Décodage
Les boulangeries romandes craignent pour leur survie

Prix des matières premières et coûts de l’énergie: la plupart des boulangers-pâtissiers font face à une hausse massive de leurs charges. Dans le canton de Vaud, des négociations sont en cours. Décodage.

Les boulangeries romandes craignent pour leur survie

Pourquoi les factures augmentent-elles?

Avec la guerre en Ukraine, les prix ont pris l’ascenseur. La farine coûte de 10 à 15% plus cher, le beurre environ 6%, tout comme les emballages en carton. Si ces charges sont déjà lourdes, les boulangeries-pâtisseries doivent aussi faire face à une hausse massive de l’électricité, particulièrement les enseignes qui ont abandonné l’approvisionnement de base pour aller sur le marché libre. En Suisse, ce changement de régime est autorisé depuis 2009 pour les entreprises qui consomment plus de 100 000 kWh/an. «Pendant des années, cela a permis aux professionnels de choisir leur fournisseur et de faire jouer la concurrence, afin de bénéficier de tarifs préférentiels. Sauf qu’aujourd’hui, les grands distributeurs profitent de la situation en affichant des prix faramineux et en faisant pression sur leurs clients», affirme Laurent Buet, président de la société des artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs vaudois (ABPCV). Environ 60% des établissements vaudois sont concernés, et 75% à Genève.

De combien parle-t-on?

Selon l’ABPCV, les factures de certains artisans ont été multipliées par trois, quatre, cinq ou davantage, passant parfois de 6 à plus de 70 centimes le kilowattheure. «Les boulangers qui sont arrivés à la fin de leur contrat en 2022 subissent ces nouveaux tarifs depuis janvier. Ils ont dû signer dans la hâte, parfois en quelques heures, pour s’engager sur plusieurs années. D’autres ont choisi de ne pas accepter tout de suite, mais se sont exposées à une majoration encore plus importante. De manière générale, il y a une méconnaissance du marché de l’électricité, ce qui ne facilite pas les choses.» D’autres entreprises pourront attendre la fin de leur actuel contrat, d’ici à 2024 ou 2025, avant de renégocier leurs conditions.

Quid des prix de vente?

L’impact est modéré, c’est pourquoi ce secteur est particulièrement fragilisé. «Comme nous proposons des produits de première nécessité peu chers, nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre pour absorber l’inflation. Si nous augmentons nos prix pour couvrir nos charges, les clients le ressentent, ce qui a des conséquences sur les ventes, remarque Laurent Buet. Nous sommes toutefois obligés de commercialiser certaines denrées un peu plus chères, car les trésoreries fondent.» Avant la crise, le coût de l’électricité représentait environ 2,5% du chiffre d’affaires. «On pourrait certainement supporter le double, mais pas plus.» Alors que la pandémie avait déjà affaibli la branche, surtout en ville, les faillites risquent de se multiplier. Sur les 180 membres de l’ABPCV, une quinzaine sont en «très grande difficulté».

Un exemple concret

Celui qui est également à la tête de la Maison Buet, à Lausanne, fait partie des chanceux, puisque son actuel contrat pour l’électricité ne se termine pas avant 2024. «Toutefois, si les tarifs n’évoluent pas, ma facture passera de 6000 à 31 000 francs par mois et je devrais fermer boutique. Nous avons le couteau sous la gorge», témoigne Laurent Buet. Son établissement, équipé de fours, étuves, frigidaires et congélateurs, consomme 220 000 kWh/ an. «Nous faisons notre maximum pour faire des économies d’énergie, notamment en ayant eu recours à un audit, mais les solutions sont restreintes.» Les croissants, eux, ont augmenté de trente centimes en dix-huit mois, en raison du prix des matières premières. «Cela nous fend le cœur, mais nous n’avons pas le choix.»

Discussions en cours

Si, en France, le gouvernement a mis en place des aides – comme la limitation de la hausse du coût de l’électricité ou le report du paiement des impôts –, ce n’est pas le cas en Suisse. L’ABPCV a toutefois contacté les fournisseurs pour revoir à la baisse les tarifs, voire prolonger la durée des contrats antérieurs. «C’est compliqué, car il s’agit d’entreprises qui échappent au contrôle de l’État, indique Laurent Buet. Mais nous espérons que des décisions seront prises ces prochaines semaines, pour stopper l’hémorragie.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Adobe Stock