décryptage
Les arbres, une source alimentaire intéressante pour les bovins

L’approvisionnement en fourrage peut devenir problématique à la fin de l’été, surtout lorsque la pluie s’est faite rare. En France, des chercheurs développent un système très innovant pour pallier ce manque.

Les arbres, une source alimentaire intéressante pour les bovins

Et si on utilisait des saules et des noisetiers pour compléter la ration alimentaire du bétail? Cette proposition peut paraître loufoque au premier abord, le matériel agricole actuel rendant la récolte de foin ou l’ensilage particulièrement efficients. Le changement climatique incite pourtant à développer d’autres solutions. Ces dernières années, il n’est en effet pas rare que les fourrages viennent à manquer à la suite d’épisodes de sécheresse estivale de plus en plus fréquents.
À l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de Lusignan, en Nouvelle-Aquitaine (F), des scientifiques étudient donc la possibilité d’intégrer des ressources ligneuses à l’alimentation bovine. «Les vaches goûtent volontiers aux branches accessibles dans leur pré, fait observer Sandra Novak, responsable à l’INRAE de la conception de systèmes fourragers innovants. Jusqu’au milieu du XXe siècle, il n’était pas rare que les coupes issues de haies soient données aux animaux. Mais cette pratique est tombée en désuétude avec le développement de la mécanisation.»

Frais et en libre-service

La particularité de l’étude est d’intégrer à l’alimentation bovine des arbres sur pied, sur lesquels le bétail peut directement se servir en feuilles fraîches. «Cet apport est à envisager en complément du fourrage principal traditionnel, explique l’ingénieure. Pour notre part, nous privilégions un accès à cette ressource uniquement en été, lorsque le fourrage pâturé est plus pauvre et moins abondant, et non pas en continu toute l’année. L’objectif est d’éviter d’entamer trop rapidement les stocks de fourrage conservés, comme le foin.» Dans ce projet, des vaches laitières, dont les besoins nutritionnels sont particulièrement élevés, sont utilisées comme sujets de recherche.
Lancé en 2014, le projet a débuté par la plantation de 800 arbres d’une dizaine d’espèces différentes, ainsi que de 1200 pieds de vigne, sur une surface ­totale de 9 hectares. Les jeunes pousses ont été protégées des bovins par différentes techniques, jusqu’à ce qu’elles atteignent une taille suffisante. «Le fil électrique s’est révélé supérieur aux autres dispositifs testés – ruban électrifié, répulsif olfactif, grillage à mouton, filet de protection de chantier –, notamment à cause de son coût moindre et de sa facilité d’installation», note la scientifique.
L’an dernier, les arbres ont été taillés pour la première fois en têtard (ndlr: étêtés régulièrement au même niveau), à deux hauteurs différentes de 50 et 80 cm. Cette méthode, couramment utilisée sur les saules pour la production d’osier, permet de faciliter l’accès de l’animal à l’ensemble de la ramure, tout en augmentant la quantité de fourrage disponible.

Des espèces intéressantes

Comme il n’existe actuellement que peu de données qualitatives et quantitatives sur la capacité d’intégrer ces ressources à l’alimentation bovine, l’INRAE a étudié la valeur nutritive de 27 espèces ligneuses. Certaines se sont révélées particulièrement intéressantes aux niveaux protéique et énergétique, tels le mûrier blanc et le tilleul, au point d’approcher celle de nombreuses herbes fourragères présentes dans les prairies au printemps.
«Cette valeur nutritive mesurée en laboratoire doit cependant être pondérée, tempère Sandra Novak. De nombreux points restent à éclaircir, comme l’appétence des différents feuillages, leur capacité à fixer l’azote atmosphérique, la quantité de biomasse fournie, ainsi que l’intérêt des fruits qui peuvent être produits en complément.» Si cette méthode révolutionnaire semble prometteuse, inclure des arbres dans un système fourrager nécessite cependant un budget non négligeable, lié au coût d’implantation des végétaux et des clôtures pour les protéger, et exige énormément de patience. «Il faut plusieurs années pour qu’ils se développent et puissent ensuite être pâturés, note la scientifique. Notre grand défi actuel est d’arriver à déterminer dans quelle mesure et combien de temps on peut laisser un arbre en pâture sans mettre en péril sa survie, tout en garantissant un maximum de biomasse à l’animal.» Ces données permettront à terme de déterminer le nombre d’arbres nécessaires par tête de bétail, afin que cet approvisionnement ne soit pas seulement anecdotique.

+ d’infos www.prodinra.inra.fr

Texte(s): véronique Curchod
Photo(s): DR

Bon à savoir

Le choix d’une essence doit tenir compte de nombreux paramètres: les conditions climatiques locales, leur évolution probable, le type de sol, l’exposition, les maladies présentes, l’objectif souhaité… Plusieurs espèces peuvent être utilisées comme arbres fourragers: le frêne commun, l’aulne de Corse, le mûrier blanc, l’orme Lutèce, le sureau, le saule marsault, le prunellier, entre autres, ainsi que des lianes comme la vigne. Choisir plusieurs sortes permet de varier les teneurs en minéraux, de limiter le risque de maladies et d’anticiper le changement climatique en plantant une certaine proportion d’arbres adaptés aux conditions du sud. Il faut être particulièrement attentif à la sélection si des équidés sont également amenés à pâturer sur la même parcelle: certaines essences consommées par les bovins, comme le robinier faux-acacia, sont extrêmement toxiques pour les chevaux.

Bon à savoir

L’intérêt d’introduire des arbres dans une pâture ne se limite pas à leur valeur fourragère. Suivant les espèces choisies, une partie d’entre elles peut être protégée de l’appétit des bovins pour les laisser se développer et fournir à terme du bois d’œuvre. Contrairement aux arbres conduits en têtard bas, et donc de taille modeste, ils pourront ainsi procurer un ombrage bienvenu en été. Les arbres contribuent également à la fertilité du sol et augmentent la biodiversité. Sous la forme de haies, ils protègent le troupeau des vents dominants et jouent le rôle d’une clôture complémentaire.