Agriculture
L’eau se fait rare dans l’arc jurassien, affectant fermes et fromageries

Réserves aquifères au plus bas, citernes vides: le manque de précipitations de ces derniers mois touche durement les exploitations agricoles de l’arc jurassien. La neige et le froid n’arrangent pas la situation. Témoignages.

L’eau se fait rare dans l’arc jurassien, affectant fermes et fromageries

Philippe Geinoz peine à soulever le couvercle de béton qui ferme le réservoir. «C’est à cause du gel», grimace-t-il. Après quelques efforts, la lourde trappe cède enfin. Jetant un regard au fond, le fromager des Sagnettes (NE) retient son souffle. Un très léger clapotis a tôt fait de le rassurer. «C’est bon, elle coule encore!» Elle, c’est la source, ô combien indispensable au bon fonctionnement de sa fromagerie, qui n’est pas reliée au réseau d’eau potable. «Entre le refroidissement et le nettoyage, on compte un litre d’eau par litre de lait transformé, soit 5 à 6 m3 par jour.» Philippe Geinoz récolte le lait d’une douzaine de producteurs de la région et transforme chaque année 2 millions de kilos de lait en gruyère AOP, britchon, montlési et autres spécialités. «Le redoux de la semaine passée a fait fondre la neige et le débit de la source a tout de suite augmenté, remplissant rapidement le réservoir de 100 m3.» De quoi voir venir les prochaines semaines. «Mais si ce froid dure et que la neige tient, il faudra faire venir de l’eau!»

Une bossette qui sauve la mise
Déjà au mois de novembre, la source s’est brusquement asséchée, à la suite de plusieurs semaines de sécheresse. Philippe Geinoz a dû convoyer de l’eau dans une citerne depuis un village voisin pour assurer la fabrication. «C’est la deuxième fois de ma carrière que ça m’arrive. Mais je ne vais pas me plaindre. Pour mes producteurs de lait, charrier de l’eau, c’est devenu une tâche quasi quotidienne.»
Effectivement, quelques centaines de mètres plus loin, au Bois de la Halle, chez la famille Schopfer, une bossette de 5000 litres est attelée au tracteur, devant la ferme. Depuis l’automne, la citerne s’avère salvatrice pour les trois exploitations qui se la partagent. «Nous n’avons pas de source à proximité de nos fermes et trop peu de surface de toit ou de capacité de stockage pour récupérer les eaux de pluie», résume Michael Schopfer. Et encore faut-il qu’il pleuve! Les quelques gouttes de l’automne n’ont en effet pas suffi à remplir les réservoirs de Stéphane Perret, voisin des Schopfer, qui exploite la ferme de Jolimont au-dessus de Boveresse (NE). «J’ai fait le plein à l’hydrante fin décembre, avant l’arrivée de la neige. Vu les pentes et l’état des routes, rouler avec une citerne pleine est beaucoup trop dangereux en hiver.»

La chasse au gaspillage
L’eau est devenue une denrée rare pour la quarantaine d’exploitations de la région. Sa gestion parcimonieuse est une vraie nécessité. «Vous ne verrez jamais un abreuvoir qui fuit chez nous!, lance Anne Marie Schopfer. Pas un litre n’est gaspillé. Mais une vache en lactation boit quotidiennement 80 à 100 litres d’eau, et avec les besoins du ménage, il faut compter 5 m3 par jour.»
Faute de pluie à l’automne, charrier de l’eau fait désormais partie de la routine pour les Schopfer et leurs voisins. «Les six derniers mois, j’en ai convoyé 350 m3», calcule Michael Schopfer. Le jeune homme se fournit aux Gez, à quelques kilomètres de chez lui, car la route qui y mène est relativement plate. «L’eau est facturée 5 fr. le m3, à quoi il faut rajouter les taxes de compteur et les frais de transport», précise-t-il.
Voilà plusieurs hivers que les Schopfer, comme leurs voisins, ont pris l’habitude de vivre avec ce facteur limitant. «Les sources? Il n’y en a pas. Le réseau? On n’y croit plus…» Le ton est à la résignation. Dans le Jura, le Val Terbi souffre également de la sécheresse de ces derniers mois. «Les sols sont gelés sur 50 cm, et donc incapables d’absorber quoi que ce soit. L’eau se perd dans les rivières», relève André Chappuis, fontainier à Corban. Agriculteur dans cette commune, Martin von Däniken a de son côté déjà dépensé quelques milliers de francs à la recherche de sources, en vain. «Voilà deux hivers consécutifs que je dois charrier de l’eau sur des routes quasiment impraticables, ce n’est pas une situation durable!» lance l’exploitant jurassien, qui se bat désormais pour faire arriver le réseau jusqu’à sa ferme. «Malgré les subsides, c’est un investissement conséquent, mais qui conditionne l’avenir de l’exploitation. A fortiori dans un contexte climatique qui ne va pas dans le bon sens, et dont nous faisons déjà les frais!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Questions à

Marc hassenauerMarc Hassenauer, hydrogéologue à Delémont (JU)

Comment expliquer ce phénomène de sécheresse dans l’arc jurassien?
La particularité des sols karstiques, c’est que l’eau y circule beaucoup plus rapidement que dans d’autres terrains. Il y a donc moins de capacité de stockage que dans d’autres types de sous-sols. Or voilà deux automnes de suite que l’étiage – la période de l’année où le niveau d’eau est le plus bas – est très long. Les précipitations du printemps ont certes été importantes, mais n’ont pas suffi à reconstituer des réserves déjà bien entamées l’automne précédent.

Faut-il s’attendre à plus d’épisodes similaires dans le futur?
Vraisemblablement, dans la mesure où le réchauffement climatique augmente la probabilité d’épisodes climatiques extrêmes et que les sous-sols de l’arc jurassien ne retiennent pas l’eau.

Y a-t-il du potentiel pour trouver de nouvelles ressources en eau?
Bien sûr, notamment via les forages à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Leurs avantages, c’est qu’ils bénéficient souvent d’une couverture de roches qui les protège de la pollution et qu’ils peuvent offrir des quantités d’eau intéressantes. Par contre, ils sont nettement plus coûteux et ne s’adressent qu’à des collectivités ou à des syndicats des eaux.