Portrait
Le taxidermiste aux doigts de fée ressuscite les animaux du musée

Depuis près de trente ans, André Keiser empaille oiseaux, mammifères, reptiles et poissons, exposés au Musée de zoologie de Lausanne. Son fascinant atelier est ouvert au public durant les Journées des métiers d’art.

Le taxidermiste aux doigts de fée ressuscite les animaux du musée

Vêtu d’un simple bleu de travail, il se dirige vers le majestueux Palais de Rumine. Arrivé en haut des marches de l’entrée principale, il bifurque et pousse une vieille porte en chêne située dans les jardins. «Voilà, vous êtes ici dans mon atelier. C’est un peu à l’écart et mal rangé, mais j’y suis bien», sourit André Keiser. Depuis bientôt trente ans, ce Genevois est le taxidermiste attitré du Musée de zoologie de Lausanne, qui se trouve cinq étages plus haut. Dès ce vendredi et jusqu’au dimanche 22 avril, sa profession sera mise à l’honneur lors des Journées européennes des métiers d’art. À cette occasion, une centaine de personnes auront la chance de pénétrer dans son antre pour le voir à l’œuvre.

«Je vais leur montrer comment empailler une buse. C’est toujours agréable d’expliquer mon métier aux curieux, surtout aux enfants. Ils ont souvent des tonnes de questions à me poser.» Il est vrai que l’endroit intrigue. Sculpture de wallaby, requin en plâtre, chouette empaillée et crapaud séché: la vaste pièce a des allures de cabinet de curiosités. Dans sa main, l’artisan de 50 ans tient précautionneusement une peau de cigogne, récemment retirée de l’animal. «Je suis un grand amoureux des oiseaux. Ma spécialisation est d’ailleurs la préparation et la conservation des volatiles ainsi que des petits mammifères. Mais, j’ai eu l’occasion de toucher à de nombreuses espèces au fil de ma carrière.»

Un rêve d’enfant accompli

Ses premiers pas dans la profession remontent aux années 1980, alors qu’il n’a que 14 ans. Peu intéressé par l’école, le garçon passe son temps à traîner dans les abattoirs de la Praille, à Carouge (GE), où son père est employé. «Nous vivions dans les logements de fonction juste à côté. Je voyais donc souvent des cadavres d’animaux et j’ai développé une sorte de fascination à leur égard, raconte André Keiser. D’ailleurs, je me suis mis à récolter les crânes de certains bestiaux pour en faire la collection.» Bien que ses parents souhaitent qu’il travaille à La Poste, il décide tout de même de se présenter au Muséum d’histoire naturelle de Genève, à l’âge de 16 ans. «C’est comme ça que j’ai commencé mon apprentissage. On m’a très vite fait confiance et j’ai pu m’occuper tout seul d’un aigle du Salève. Ce fut une vraie révélation.» Après avoir exercé deux ans en tant que taxidermiste au Musée d’histoire naturelle de Bâle, il est finalement engagé au Musée de zoologie de Lausanne, son job de rêve. «J’adore travailler au sein d’une institution publique, car c’est très varié. Je peux très bien empailler une souris en janvier et un félin en février!»

Chaque année, une cinquantaine d’animaux passent entre les mains d’André Keiser. Au fil du temps, sa technique s’est perfectionnée. Il reçoit les bêtes congelées – généralement mortes des suites d’un accident ou d’une maladie – en provenance d’un zoo ou d’une volière. Après avoir décongelé la pièce, le quinquagénaire l’ouvre afin de retourner la peau. Les yeux, la cervelle et la musculature sont ensuite retirés, pour ne conserver que l’ossature et les articulations. Si l’animal a vocation à être exposé, la peau est enfilée sur un mannequin de plâtre, puis cousue. Pour plus de précision, ce grand perfectionniste utilise parfois du fil de fer, de la terre glaise et de la peinture. Des yeux de verre d’un réalisme absolu peaufinent le tout. «Chaque arrivage est un nouveau défi. Ce qui est montré dans le musée n’est qu’une infime partie de nos collections. La véritable richesse se trouve dans nos dépôts, où nous détenons une grande collection d’oiseaux empaillés avec de la laine de verre. Un patrimoine précieux pour les scientifiques.»

Si la taxidermie permet d’étudier la faune, le Lausannois d’adoption admet que son activité appartient aussi au domaine artistique. «Les humains ont une fascination envers les animaux. Les empailler, c’est le moyen de s’approcher d’eux, de les toucher, de saisir leurs détails. Pour reproduire une posture naturelle, j’utilise des photos de la bête vivante. La mise en scène est très importante.»

Amour inconditionnel

Dans les vitrines du Musée de zoologie, ouvert en 1818, bon nombre de ses créations trônent fièrement. La plus imposante: une tigresse de Sibérie reçue du Zoo de Servion (VD), qui a nécessité près de six mois de travail. Ainsi que le plus grand requin blanc actuellement conservé au monde, qu’il a restauré en 2005. Très modeste, le discret naturaliste est loin de s’en vanter. Il préfère parler de son plus beau souvenir, celui passé avec une grive litorne, une espèce de passereau, empaillée au début de sa carrière. «J’étais très satisfait quand je l’ai terminée. Mais je ne l’ai plus revue depuis. Aujourd’hui, je lui trouverais sûrement des défauts. Chaque taxidermiste a les siens.»

À la fois chirurgien, sculpteur et scénographe, André Keiser met un point d’honneur à ne travailler qu’avec des espèces qui n’ont pas été chassées ou braconnées. «Tout comme je ne veux pas avoir affaire à des bêtes que j’ai connues vivantes. L’amour et le scalpel sont incompatibles.» Déambulant dans son spectaculaire atelier, ce grand sensible confie qu’il ne pourra pas continuer ce métier toute sa vie. «Le jour où la vieillesse m’empêchera d’être aussi minutieux, j’arrêterai. Je respecte trop les animaux pour ne pas leur rendre hommage comme ils le méritent.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre