NOEL
Le physique un peu ingrat de la dinde vaut bien sa chair savoureuse

En cette période, la dinde farcie est un mets particulièrement apprécié. À La Chaux (VD), Cédric Chanson est l’un des derniers Romands à perpétuer la tradition de l’élevage de cette volaille au gabarit imposant.

Le physique un peu ingrat de la dinde vaut bien sa chair savoureuse

Un long cou surmonté d’une petite tête chauve, un plumage clairsemé et monochrome dont la blancheur originelle est vite mise à mal par la promiscuité: évidemment, la dinde n’a rien d’un prix de beauté. À la ferme des Cageoles, cette robuste bête n’en a pas moins droit à son coin rien qu’à elle, et à un poulailler chauffé, bien isolé et à l’abri des courants d’air en dépit de l’accès permanent au petit jardin de plein air clôturé où ces dames aiment à brouter. Enfin, lorsqu’il ne fait ni trop froid ni trop humide: «Les dindes craignent les intempéries et sont sujettes aux refroidissements, indique Cédric Chanson, responsable de la boucherie du domaine (voir encadré). Pour le reste, à part un local et de l’eau propres, elles ne sont guère exigeantes.»
Lorsque le domaine familial s’est recentré sur la production et la vente directe de viande d’animaux élevés en plein air, la dinde s’est vite imposée comme une spécialité appréciée de la clientèle. «Mon père en produisait quelques-unes, mais pour un cercle restreint de consommateurs, essentiellement dans la famille», se souvient Cédric Chanson. Il faut dire aussi que les producteurs romands sont peu nombreux sur les rangs. «Migros a mis fin à l’activité de ses halles d’élevage de dindes, et les fournisseurs se sont pour la plupart reconvertis dans celui des poulets», relate l’agriculteur. Si quelque 50’000 dindes sont produites dans des élevages d’engraissement de 1400 à 2000 têtes, elles sont destinées à la préparation au détail; les dindes entières vendues dans le commerce viennent en majorité de France.

Le poids idéal
C’est évidemment en cette période précédant les Fêtes qu’elles sont les plus nombreuses à La Chaux (VD): une quarantaine de volatiles y glougloutent discrètement, contre une trentaine le reste de l’année. Toutes proviennent de l’élevage spécialisé de Jean-Luc Decollogny, à Reverolle (VD). À leur arrivée, elles sont âgées de 4 semaines et «font déjà la taille d’un bon poulet», précise le boucher-paysan. Se nourrissant d’herbages frais – les mêmes qui font le reste du temps le régal des quelques brebis du domaine – et d’aliment complet acheté au Moulin de Cossonay, elles font presque deux livres à dix semaines. Prêtes pour l’abattage! «On attend parfois encore jusqu’à cinq semaines, note Cédric Chanson. Les plus grosses peuvent peser jusqu’à 20 kg.»
Ces championnes-là sont vendues au détail à la boucherie du domaine ou par lots comprenant filet, émincé, cuisse et aile, rôti coupé dans la cuisse et ragoût. Celles qui sortent entières (mais néanmoins plumées et étêtées…) de l’étal peuvent faire jusqu’à 10 kg, mais la moyenne est de 4,5 kg. Plus petit, l’oiseau ne convainc guère le boucher: même si la chair de la dinde est plus ferme, moins grasse et plus savoureuse que celle du poulet, «il y a plus à manger dans un gros poulet fermier de 2,5 kg que dans une petite dinde, fait-il observer. Et une demi-dinde de 4 kg offre un meilleur ratio entre chair et os qu’une volaille entière du même poids. On peut même la farcir. Mais les gens tiennent à leur dinde entière pour Noël.» La version la plus alléchante, et la plus sophistiquée? Une dinde entière, mais désossée, ouverte en filet et farcie avant d’être roulée et ficelée. «J’en ai préparé une récemment pour une cliente», sourit-il.

Entière et farcie
De fait, la tradition est bien ancrée – la région compte même quelques expatriés d’outre-Atlantique qui commandent leur dinde pour Thanksgiving, début novembre (voir encadré). «Beaucoup de gens la farcissent eux-mêmes, avec une farce fine au veau, au cognac et souvent aux marrons.» Le mode de cuisson varie, a-t-il remarqué, lui qui aime bien s’enquérir de leurs habitudes culinaires auprès de ses clients. «Souvent, les gens la cuisent le jour d’avant et la font réchauffer lentement à 120°C. Chez nous, on la poche dans un bouillon de légumes avant de la faire dorer au four. Elle est ainsi plus juteuse et a plus de goût.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Mathieu Rod

Venue d’Amérique, pas d’Inde

Manger de la volaille à Noël est une tradition millénaire. Si le poulet faisait le bonheur des familles modestes, c’est l’oie qui tenait le rôle principal sur les tables des nobles, cédant dès le XVIe siècle ce rôle à la dinde, importée du Mexique par les Espagnols et considérée comme le sommet du chic. La dinde rôtie pour la Journée d’Action de grâce, aux États-Unis, tire quant à elle son origine des festins organisés par les Pères pèlerins à l’issue des premières bonnes récoltes des nouvelles colonies: l’histoire rapporte en effet que des dindes sauvages et des pigeons y furent servis.

Le producteur Cédric Chanson

À la ferme des Cageoles, on vend tout en circuit court, voire très court, grâce à l’espace boucherie installé directement à la ferme. Car la spécialité de ce domaine de La Chaux (VD), où vivent deux générations et trois familles, c’est la viande, produite en quantités modestes, mais selon de hauts standards de bien-être animal: le domaine compte 160 vaches allaitantes, un petit troupeau d’une quinzaine de brebis, une soixantaine de poulets et bien sûr les dindes. «Mon frère aîné est responsable de l’élevage, moi de la boucherie», résume Cédric. À part l’abattage, tout est fait sur place, y compris les salaisons et fumaisons artisanales au feu de bois; le soin extrême apporté à la fabrication artisanale a fait la réputation de la boucherie et de la charcuterie de la ferme qui emploie cinq personnes, dont un apprenti, en plus de Cédric. La vente est simplifiée par un système de libre-service autorisant le paiement par carte. «On est également membres de l’association Marché Paysan et on fournit une vingtaine de magasins entre Orbe, Perroy, Cossonay et Lausanne.»
+ D’infos www.boucheriechanson.com