Enquête
Le projet de Sainte-Croix crée un appel d’air pour l’éolien suisse

Six éoliennes pourraient voir le jour sur la commune de Sainte-Croix. Le projet vient d’obtenir les faveurs du Tribunal cantonal vaudois, témoignant d’une nouvelle dynamique en faveur de l’énergie éolienne.

Le projet de Sainte-Croix crée un appel d’air pour l’éolien suisse

La Suisse romande comptera-t-elle bientôt un nouveau parc éolien? Porté par Romande Énergie, le projet d’implantation de six éoliennes sur les hauts de la commune de Sainte-Croix (VD) a franchi le 8 novembre une étape importante lorsque le Tribunal administratif du canton de Vaud a validé le plan d’affectation.
Les éoliennes ne vont certes pas pousser sur les hauteurs vaudoises du jour au lendemain, puisque de nouveaux recours repousseraient le dossier au Tribunal fédéral, mais cette décision n’en est pas moins cruciale: c’est le premier exemple de l’application du concept d’«intérêt national» énoncé dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050. Afin d’atteindre les objectifs fixés au niveau suisse, le texte prévoit en effet qu’à chaque débat sur l’implantation d’un parc éolien, il soit procédé à une pesée d’intérêts. D’un côté de la balance, la nécessité d’augmenter la part d’énergie renouvelable dans le mix helvétique. De l’autre, la protection du paysage, de la faune et de la qualité de vie des riverains. Inédite, la décision des juges vaudois, qui estiment que la production d’électricité éolienne prime les autres arguments dans le cadre du projet de Sainte-Croix, ne passe pas inaperçue.
«On doit bien sûr attendre les éventuels recours, mais c’est une nouvelle encourageante», se félicite Lionel Perret, responsable du Centre Info Romandie de Suisse Éole. Du côté de Romande Énergie, à la base du projet de parc éolien, on prend note d’une décision représentant «un signe positif pour l’avancée de l’ensemble des projets éoliens».

La nature au deuxième plan
Les opposants, eux, s’inquiètent d’un jugement qui pourrait être le premier signe d’une concrétisation plus rapide des projets éoliens. «On ne doit pas sacrifier la nature sur l’autel de la transition énergétique», affirme François Turrian, directeur de BirdLife Suisse, qui avait déposé un recours conjoint avec Helvetia Nostra. Ce qui pousse le biologiste à agir, c’est l’impact des éoliennes sur un biotope qui constitue un site important pour le grand tétras, une espèce menacée en Suisse. «Nous constatons à regret que des sites naturels de valeur courent le risque d’être industrialisés par l’éolien, souligne François Turrian, qui estime que les autorités cantonales auraient dû renoncer aux machines situées dans les zones les plus problématiques pour l’avifaune. La loi précise d’ailleurs que la pesée des intérêts ne peut être effectuée qu’après vérification que le projet ne viole pas la législation.»
S’ils craignent que la décision du Tribunal cantonal ne soit synonyme d’une valorisation systématique de la production énergétique aux dépens de la biodiversité, les oppositions auront néanmoins permis d’attirer l’attention des juges sur le danger que représentent les éoliennes pour les oiseaux migrateurs (lire l’encadré ci-contre). Les mesures imposées à Sainte-Croix sont loin d’être anodines: «Contraignantes et coûteuses, elles ont un véritable impact sur la production», constate le porte-parole de Suisse Éole.

Accélération des procédures
Au-delà des conséquences locales du parc éolien de Sainte-Croix, la décision vaudoise pourrait servir d’exemple dans d’autres procédures en cours: «Il y a un risque réel d’effet domino», reconnaît Jean-Marc Blanc, secrétaire général de l’association Paysage-Libre Vaud. D’autant que les dossiers liés à l’éolien, hautement émotionnels, techniques et impliquant des intérêts divers, sont complexes et encore nouveaux pour les autorités et les juges: «Chaque projet est unique, avec son contexte et ses enjeux, note Lionel Perret. Pour les étudier de manière efficace, il faut accumuler des connaissances à tous les niveaux, de l’échelle nationale à celle des communes. C’est le seul moyen de concilier des intérêts divergents.» En Suisse, une vingtaine de projets de parcs éoliens sont au point mort, bloqués par les recours et, surtout, par le temps que prend l’examen de ces derniers. L’enjeu est de taille: pendant que le dossier traîne, la technologie évolue, ce qui aboutit parfois à des situations rocambolesques, comme lorsque les éoliennes prévues lors de la mise à l’enquête ne sont plus disponibles sur le marché au moment de la construction.
Le projet de Sainte-Croix fait justement figure de vétéran, lui qui a été lancé voilà vingt ans. Les opposants ont désormais jusqu’au 10 décembre pour déposer leurs recours – le groupement local entend agir, les ONG écologistes et de protection du paysage se laissent le temps de la réflexion – auprès du Tribunal fédéral. Si la décision de ce dernier confirme le choix de l’institution cantonale, les six machines seront construites en un ou deux ans. Et elles ouvriront une voie royale à l’éolien suisse.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Questions à...

Fabien Lüthi, porte-parole de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN)

Le Tribunal cantonal vaudois vient de se prononcer en faveur du parc éolien de Sainte-Croix. Cette décision est-elle le signe d’une volonté nationale d’encourager les projets éoliens?
Nous ne demandons pas de traitement privilégié pour les projets d’énergie éolienne. Les effets d’un parc éolien – positifs comme négatifs – doivent être évalués de manière neutre et pesés les uns par rapport aux autres. C’est exactement ce qu’a fait le Tribunal cantonal vaudois.

Ce verdict va-t-il faire jurisprudence?
La protection des oiseaux, le bruit ou la protection du paysage sont souvent cités comme motifs d’opposition aux projets éoliens. On peut s’attendre à ce qu’une pratique judiciaire sur ces questions, encore peu connues en Suisse, s’installe progressivement. Une position claire des tribunaux contribuera certainement à accélérer les procédures d’autorisation.

Comment l’OFEN s’engage-t-il pour promouvoir l’énergie éolienne?
L’OFEN informe le public sur les possibilités et les risques liés à l’utilisation de l’énergie éolienne, notamment avec une exposition itinérante qui fera halte en Romandie en 2019.

Pause migration

Si le Tribunal cantonal a validé le projet de Sainte-Croix, les recourants ont obtenu gain de cause sur un point: le permis de construire est assorti d’une condition qui force Romande Énergie à prendre des mesures limitant les risques pour les oiseaux migrateurs. «Ces mesures pourraient consister en la mise en place d’un ou deux radars de détection de flux migratoire des oiseaux, couplée au suivi d’un ornithologue mandaté par Romande Énergie», explique Florence Schmidt, responsable du projet. Lorsqu’un important vol est détecté, les éoliennes pourraient être mises à l’arrêt afin de limiter le risque de collisions.