TERROIR
Le val de Bagnes cultive la tradition du michon des Rameaux

Didier Michellod est un des derniers boulangers valaisans à confectionner cette spécialité originale: un mignon petit pain bénit en pâte sucrée, fermentée lentement.

Le val de Bagnes cultive la tradition du michon des Rameaux

«Pour mon grand-père, la veille des Rameaux était une des plus grosses journées de l’année: il devait confectionner dans les 2000 pièces, quasiment seul et sans les moyens techniques actuels, dans un délai très court, pour les vendre à Verbier (VS) le samedi et le dimanche», raconte celui qui maintient la jolie tradition familiale. Deux générations plus tard, dans son laboratoire considérablement agrandi et modernisé de Sembrancher (VD), Didier Michellod s’efforce de cultiver la fabrication des michons des Rameaux. «Connu des seuls paroissiens des vallées de Bagnes et d’Entremont, l’usage voulait que chaque enfant porte un rameau et y accroche son petit pain et parfois une pomme pour l’amener à la messe. On pouvait manger notre michon à la fin de la célébration», se souvient le boulanger.
Ce matin, sur le coup de 4 h, c’est une des premières tâches qu’accomplit Carlos Guiomar, responsable de la production et collaborateur depuis une bonne trentaine d’années: réunir les ingrédients de la pâte à michon au creux du pétrin, soit de la farine, du lait, du beurre, des œufs, du sucre et un peu de sel, mais aussi un soupçon de zeste de citron pour le léger parfum caractéristique d’agrumes. «La pâte est proche de celle de la tresse, en plus riche, quelque part entre la taillaule et la brioche», précise l’artisan.
Et tourne le pétrin, jusqu’à obtenir une belle masse lisse et homogène. Et puis il va former les petits michons avant de les laisser reposer, sans quoi la masse devient difficile à travailler.

Comme un nœud de cravate
Sortie du bol mélangeur, celle-ci est divisée en petites boules de 80 grammes. Carlos Guiomar les roule en longs boudins de plus en plus fins. Après quoi, il réunit les deux extrémités du boudin et d’un savant tour de main, les entortille trois fois comme pour un nœud de cravate, avant de reformer une boucle autour. Autrement dit et pour faire simple, il façonne les pâtons un peu comme un bretzel. «Là-dessus, on va laisser reposer les petits michons et entamer une fermentation douce durant six heures à température ambiante, explique Didier Michellod. On utilise très peu de levure: c’est un produit fin et le temps reste un des ingrédients essentiels. Nous appliquons des techniques modernes aux recettes de toujours, telle la fermentation lente, en jouant sur les températures.»
Puis la série de michons est sortie de sa chambre de fermentation: sagement alignés côte à côte, joliment gonflés, ils ont pris des formes et s’apprêtent à passer au spray de jaune d’œuf pour y ajouter des couleurs avant la cuisson. Combien de temps? En gros dix minutes au four, à chaleur modérée.

Liés au dimanche des Rameaux
«À l’époque, mon grand-père devait en faire 2000 pour les Rameaux, mais la tradition se perd; l’année dernière, on en a fabriqué 1500. Et, cette année, comme il n’y aura ni messe ni procession pour cause d’épidémie, ce sera donc encore moins. En espérant tout de même les vendre», grimace Didier Michellod, dont l’entreprise ne travaille ces temps qu’à 30% de son activité habituelle…
À quand remonte la tradition des michons? Cent cinquante ans au moins, voire beaucoup plus, estime Gérard Puippe, animateur pastoral de la paroisse de Bagnes, qui s’est intéressé à la question et a recueilli les récits d’aînés. «C’est une tradition très locale, qui se retrouve dans la vallée de Bagnes et d’Entremont, à Martigny et Bovernier – où nous essayons de la relancer –, voire dans le Val d’Aoste. Ce sont souvent les parrains et marraines qui offrent ces michons aux enfants. Ils ont l’interdiction d’y goûter avant la fin de la cérémonie, ou de la procession. Liés à la fête des Rameaux, les michons évoquent l’entrée de Jésus à Jérusalem, un moment festif et glorieux où il est acclamé comme un roi, précédant le martyre et la douleur qui sont au cœur de la Semaine sainte. Ces deux éléments sont ici réunis avec les rameaux de genévrier, évoquant la douleur et le martyre, et le petit pain sucré et la pomme qu’on y accroche pour le côté festif et la douceur.»
Il se trouve encore quelques rares boulangers qui sacrifient à la tradition, le dimanche des Rameaux. Et oui, on allait oublier: le michon est un petit pain aussi délicieux que son nom est facétieux.

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Mathieu Rod

Pains bénits

«Fruit de la terre et de travail des hommes, le pain occupe une place particulière dans la religion catholique», relève le patrimoine culinaire. La tradition des pains bénits, distribués aux fidèles et parfois aux pauvres, reste vivace dans certains villages valaisans, en particulier lors des fêtes de Pâques, Pentecôte ou patronales. Contrairement à la pratique du michon bagnard, il s’agit souvent de gros pains qui sont partagés entre les fidèles. Le patrimoine distingue en outre deux origines: le pain bénit remontant aux premiers siècles du christianisme, très populaire au Moyen Âge et considéré alors comme une garantie contre les dangers spirituels et matériels. L’autre tradition est liée à l’organisation sociale valaisanne et consiste en distributions de pain bénit aux pauvres, après la messe, par les bourgeoisies ou les familles aisées d’une région, manière de rééquilibrer les richesses.

L’artisan Didier Michellod

Didier Michellod est la troisième génération d’une dynastie d’artisans bagnards. Son grand-père Armand ouvre en 1949 une modeste boulangerie dans le vieux village de Verbier; son fils Gérard lui succède en 1979 et l’enseigne se développe au même rythme que la station valaisanne. Didier Michellod lui donne une impulsion nouvelle en la sortant de la station et de son fonctionnement saisonnier et en ouvrant plusieurs nouvelles boulangeries dans tout le Bas-Valais. La fabrication est désormais centralisée dans un vaste laboratoire à Sembrancher pour treize points de vente de Saint-Maurice à Fully. Malgré cette croissance, le chevalier de la Confrérie du Bon Pain reste centré sur l’excellence, avec de nombreux produits primés lors de concours. Vingt-huit tonnes de farine de seigle sont transformées et en plus d’une trentaine de pains différents.
+ D’infos www.boulangerie-michellod.ch