Terroir
Le Ketch’up de la Dauphine se déguste à la cuillère, en sauce ou en tartine

Depuis dix ans, Florence Dauphin concocte un coulis à la tomate et aux fruits de la région. Un étonnant mélange entre vinaigre, pomme, poire ou rhubarbe, qui redonne ses lettres de noblesse à ce condiment populaire.

Le Ketch’up de la Dauphine se déguste à la cuillère, en sauce ou en tartine

Cet après-midi, le remue-ménage qui anime la cuisine de Florence Dauphin contraste avec le calme des ruelles de Berolle (VD). Vêtue d’un tablier blanc, les cheveux remontés en chignon et le regard vif, l’artisane est en plein travail. Attention, elle n’aime pas être dérangée. «Mais non, vous ne me gênez pas! Il faut juste que j’avance sinon ce ne sera jamais prêt», lance-t-elle dans un éclat de voix rieur. Depuis près de dix ans, de juin à octobre, elle confectionne un Ketch’up La Dauphine 100% local qui se vend comme des petits pains. Nature, au piment d’Espelette ou de Goumoëns, sa sauce au goût prononcé résulte d’un savant mélange d’ingrédients inattendus.
Pour commencer, la quinquagénaire est allée chercher près de quarante kilos de tomates séduction au Domaine des Loveresses, à Yens (VD). «Les coeurs de boeuf font aussi l’affaire, tant qu’elles ne sont pas trop mûres, ni piquées.» Après avoir été découpés en deux, les fruits sont passés au four à vapeur durant quelques minutes pour que leur peau se relâche. «Ensuite, je mixe tout, même les pépins! C’est bon pour la santé», assure-t-elle. Enfin, la préparation est mélangée à des oignons caramélisés, dans un récipient en cuivre. Près de vingt-quatre heures de cuisson seront nécessaires pour obtenir une consistance veloutée, couleur carmin. «Ici, pas besoin de produits chimiques contrairement aux ketchups industriels. Tout est naturel. Il suffit d’être patient et de laisser la magie opérer par elle-même.

Florilège de saveurs
Ce n’est pas fini. «L’étape suivante est cruciale», nous prévient Florence Dauphin, un couteau économe dans une main et un plateau dans l’autre. Pour donner du caractère à sa mixture, elle ajoute des pommes, des poivrons et du vinaigre maison. «Ça, ce sont les ingrédients de base. Suivant les saisons et les récoltes, j’improvise!» Poires au sirop, rhubarbe, abricots, raisinets ou prunes et même confiture pomme-gingembre. Rien n’arrête la créativité de la Vaudoise, si ce n’est une certaine éthique culinaire. «Je n’utilise que des produits de la région que je vais chercher dans les fermes alentour et dans les marchés paysans. Cela plaît aux clients.» Si sa recette peut paraître anarchique, tout comme le joyeux bazar qui règne dans son laboratoire, la paysanne en a fait sa marque de fabrique. «À chaque nouvelle cuite, je teste des mélanges inédits et je goûte. Si ce n’est pas réussi, j’arrange le tir en ajoutant d’autres ingrédients, jusqu’à que je sois satisfaite. C’est en se trompant que l’on apprend, non?»
L’heure de l’assaisonnement a sonné. La productrice ajoute du laurier et de la livèche fraîchement cueillis au jardin. «Il y a aussi d’autres herbes, mais je ne vais tout de même pas vous divulguer tous mes secrets…», glisse-t-elle d’un air amusé. Dès demain, le nectar aura réduit de moitié, ce qui lui permettra de remplir septante bouteilles à l’aide de son mari. «C’est la partie la plus technique. Autrement, je préfère travailler seule, pour suivre avec attention mon produit. C’est un réel plaisir.»

Un produit familial
Si le ketchup est une sauce populaire importée de Chine (voir encadré ci-dessus), Florence Dauphin s’est inspirée d’une Canadienne pour mettre au point sa recette. «Il y a plusieurs années, un de mes fils a fait un stage chez une dame qui en confectionnait. Il a tellement aimé que j’ai décidé de me lancer, en y ajoutant ma touche personnelle.» Aujourd’hui, les fameuses bouteilles sont notamment disponibles à la Ferme d’Yverdon-les-Bains, à Écobio&co à Morges, au Landi de Bussy-Chardonney ainsi qu’à Vitaverdura, à Rolle. Il est également possible d’en trouver au food truck Le Nomade, au Bouveret (VS), ainsi qu’à la ferme de la productrice. «Ce qui me fait le plus plaisir, c’est quand une grand-mère m’en achète pour ses petits-enfants. Ce ketchup est fait avec amour, de bons produits et très peu de sucre. J’en suis fière.»
Si les adeptes de la culture américaine le dégustent avec des frites ou dans un hamburger, Florence Dauphin le préfère avec de la fondue bourguignonne ou chinoise, pour accompagner un émincé de poulet ou dans un cocktail de crevettes. En attendant de pouvoir y goûter, elle s’excuse de devoir nous quitter, avertie par le bip-bip du four qui la ramène à la réalité: il y a encore bon nombre de commandes à honorer avant de pouvoir enfin se reposer.

+ D’INFOS La Dauphine, Les Molliettes 5, à Berolle. Tél. 021 809 54 03, www.ladauphine.ch

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre

Bio express

Originaire d’un village près de Grenoble, en France, Florence Dauphin arrive en Suisse à l’âge de 18 ans dans l’espoir de devenir serveuse. «Je voulais économiser pour partir en Angleterre. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu», se rappelle l’artisane. Rapidement, elle rencontre son futur époux, Marcel. Ensemble, ils ont trois garçons qu’ils élèvent dans leur ferme à Berolle. L’été, ils montent dans un alpage au-dessus de Montricher (VD), où les vaches sont déjà en train de paître depuis le mois dernier. Son temps libre, Florence le passe à l’aquagym et dans sa cuisine. Sirop de basilic, confiture figue framboise, pesto à l’ail des ours… «J’ai toujours de nouvelles idées, je ne compte pas mes heures!»

Bon à savoir

Si ce condiment est devenu un symbole des États-Unis, il est pourtant inspiré d’une sauce au poisson chinoise ancestrale. Le terme «ketchup» est d’ailleurs une association du mot tchup, qui signifie «sauce», et de ke, qui désigne le poisson en conserve dans un dialecte de la province du Fujian. Importée en Europe par les Hollandais et les Britanniques à la fin du XVIIe siècle, cette recette vinaigrée a ensuite été détournée avec des champignons puis des tomates et du sucre, au XIXe siècle en Amérique du nord, jusqu’à devenir le ketchup industriel que l’on connaît aujourd’hui.