Les tubes de l’été 2/4
Le Parfait, un trésor national que l’on tartine depuis plus de 65 ans

La Suisse, c’est le chocolat, les banques, les montres, mais encore… les aliments en tube. Car dans ce domaine, nous avons aussi été des précurseurs. Zoom sur ces produits devenus emblématiques.

Le Parfait, un trésor national que l’on tartine depuis plus de 65 ans

Que le Suisse qui n’en a pas un tube au fond du frigo lève la main! Le Parfait est une institution helvétique, au même titre que l’Ovomaltine ou le Cenovis. Depuis 1950, il garnit nos tartines. Un vrai tour de passe-passe! En effet, la composition de cette crème-sandwich pourrait laisser sceptique un novice: 45% de levure de bière, 12% de foie de porc, des graisses végétales, des cornes d’abondance, des épices et un peu d’amidon. Le résultat est épatant: une pâte dont la couleur oscille entre le saumon et le gris, et qui pourtant a un sacré petit goût de reviens-y! La recette, originale et inchangée depuis, on la doit à Claude Blancpain, Erwin Haag et Rose-Blanche Sourdeau-Haag, tous trois chimistes. Le premier, héritier de la Brasserie du Cardinal, invente dès 1942 des pâtes à tartiner à base de levure de bière. Il créée l’entreprise Dyna (subtile allusion à Cardinal) et ses Pâté Dyna et Pâté Tartex (TARTine EXquise) connaissent un grand succès jusqu’en 1945. Ensuite, c’est le flop. Avec la fin du rationnement, plus personne n’a envie de manger ces succédanés de viande. Erwin Haag a alors une idée de génie. Il ajoute une portion de foie de porc et quelques miettes de truffe. Il rebaptise le produit Le Parfait et lui dessine un emballage rouge et blanc par avance iconique. Pour preuve, il n’a pratiquement pas changé depuis.
En 1962, Le Parfait se met en tube, suivant ainsi l’exemple des mayonnaises et moutardes Thomy. Huit ans plus tard, l’entreprise Dyna est d’ailleurs vendue à Usina-Franck, la firme de Hans Thomi. En 1971, elle est reprise par Nestlé, qui remplace les truffes par des cornes d’abondance et lance progressivement sur le marché de nouvelles recettes. Celle du Parfait n’a en revanche pas beaucoup changé. Elle ne contient aucun additif, mais 45% de levure de bière, riche en protéines, vitamines B et sels minéraux. Levure dont les vertus sont connues depuis des millénaires. Bien sûr, il y a aussi un peu de graisses végétales, raison pour laquelle les nutritionnistes recommandent de ne pas ajouter de beurre aux tartines de Parfait. Mais qui aurait l’idée de commettre un tel sacrilège?


Pas de Parfait sans bière  
Ce n’est pas un hasard si Claude Blancpain inventa cette curieuse pâte à tartiner, en 1942. Il est le petit-fils du fondateur de la Brasserie du Cardinal à Fribourg, Paul-Alcide Blancpain. Le houblon et le malt sont une affaire familiale. Or, pour initier le processus de fermentation de la bière, il faut de la levure: ce fameux champignon Saccharomyces cerevisiae. Longtemps, les résidus étaient destinés à l’alimentation animale, jusqu’à ce que Claude Blancpain les recycle en «pâtés à usage diététique»: Pâté Dyna et Pâté Tartex.
Il installe son entreprise Dyna dans les locaux de la brasserie familiale, proche de la gare de Fribourg. Ce n’est qu’en 1959 qu’une usine distincte sera construite. Depuis 2008, Le Parfait n’est plus produit en terres fribourgeoises, mais à Bâle, dans l’usine Thomy. Les brassins de Cardinal se sont vidés en 2011.


Un ersatz pour temps de crise
«Dyna, c’est tout un repas sans coupon»: en 1942, c’est un sacré argument de vente. En effet, l’économie de guerre impose des mesures de rationnement à la population suisse. Sucre, légumineuses, graisses, huile, fromage, œufs et lait sont rationnés progressivement dès 1939. En mars 1942, c’est au tour de la viande.
Alors que deux jours «sans» hebdomadaires avaient déjà été imposés l’année précédente. Pour obtenir ses rations, il fallait alors présenter des coupons officiels. Avec ses pâtés à base de levure de bière et de graisses végétales, Claude Blancpain est épargné par les contraintes du rationnement. Sa petite entreprise obtient rapidement le soutien des autorités politiques qui lui octroient le droit d’utiliser du fer-blanc pour ses emballages. Matière elle aussi soumise au rationnement.


Cherchez la truffe
«Plus qu’un simple foie gras»: c’est avec ce slogan racoleur que les publicitaires vantaient Le Parfait en 1963. À l’époque, la crème-sandwich était effectivement encore «enrichie de truffes». Un ingrédient qui, on l’imagine, fit beaucoup pour redorer le blason de cette pâte à tartiner, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. À la fin des années soixante,
la renommée du Parfait était telle qu’on le retrouvait jusque sur les étals du prestigieux magasin Harrods, à Londres. Gageons que les miettes du précieux champignon, réparties parcimonieusement dans le pâté, y sont pour beaucoup. Quand a disparu la truffe au profit de la corne d’abondance? Dans les années nonante. Les deux champignons ont certes la même couleur, mais pas le même prix, ni le même goût!


Dyna et Tartex 100% végétal
En 1942, on était sans doute végétarien, faute de mieux! Il faut dire que durant la Seconde Guerre mondiale, les restrictions alimentaires sont une réalité, en Suisse aussi. Avec leurs pâtés «entièrement végétaux», les deux entrepreneurs lançaient un produit quasiment révolutionnaire. La recette ne comportait pas encore de foie de porc, mais essentiellement de la levure de bière (qui est un champignon), des huiles végétales et des épices. On ignore de quelles sources de lipides il s’agissait. Aujourd’hui, la composition indique «graisse de palmiste (d’origine durable)». Ici aussi, l’industrie a donc recours à cette source de graisse bon marché mais peu recommandable tant au niveau nutritionnel qu’à cause de son impact environnemental. Le Parfait l’est-il encore? Vraiment? À noter que la marque Tartex existe toujours. Elle est désormais allemande et vend toujours des pâtés 100% végétariens, bios et véganes.


De toutes les couleurs
Dès 1962, deux nouvelles variétés apparaissent sur le marché. L’une aux herbes, l’autre au jambon. Depuis la reprise par Nestlé, quatre produits se sont définitivement imposés: Le Parfait original (rouge, 1950), celui au foie de volaille (jaune, 1995), celui aux fines herbes et à l’ail (vert, 1996) et celui au thon (bleu, 2002). Il s’en fabrique 700 tonnes par année, uniquement pour le marché suisse.

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): Archives Historiques Nestlé, Vevey