Décryptage
Les adeptes du vrac font de plus en plus leurs courses sur la Toile

Tandis que les épiceries tirent la langue, les sites internet dédiés à ce type de consommation essaiment en Suisse romande depuis quelques années. Et pour que cela soit plus écolo, les denrées sont souvent livrées à vélo.

Les adeptes du vrac font de plus en plus leurs courses sur la Toile

Le mouvement «zéro déchet» n’a pas dit son dernier mot. Alors que de nombreuses boutiques semblent souffrir d’un manque de fréquentation depuis le déconfinement en Suisse romande (lire encadré), une autre manière de consommer le vrac se développe: de plus en plus d’entreprises se créent en ligne, permettant aux clients de commander leurs vivres depuis leur canapé, à n’importe quelle heure… et d’être livrés dans la foulée.

Les achats en ligne se sont accrus ces dernières années, une tendance renforcée par la pandémie. En 2019 et 2020, Migros Online a ainsi enregistré une hausse de 40% de son chiffre d’affaires, à 266 millions de francs. Et son concurrent direct, Coop.ch, a publié des résultats similaires. Mais pour les adeptes du vrac, difficile de s’en remettre aux grandes enseignes. C’est pourquoi des entrepreneurs ont imaginé des solutions durables et locales. «Notre but est de contrer l’abondance de produits dans les supermarchés. Et de proposer des emballages réutilisables, pour diminuer notre empreinte carbone», résume Sara Pereira, qui travaille pour delivrac.ch, à Vufflens-la-Ville (VD). Ce projet d’étudiant, concrétisé en 2019, a connu un véritable boom avec le Covid. «Nous n’étions pas prêts à recevoir autant de demandes d’un coup!»

En ville comme en campagne
Parmi l’assortiment de Delivrac.ch, on trouve des huiles, du vinaigre, du riz, des boissons, des aliments sans gluten ou encore des produits d’entretien ménager. «Au lieu de proposer une épicerie physique, notre boutique est notre site internet. Nous stockons les articles dans un entrepôt et nous préparons les commandes des clients… que nous livrons à travers toute la Romandie», explique Sara Pereira, dont la société est surtout active dans les campagnes.

Pour réussir à fournir des vivres tant aux Jurassiens qu’aux Vaudois dans la même journée, la petite entreprise de deux personnes sous-traite ses livraisons, motorisées. «Nous rentabilisons des trajets
préexistants en confiant nos paquets à un partenaire», détaille Sara Pereira. L’impact climatique de Delivrac.ch n’est donc pas 100% neutre. «Mais ça permet d’éviter à des dizaines de familles de devoir prendre leur voiture pour faire des courses… C’est forcément plus écologique.» Bocaux en verre et sacs en tissu contenant la marchandise sont consignés. Les clients les utilisent le temps nécessaire, avant de les rendre, ce qui limite les emballages à usage unique. «On produit moins de CO2 quand on fonctionne de la sorte», assure Erica Mazerolle. Cette jeune entrepreneuse a créé Easyvrac.ch, dernière née en matière de boutique en ligne dédiée au zéro déchet. Celle-ci fonctionne sur un modèle communautaire, en utilisant ce qui existait déjà à Lausanne, la livraison en plus: «Notre plateforme regroupe des épiceries en vrac, comme La Brouette, mais aussi d’autres artisans locaux. Nous proposons ainsi les articles de nos partenaires sur notre site, et nous nous occupons de les acheminer à vélo, pour un service zéro carbone.»

Rentabiliser le transport
En six semaines d’existence, Easyvrac.ch a déjà amené à bon port une quarantaine de commandes, et l’équipe compte se développer. «Cela devrait bien fonctionner en micro-réseau urbain, comme à Lausanne. Grâce à une certaine densité de population et à la présence de plusieurs magasins en vrac, on devrait rentabiliser le transport. Mais en campagne, pour livrer des clients vivant dans des villages éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres, ça risque d’être compliqué, d’autant plus à vélo», analyse Erica Mazerolle.

Avaler des kilomètres, ça ne fait pas peur à André Burri. En 2019, ce Glandois a imaginé Zélo.ch: là encore, une plateforme de vente en ligne de produits en vrac. Les commandes sont acheminées à bicyclette à Gland, Nyon et Lausanne (VD). «En évitant à la population de prendre sa voiture pour aller faire ses emplettes, chacune de nos livraisons permet d’économiser 5 kilos de CO2», assure-t-il. L’entrepreneur a embauché une dizaine de personnes, principalement des étudiants, pour l’aider à remettre ses 400 commandes hebdomadaires. En plus de proposer des produits secs, du pain et autres fruits et légumes, André Burri collabore avec des bouchers, fromagers, et artisans locaux. «Cela permet de faire ses courses en une seule fois, pour davantage de commodité», déclare-t-il. Et d’ajouter: «Je pense que l’avenir du vrac passe par la livraison. Le zéro déchet devient ainsi plus accessible, même s’il induit tout de même un changement de mode de vie.» Une solution qui semble en inspirer plus d’un: Zélo.ch a reçu le Prix de la nouvelle économie de la Ville de Gland en 2020, et le Prix à l’innovation de la Ville de Nyon l’an passé.

Texte(s): Caroline Toussaint
Photo(s): Vincent Muller/Delivrac

Plus cher, le vrac en ligne?

Selon un constat de Gabrielle Camara, auteure du blog «Lausanne en vrac», près de la moitié des produits secs qu’elle a étudiés en 2018 étaient proposés à un tarif identique ou inférieur dans les épiceries spécialisées qu’au supermarché. Pour André Burri, de zélo.ch, les prix de certains articles, comme la viande ou le fromage, sont peut-être plus élevés sur son site, mais il «privilégie l’agriculture locale et de proximité avec des circuits courts». Pour sa part, Sara Pereira, de delivrac.ch, estime que les consommateurs sont moins tentés par des achats impulsifs que dans un magasin classique: «Sur notre plateforme, les clients peuvent commander la quantité qu’ils souhaitent.» Notez que les sites de vente en vrac font payer la livraison, et que certains consignent leurs bocaux et sacs en tissu, à raison de quelques francs.

Des épiceries physiques en difficulté

«Pendant la pandémie, nous avons noté une hausse importante de notre clientèle, mais depuis quelques mois, c’est devenu compliqué de maintenir notre commerce», déplore Aline Schindelholz, bénévole au magasin Ça va l’bocal, à Delémont (JU). Nous vivons au jour le jour, nous ne savons pas si nous pourrons continuer cette aventure encore longtemps.» De nombreuses enseignes spécialisées dans le vrac se retrouvent dans la même impasse: les clients se raréfient. «J’ai du mal à comprendre pourquoi», s’interroge Nathalie Oeuvray, de la boutique Graines de folie à Porrentruy (JU), qui a aussi constaté une baisse conséquente de la fréquentation. «Je me suis même demandé si on n’était pas sympa, confie-t-elle dans un sourire. Mais il semble que les gens aient repris les habitudes d’avant la pandémie… Ils retournent peut-être en France pour faire leurs courses.» À Lausanne, la boutique Chez Mamie a pris une décision radicale: elle a fermé ses portes le 30 juin dernier, face aux difficultés financières rencontrées ces derniers mois. Selon sa gérante, la vente en ligne pourrait y être pour quelque chose.