De saison
Les arômes du houblon frais dans une bière hivernale

À la ferme Prémartin, à Longirod (VD), Pablo Bovy et Delphine Piccot élaborent une gamme de farm beers faisant la part belle aux produits de l’exploitation. Comme le houblon récolté au mois de septembre.

Les arômes du houblon frais dans une bière hivernale

L’odeur douceâtre du malt emplit peu à peu l’ancienne buanderie reconvertie en brasserie; Delphine Piccot et Pablo Bovy surveillent attentivement la «petite» casserole de 75 litres posée sur une plaque à gaz où frémit gentiment le mélange d’eau et d’orges germées et concassées. C’est la première étape de la fabrication de la bière, celle qui va conférer à la boisson sa couleur et sa typicité. «Chauffé, le grain malté produit des enzymes de différentes variétés en fonction de la chaleur, explique le brasseur. À partir d’une température initiale de 63°C, on veille donc à atteindre des paliers pour libérer ces arômes, avant de faire monter le tout à 78°C pour stopper la réaction.»

Travail à l’ancienne
Les deux complices gardent donc un œil vigilant sur l’horloge et le thermomètre. «Ici, on n’utilise pas de brewmaster électronique qui automatise les phases du brassin. On travaille au gaz, à l’ancienne, pour garantir les qualités d’un produit réellement artisanal.» Ce qui n’empêche pas la précision – en témoignent les protocoles de fabrication punaisés sur les murs du petit local. Pablo et Delphine sont d’ailleurs tous deux titulaires d’un master en agronomie. Mais cette recherche de simplicité est à la base de toute la démarche de la microbrasserie Optimiste, créée au printemps 2019 pour étoffer les produits de la ferme Prémartin, à Longirod, au pied du Jura. La gamme de l’Optimiste compte ainsi une petite douzaine de variétés de bières brassées avec des matières premières produites sur l’exploitation. Seul le malt bio, importé d’Allemagne, faisait jusqu’alors exception; avec la labellisation Bio Bourgeon de l’exploitation, obtenue ce printemps, du malt élaboré ici même permettra dès cet hiver de proposer des bières 100% Bio Suisse.

«On ne tient pas à entrer en concurrence avec les autres microbrasseries en surenchérissant sur des gammes de bières «compliquées», relève Pablo Bovy. Notre créneau, c’est la bière saisonnière de ferme ou farm beer comme on en trouve aux États-Unis, plutôt légère et facilement buvable.»

Fermentation de saison
La définition va particulièrement bien au brassin du jour. «Nous proposons une bière d’hiver au houblon frais, récolté en septembre dans la houblonnière de la ferme», fait remarquer Delphine Piccot tout en s’activant. Pour lui conférer, son amertume et ses arômes floraux, les cônes de houblon séchés sont ajoutés au moût. Mais avant, il s’agit de le soutirer – puis de rincer à plusieurs reprises la marmite où s’entassent les drêches, les résidus de malt, afin d’en extraire tout le sucre. Le moût est ensuite porté à ébullition, additionné donc de houblon, refroidi puis ensemencé de levures avant d’être mis à fermenter.

«Notre philosophie est de suivre les températures saisonnières, précise Pablo. Nous brassons donc des bières de fermentation haute en été, et des lagers en hiver.» Après cinq à sept jours, les levures mortes qui s’entassent au fond des cuves sont débarrassées; celles qui subsistent ont désormais le champ libre – et la bière continue sa fermentation durant encore une semaine; à l’issue du processus, les levures encore actives seront utilisées pour les prochains brassins. La bière du jour, elle, sera mise en bouteille avec la dose de sucre qui va permettre de développer son acide carbonique. «En jouant sur la concentration de ce moût, on obtiendra plus ou moins d’alcool, indique le brasseur. Nous nous fixons un volume de 6%, contrôlé au laboratoire cantonal d’œnologie.»

Un peu de repos en bouteille
L’Optimiste au houblon frais va encore reposer quelque temps avant d’être mise en vente. «Sans pub, on écoule toute notre production à la ferme et sur notre site web», se réjouit Delphine. «Nos prix sont très raisonnables, même si les produits de base nous reviennent plus cher que les équivalents importés, souligne Pablo. Mais le plus gros des coûts, c’est le travail. Comme nous avons tous deux un emploi la semaine (ndlr: lui comme conseiller agricole pour ProConseil et elle comme spécialiste des systèmes de production innovants à l’Institut de recherche en agriculture biologique), on cale brassins et mises en bouteille sur les mêmes jours, si possible le week-end.»

+ D’infos www.fermepremartin/brasserie

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Les producteurs

Pablo Bovy et Delphine Piccot
«La bière a toujours été mon rêve, raconte Pablo Bovy. J’ai commencé à en faire dans ma cuisine, à l’âge de 16 ans.» En 2017, il décide de passer la vitesse supérieure; avec son amie Delphine, titulaire comme lui d’un master en agronomie de l’École polytechnique fédérale de Zurich, il fait l’acquisition du matériel nécessaire à la production de brassins de 150 litres. «Le temps de procéder à quelques travaux et on s’est installés en 2019 dans l’ancienne chambre à lessive de la ferme de mon grand-père, au centre de Longirod, précise le microbrasseur. L’aménagement d’un local de vente et de dégustation est au planning de 2021.»  Au fait, pourquoi «Optimiste»? «Lorsqu’on a dit à mon grand-père, alors en EMS après avoir vécu toute sa vie ici, qu’on allait y brasser de la bière, il nous a dit: «Bonne idée! Les Bovy ont toujours été des optimistes de la vie.» C’est donc un petit clin d’œil et un hommage.» Que le grand-père, décédé paisiblement en octobre dernier, apprécie sans nul doute à sa vraie valeur.

La vigne du nord

La production de houblon à la ferme s’inscrit bien dans la ligne «100% fait maison» suivie par la brasserie Optimiste. «Nous en cultivons une centaine de plantes de variétés peu communes en Suisse comme le cascade, le target, le perle ou le magnum, détaille Pablo Bovy. On a pu en faire un premier brassin cet automne.» Appelée parfois «vigne du nord», cette plante volubile de la même famille que le cannabis pousse facilement, mais nécessite des tuteurs de plusieurs mètres de haut et un système de fils sur lesquels elle court à loisir. On en utilise les inflorescences coniques, riches en huiles essentielles, pour la fabrication de la bière, mais également en phytothérapie pour ses propriétés sédatives.