Interview
«Le vin suisse a des avantages aussi bien économiques qu’écologiques»

Malgré une année 2021 très difficile, le directeur de Swiss Wine Promotion, Nicolas Joss, tient à voir le verre à moitié plein et encourage les vignerons à continuer à promouvoir les crus de 2019 et 2020.

«Le vin suisse a des avantages aussi bien économiques qu’écologiques»

Selon les chiffres que vient de publier l’Office fédéral de l’agriculture, la vendange 2021 est la plus mauvaise depuis 1957 sur le plan national. Mais toutes les régions n’ont pas été touchées de la même manière…

➤ C’est exact. Pour certains cantons, la récolte a été extrêmement difficile: les pertes varient entre -10% et -70%. L’an dernier, on a eu la totale: du gel, beaucoup de précipitations, de la grêle et du mildiou! En Suisse romande, c’est le Valais qui a été le plus touché avec une très grosse perte de volumes. Le Chablais, Lavaux, le Nord vaudois et Neuchâtel ont aussi souffert, mais La Côte, le Vully et Genève ne s’en sortent pas trop mal. Et en Suisse alémanique, c’est Zurich le moins bien loti.

Ce sera donc très difficile de trouver une bouteille avec le millésime 2021?

➤ Oui, il faudra se lever tôt si on veut y goûter et c’est dommage parce qu’il est remarquable! J’ai eu cette chance et le chasselas est frais, superbe. Mais on ne vend pas un millésime, on vend un cru. Un vin est travaillé, élaboré et élevé afin d’atteindre son apogée au moment où on le met sur le marché. Le client ne consomme pas des chiffres: l’important n’est pas le millésime sur la bouteille, mais la qualité du vin qui est dedans.

Votre conseil aux vignerons est donc de continuer à mettre en avant leur production de ces dernières années, d’autant que les stocks ont peiné à s’écouler en 2019?

➤ Tout à fait. Il ne faut pas négliger
la production faite en amont. Si le vin
réserve des surprises en fonction des
années, l’ADN du vigneron et son savoir-
faire restent les mêmes et c’est à ces
critères-là que la clientèle se fie généralement. En outre, la cuvée la plus jeune n’a pas encore eu le temps de s’exprimer. Un chasselas 2019, c’est magnifique à déguster! Sans compter que les crus indigènes de 2018, 2019 et 2020 sont d’excellente facture. Il faudra profiter de ces années-là, parce que du 2021, il n’y en aura pas beaucoup.

Ce discours est très positif, mais suffit-
il pour motiver une profession très
touchée émotionnellement?

➤ C’est très dur, j’en conviens. Mais que faire d’autre à part tourner la page en espérant des jours meilleurs? Il est encore trop tôt pour dire si l’année en cours sera bonne, mais pour ce qui est du gel, par exemple, cela a l’air d’aller et la plupart des vignerons sont très optimistes. Ils ont appris à se battre. J’ai tout de même une pensée pour les producteurs valaisans qui n’avaient pas encore connu le mildiou jusqu’à l’an dernier… Mais même eux recommencent comme chaque fois, avec la volonté de sortir une belle vigne avant un bon vin.

Vous parlez du Valais, mais tous les cantons ne soutiennent pas la profession de la même manière…

➤ C’est sûr, il y a même des vignerons qui ne touchent rien. En Valais, il y a eu une réelle prise de conscience: les autorités réalisent que cette économie est essentielle pour eux, notamment d’un point de vue touristique. Mais pour moi, si ces aides sont utiles, elles ne représentent pas la solution parfaite: il faudrait également proposer des mesures d’accompagnement pour aller reconquérir les clients.

Des consommateurs qui se sont tournés vers les vins suisses pendant la pandémie… Continuent-ils de le faire maintenant que la crise sanitaire a pris fin?

➤ Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas les mêmes moyens de communication et promotion que les autres pays producteurs. Les gens se veulent écolos, mais se laissent séduire par les actions alléchantes de vins étrangers à prix cassés avec des labels bios qui n’en sont pas toujours. L’écobilan de ces produits n’est souvent pas pris en compte: combien est vraiment payé le kilo de raisin chez ces vignerons? Il faut changer les mentalités une bonne fois pour toutes: à qualité comparable, les crus indigènes devraient avoir la préférence des consommateurs.

Après le Covid, le conflit en Ukraine. Quel est son impact sur le secteur et les exportations sont-elles touchées?

➤ Les prix des matières sèches, comme le verre et les bouchons, vont prendre l’ascenseur, et l’augmentation des coûts de transport, liée à la hausse du carburant, aura des répercussions sur le commerce intérieur comme extérieur. Mais de nouveau, plus les gens consommeront local, moins ils seront impactés. Et plus le vigneron vendra en direct, meilleure sera sa marge.

Le réchauffement climatique touche également le secteur viticole. Quelles sont les mesures précises prises par la profession pour y faire face?

➤ Plusieurs éléments, surtout au niveau technique, sont en cours afin de faire évoluer les types de cultures. Agroscope et les centres cantonaux nous font bénéficier de leurs recherches et de leurs compétences.
Et la solidarité entre professionnels est énorme: cela fait longtemps que les barrières linguistiques sont tombées et que tous échangent au sujet de leurs expériences, de leur savoir-faire. L’époque du fendant contre le chasselas de Dardagny est révolue: aujourd’hui, toutes et tous défendent la proximité et l’entier des vins de notre pays.

Texte(s): Propos recueillis par Thérèse Courvoisier
Photo(s): Ueli Steingruber

Bio express

Après un CFC de cuisinier et un diplôme de cadre à l’École hôtelière de Genève, Nicolas Joss a travaillé au Grand Hôtel Park à Gstaad et au Lausanne Palace. Il a ensuite dirigé l’Office des vins vaudois pendant six ans et assuré le secrétariat général du Concours Mondial de Bruxelles, organisé à Aigle en mai 2019. Il est à la tête de Swiss Wine Promotion depuis le 1er juillet 2019.

Légère hausse de la consommation

Les statistiques vitivinicoles publiées par l’Office fédéral de l’agriculture sont alarmantes concernant les dernières vendanges, mais on y apprend également que la consommation de vin a légèrement augmenté en 2021 pour atteindre 255 millions de litres. Ce sont les blancs et les mousseux qui ont le vent en poupe. Malheureusement, cette hausse se reflète davantage au niveau des vins étrangers que des vins suisses.

+ D’infos Le rapport «L’année viticole 2021» est consultable sur www.blw.admin.ch