L'été des explorateurs 1/4
Le massif jurassien est un paradis pour les chasseurs de fossiles

Durant tout le mois de juillet, nous partons à la chasse aux trésors de la nature. Premier épisode non loin de Porrentruy, aux côtés d’un paléontologue.

Le massif jurassien est un paradis pour les chasseurs de fossiles

L’air vibre dans la chaleur du milieu de journée. Sur cette parcelle caillouteuse creusée entre deux champs labourés, pas le moindre souffle de vent pour rafraîchir l’atmosphère. Ça sent la pierre chaude et la poussière. Nous sommes sur la colline du Banné, proéminence calcaire qui domine Porrentruy et qui fait le bonheur des paléontologues depuis le XIXe siècle. Le site jurassien est si riche en vestiges préhistoriques qu’il a donné son nom à un type de sédiments fossilifères: les marnes du Banné. «La roche friable qui se trouve sous nos pieds est un témoin de ce à quoi ressemblait le Jura 152 millions d’années avant notre ère, explique Gaël Comment, conservateur au Jurassica Museum de Porrentruy. Il s’agissait d’une zone de plages et de lagons, parfois recouverte par les eaux de l’océan Téthys en fonction des variations climatiques.» Juste à côté du lieu où nous nous trouvons, les scientifiques ont d’ailleurs mis au jour des traces de dinosaures. Mais alors, nous pourrions trouver des ossements de diplodocus? «En théorie, oui, sourit Gaël Comment. Mais rien ne le garantit. Pour qu’un squelette se conserve, il faut qu’il soit rapidement enfoui dans le sol. Les plages du jurassique ne présentaient pas les caractéristiques idéales pour cela.» Peu importe les doutes du chercheur: il n’en faut pas plus pour éveiller les espoirs d’un paléontologue amateur.

Sueur et patience
Un tintement métallique, puis un autre: agenouillé au milieu de l’étendue de roche claire qui réverbère la lumière du soleil, Gaël Comment creuse en s’aidant d’un marteau à l’extrémité pointue. La chaleur de cette journée estivale nous met vite en sueur. Attentifs à la moindre forme inhabituelle qui pourrait indiquer la présence d’un fossile, nous scrutons chaque caillou avant de les écarter de la main. La poussière s’élève dans l’air, recouvre nos mains, pénètre dans nos narines. Soudain, une arête trop régulière, une bosse trop arrondie: c’est un fossile. Grattant le sol du bout des doigts, Gaël Comment libère l’objet du carcan de sable et de roche dans lequel il est enfoui depuis des millions d’années. «C’est ce que l’on appelle un bivalve, explique-t-il en époussetant sa trouvaille. Un coquillage rempli de sédiments qui se sont peu à peu fossilisés.» Rien de bien excitant pour le paléontologue, qui dépose le bivalve dans une seille en plastique. Dix minutes plus tard à peine, le seau noir contient sept autres spécimens. Parmi eux, une amusante coquille en pointe, ­typique de la région, évoque la présence d’Harpagodes oceani, un gastéropode dont la carapace était dotée de six extensions allongées.

Les pilleurs de fossiles existent
Un jour, à une époque si éloignée qu’elle met à mal notre perception du temps, ces sculptures naturelles furent des êtres vivants. Un aspect qui explique sans doute la fascination qu’exercent les fossiles sur les promeneurs de tout poil. Mais prudence: légalement parlant, la chasse aux fossiles se situe dans une zone grise. «En Suisse, le sous-sol appartient aux cantons, souligne Robin Marchant, conservateur de géologie et de paléontologie au Musée d’histoire naturelle de Lausanne. Une trouvaille qui peut être considérée comme une curiosité naturelle doit être signalée.» Car les dérives existent: il arrive qu’un site de fouille prometteur soit pris d’assaut, marteaux-­piqueurs à l’appui, et dépouillé en une seule nuit. Impossible pour les paléontologues d’évaluer combien de trouvailles d’une valeur inestimable leur ont échappé ainsi pour disparaître chez des collectionneurs privés. Mais comment savoir si le fossile trouvé au détour d’une balade présente un intérêt scientifique? «Il suffit de demander l’avis d’un spécialiste, par exemple dans un musée, dit Gaël Comment. Dans l’immense majorité des cas, on vous laissera repartir avec votre fossile.» Et pour être vraiment sûr de ne causer aucun tort, la meilleure solution est encore de grimper sur la colline du Banné: là, la fouille est encouragée et encadrée.
La seille est bien pleine et les fronts trempés de sueur. C’est l’heure de faire une pause. À l’ombre, nous étalons les trophées du jour. Ils nous sont à la fois familiers et terriblement lointains. La chasse aux fossiles, c’est peut-être le seul moyen de se sentir tout petit face à un coquillage.

+ D’infos Les fouilles du Banné sont ouvertes au public d’avril à novembre, trois après-midi par semaine, www.jurassica.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Notre expert

Gaël Comment

Sa première ammonite fossilisée, trouvée lors de vacances familiales, trône toujours sur son bureau. Jurassien, géologue de formation, Gaël Comment est conservateur au Jurassica Museum de Porrentruy. Entre 2006 et 2012, il a fait partie de l’équipe de paléontologues qui a effectué une grande campagne de fouilles sur le tracé de la Transjurane. Il partage son temps entre la muséographie et la stratigraphie, l’étude des couches de roche, à la recherche d’indices de datation.

Quatre trouvailles hors du commun

 

Escargot à pointes
Chez les gastéropodes, il y en a qui sont plus gâtés par la nature que d’autres. Harpagodes oceani fait partie des premiers: avouez qu’il a une certaine allure avec ses excroissances allongées et sa coquille pointue. C’est surtout un fossile typique des marnes du Banné.

 


 

Rencontre d’huîtres
Ces Actinostreon, des huîtres fossilisées, ont été retrouvés dans les marnes du Banné. Contrairement à de nombreuses autres espèces, la coquille de ces mollusques se conserve parfois jusqu’à nous. Fragiles, elles doivent être manipulées avec prudence.

 


 

Un croco qui avait les crocs
Machimosaurus: c’est le petit nom d’un crocodile qui écumait les lagons chauds et peu profonds du Jura préhistorique. Ce saurien aux dents impressionnantes, présent dans toute notre Europe actuelle, pouvait mesurer jusqu’à 10 mètres du museau au bout de la queue.

 


 

Carapace de tortue
Durant la campagne de fouilles réalisée sur le chantier de la Transjurane, les paléontologues ont mis au jour plus de 80 carapaces de tortue. La preuve que ces animaux vivaient déjà à la période du Jurassique