Chevaux
L’érable sycomore sème la panique

Au printemps dernier, des chevaux sont décédés de la myopathie atypique des équidés en Romandie. Avec le retour de l’automne, le risque est à nouveau accru. Le point avec la vétérinaire belge Dominique Votion, spécialiste en la matière.

L’érable sycomore sème la panique

Un mal impitoyable touche les chevaux suisses depuis une quinzaine d’années. En très peu de temps, la myopathie atypique des équidés (MAE) peut terrasser un animal en pleine forme. C’est ce qui est arrivé à Florence Vargas, à Tatroz (FR), en mai dernier. «En quelques heures, ma pouliche Joyce est devenue amorphe, elle hennissait péniblement et tremblait», se souvient-elle. Le vétérinaire, rapidement sur place, l’a auscultée sous un érable sycomore, arbre très présent dans son parc, près d’un ruisseau. «Nous ignorions totalement la toxicité des plantules et des samares,
regrette Florence Vargas. Le vétérinaire a pensé à la maladie de Lyme.» L’état de santé de la pouliche s’est rapidement dégradé.
Le lendemain, elle s’est effondrée dans son box. Ses propriétaires ont alors décidé de l’euthanasier. «Les autres chevaux n’ayant pas eu de symptôme, nous avons continué à utiliser ce parc jusqu’à ce qu’un hongre de 8 ans se mette aussi à trembler, ajoute la cavalière, qui a, depuis, recensé tous les érables sycomores sur ses terres. La MAE a été constatée au Tierspital de Berne et l’animal a aussi dû être euthanasié.»

Taux de mortalité très élevé
La nouvelle s’est répandue sur les réseaux sociaux. L’inquiétude des propriétaires a grandi, car, malgré les traitements mis en place, la majorité des sujets atteints ne survivent pas. Un tel drame est particulièrement traumatisant pour les propriétaires de chevaux qui ont perdu ainsi leur compagnon. «Cette maladie a un impact émotionnel important, notamment à cause du taux de mortalité extrêmement élevé et de la rapidité avec laquelle elle évolue, explique Dominique Votion. Plus de 75% des chevaux touchés décèdent dans les 48 h. En dix ans, plus de 2000 cas ont été officiellement recensés en Europe.»
La vétérinaire belge dirige depuis une quinzaine d’années un travail de recherche sur la MAE à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège. «Les connaissances ont beaucoup évolué depuis les premiers cas signalés en l’an 2000. Nous avons pu établir un lien clair de causalité avec l’érable sycomore. Il nous faut cependant encore apprendre à identifier au mieux les facteurs environnementaux qui augmentent les risques, afin de ne pas les surévaluer. On ne peut pas priver en permanence les chevaux de pré!» Pour faire évoluer la recherche, Dominique Votion collecte des données venant de toute l’Europe, dont la Suisse. «Il est capital que les propriétaires touchés signalent les cas, afin que nous puissions progresser dans la connaissance de cette maladie.»

Aucun traitement spécifique
La MAE touche les chevaux, ânes ou poneys vivant principalement au pré. Elle est caractérisée par une destruction importante des différents groupes musculaires: respiration, fonction cardiaque et locomotion sont touchées. L’apparition soudaine d’une faiblesse extrême, d’une raideur ou de difficultés à se lever, d’une urine foncée, de signes de coliques doivent alerter le propriétaire. Le vétérinaire doit alors être appelé d’urgence. Une toxine présente dans les samares, les plantules et les feuilles d’érable sycomore est à l’origine de cette pathologie. «Il n’existe à ce jour aucun antidote à la toxine, déplore Dominique Votion. Les vétérinaires ne peuvent que mettre en place un traitement de soutien non spécifique.» Le danger est plus marqué à l’automne, lorsque les samares tombent au sol, et au printemps, lors de leur germination. «On constate cependant une saisonnalité moins marquée qu’avant, avertit la vétérinaire belge. La période à risque a tendance à s’étendre.»
Comme le corps vétérinaire est actuellement démuni face à cette pathologie, limiter l’ingestion des samares et plantules d’érable sycomore est la mesure la plus efficace pour réduire les risques. Offrir aux chevaux des prairies assez fournies en herbe, compléter l’alimentation avec du foin dans un râtelier, clôturer les bords de bois, restreindre le temps passé au pré font partie des dispositifs qu’on peut mettre en place.
Il s’agit aussi de déterminer si la prairie est à risque, en identifiant la présence d’érables sycomores. Attention toutefois, car, poussées par le vent, les graines munies d’ailettes peuvent parcourir plusieurs centaines de mètres. «Certaines conditions climatiques semblent favoriser la maladie, comme la pluie et le vent, qui dispersent les samares, souligne Dominique Votion. Il faut alors être plus vigilant et rentrer temporairement les chevaux à l’écurie. Les poulains de moins de 18 mois et les équidés âgés sont plus particulièrement frappés.» La vétérinaire recommande cependant de ne pas céder à la panique et de mettre en œuvre un maximum de mesures préventives.
www.myopathie-atypique.be

Texte(s): Véronique Curchod/Céline Duruz
Photo(s): Véronique Curchod/DR

Confusion possible avec ses cousins

L’érable sycomore est largement répandu en Suisse. Pouvant dépasser les 30 mètres de haut, il est particulièrement fréquent dans le Jura, à l’est du Plateau et dans les Préalpes. On trouve cet arbre au feuillage caduc à une altitude comprise entre 300 et 1700 m. Il apprécie les sols humides et riches en éléments nutritifs. Il ne faut pas le confondre avec l’érable plane et l’érable champêtre, aussi présents en Romandie, qui ne présentent aucun danger pour les équidés. Cet arbre a souvent été planté en bordure de route comme ornement. Abattre un érable sycomore n’est possible qu’avec l’autorisation du garde forestier ou de la commune, selon qu’il est situé dans ou hors d’une zone forestière. On peut également envisager de tailler les érables à proximité des pâtures, afin de limiter la production de samares.