau débouché aux producteurs. «Contrairement aux codes QR qui renvoient au site web d’un domaine, le tag NFC permet d’acheter directement le vin, sans paperasserie ni moteur de recherche, par une plateforme gérée par nos soins et synchronisée en temps réel. Ainsi, chaque bouteille devient un point de vente potentiel, afin de toucher un large public. C’est l’emballage intelligent du futur», assure Ruanda Qamili, responsable du projet.

Pour un marketing ciblé

Géolocalisées, ces puces 4.0 collectent également de précieux renseignements sur la clientèle. La maison Gilliard, à Sion (VS), est l’une des trois premières entreprises à les tester. Son directeur, Grégory Dubuis, est enthousiaste: «Comme une partie de nos clients se fournissent par le biais de la grande distribution, nous ne disposons d’aucune information sur eux. Grâce aux bouteilles intelligentes, nous pourrions à l’avenir connaître leur profil, s’ils acceptent bien sûr de nous communiquer leurs données, et savoir dans quels régions, restaurants ou supermarchés ils ont effectué le scannage.» Ces indications aideront ensuite à adapter la stratégie marketing. «Connaître les goûts des consommateurs est précieux pour anticiper nos développements. Nous voulons leur faire vivre une expérience d’achat unique. Cela permet aussi d’être transparent sur notre chaîne de production et de justifier nos prix face à la concurrence étrangère», expose-t-il. Sans compter que la plateforme n’en est qu’à ses débuts, ajoute David Naselli: «À l’avenir, pourquoi ne pas imaginer un système de chat avec un avatar grâce à l’intelligence artificielle? Les possibilités sont infinies!»

Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine Promotion, salue la valeur ajoutée d’une telle innovation pour les clients: «Ils bénéficient ainsi de plus de renseignements que ceux notés sur l’étiquette, et ce dans plusieurs langues. En revanche, cela ne doit pas remplacer le contact direct avec le producteur. Quant à l’outil d’analyse des informations, il est utile, mais difficile à employer pour une petite structure. Dans un premier temps, seules les moyennes et grandes maisons y trouveront un intérêt.» Un point qui inquiète justement la Fédération romande des consommateurs. «La traçabilité est importante, mais il existe des moyens avec moins d’impact sur la protection des données. Cela va à l’encontre des intérêts du public», avertit Jean Busché, spécialiste économie et nouvelles technologies.

 

Expérience immersive

Outre-Sarine, un projet similaire a été lancé par l’Interprofession du vin suisse alémanique. Du côté de Genève, la société 1275 Collections, spécialisée dans les vins fins, recourt aussi aux puces NFC. Son but: garantir la traçabilité des grands crus, de leur domaine d’origine à la cave. «Grâce à cette technologie, nous attribuons une identité numérique unique à chaque bouteille. Nos clients ont accès à des informations sur leurs conditions de transport et de stockage, comme le taux d’humidité et la température des locaux dans lesquels elles ont été conservées. Ainsi, nous pouvons certifier leur qualité et leur authenticité», explique le fondateur Denis Houles.

Dans le monde des flacons intelligents, d’autres initiatives voient le jour. À l’image du projet «Le génie de la bouteille» du journaliste radio Yves Bron. Ces deux dernières années, ce Vaudois a enregistré une dizaine de vignerons racontant l’histoire de leurs nectars et de leur domaine. Ces capsules audio peuvent être écoutées en scannant un code QR imprimé sur l’étiquette. «L’idée est d’offrir une expérience immersive aux clients, comme s’ils se trouvaient dans le caveau avec le producteur. Cela crée une vraie proximité et une relation presque intime, allant au-delà du simple marketing.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Sedrik Nemeth

Une app dédiée

Créée en 2013 bien avant l’arrivée des bouteilles intelligentes sur le marché, l’application Numberwines permet aux consommateurs d’acheter directement du vin aux producteurs locaux, au prix cave. Pour ce faire, il suffit de sélectionner un article sur la plateforme parmi les 2000 références de 150 vignerons, qui le livreront à domicile en quelques jours. «Pendant le confinement, les commandes ont explosé, mais cela s’est vite calmé, notamment car la Suisse est un petit pays où la vente directe est préférée à celle en ligne», relate son créateur Eric Poncelet.

Questions à Tobias Schlager, professeur de marketing à la Haute école de commerce, à Lausanne

Y a-t-il de plus en plus d’articles connectés sur le marché?

Oui, nous entrons dans l’air de «l’internet des objets», avec par exemple des aspirateurs, des montres ou des écouteurs connectés. Dans l’alimentaire, il existe des frigos et des caves à vin autonomes, afin de pouvoir surveiller l’état des produits, les stocks ainsi que la température depuis un smartphone. C’est moins courant dans le domaine du terroir.

En quoi est-ce positif selon vous?

De manière générale, cela permet aux consommateurs de gagner du temps et d’augmenter leur qualité de vie. Les bouteilles de vin intelligentes, elles, ont l’avantage d’offrir plus de transparence sur la chaîne de fabrication. Pour les producteurs, c’est un moyen de se différencier de leurs concurrents et de communiquer directement avec leurs clients.

Cela va-t-il se développer ?

Oui, car la jeune génération recherche des expériences d’achat innovantes et veut être bien informée sur ce qu’elle acquiert. C’est une évolution souhaitable, notamment car nous nous dirigeons vers une régulation de plus en plus stricte en matière de protection des données.