De saison
Le gingembre prend racine à Genève

Cette zingibéracée au rhizome parfumé ne se plaît que sous les climats tropicaux. Enfin, c’est ce qu’on croyait… Avant qu’un maraîcher genevois l’acclimate dans ses serres.

Le gingembre prend racine à Genève

Un terrain vague? Un jardin à l’abandon, avec ce jaillissement sauvage évoquant une forêt de bambous? Plutôt une start-up un peu particulière… Ce coin de serre est en fait un laboratoire secret, le lieu dévolu aux essais et autres cultures pionnières. Le maraîcher genevois Philippe Magnin tente d’y acclimater un nouveau venu parfaitement incongru sous nos climats. Ces longues tiges évoquant des bouquets de roseaux ou d’iris sont la partie visible d’une culture pionnière: des rhizomes de gingembre cultivés pour l’heure en quantités confidentielles, le temps d’affiner la méthode, avant de passer à une autre échelle dès l’an prochain. Pas évident pour une plante tropicale qui n’aime rien tant que la lumière, l’humidité et la chaleur – soit des températures constantes d’au moins 20 degrés – de se frotter au climat genevois.
À l’origine de ce projet, une passionnée de goûts et de botanique: Sylvia Schibli Saputra confectionne notamment des alcools artisanaux à base de fruits et de fleurs, par macération. Désireuse de recourir autant que possible à des ingrédients locaux, elle cherchait un partenaire pour cultiver du gingembre. Philippe s’est lancé avec son aide et l’expertise du mari de Sylvia, Indonésien d’origine, qui a entre-temps suivi un cours à Java sur la culture de cette plante tropicale. «C’est Sylvia qui se charge de la germination: comme on l’observe parfois chez soi, avec des tubercules achetés et conservés à température ambiante, de petites pousses vertes se développent. C’est à ce moment-là qu’on les plante.»
La racine va développer sa végétation en surface – ses longues tiges atteignent facilement 1 m 20 –, mais aussi se multiplier de manière souterraine.»

Une première récolte de 50 kilos
Philippe Magnin a donc planté ses tubercules début avril dans un substrat à base de fibres de coco. Une des clés de la réussite tient à un amendement important du sol;
arrosée régulièrement au goutte-à-goutte, la zingibéracée pousse rapidement et produit en fin de cycle de petites fleurs blanchâtres. «Il faut la protéger du soleil direct l’été, précise le maraîcher. Elle se plaît à des températures constantes, apprécie les grandes chaleurs mais, dans son habitat naturel, c’est une plante de sous-bois, qui croît dans l’ombre des hautes frondaisons. Nous lui avons installé des filets d’ombrage, sur lesquels j’ai ajouté des claies de bambou.» En juin, la plante a atteint sa taille maximale, avant de développer sa part enterrée: «La serre est chauffée pour maintenir une température plutôt douce durant tout le cycle. Elle ne s’est montrée jusqu’ici sensible à aucune maladie ni aucun parasite.»

Lully. 17.10.2016. Philippe Magnin et son gingembre. photo © eddy mottaz
Lully. 17.10.2016. Philippe Magnin et son gingembre. photo © eddy mottaz

L’an dernier, la PME genevoise a produit une cinquantaine de ­kilos, utilisés pour moitié par Sylvia Schibli pour son alcool de gingembre, le reste par Nelly Catillaz – qui recherchait elle aussi des ingrédients locaux pour confectionner ses sirops artisanaux. «Cette année, le rendement sera nettement supérieur et nous pourrons en vendre une partie: de nombreux restaurateurs et traiteurs nous ont fait part de leur intérêt.» Il faut dire que ce premier gingembre labellisé GRTA (Genève Région – Terre Avenir) a un goût extrêmement fin et délicat: on peut le consommer sans l’éplucher, du fait de son extrême fraîcheur et de son épiderme diaphane. Contrairement aux racines importées, traitées à des fins de conservation, qui deviennent parfois filandreuses, amères, voire piquantes.
«L’an dernier, nous l’avions récolté à peu près à la même époque, afin de le faire découvrir au public à l’occasion de la foire des Automnales». Les visiteurs du salon genevois pourront à nouveau cette année découvrir et acheter cet étonnant rhizome local, notamment sous sa forme macérée et alcoolisée: la Givrée Gingembre 100% naturelle, primée lors du Concours jurassien des produits du terroir en 2015. Jolie histoire qui incite à faire preuve d’audace…

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Eddy Mottaz

Bon à savoir

Un condiment furieusement stimulant
Est-il originaire d’Inde ou de Chine? Quoi qu’il en soit, Confucius le mentionne déjà en 500 av. J.-C. et son usage est bien plus ancien encore. Le Moyen Âge européen en sera fou. Entre les deux, il se répand d’Orient en Occident via les commerçants arabes. Ce rhizome universel peuple désormais les imaginaires et les cuisines du monde sous des formes très diverses: gari japonais, curries indiens et autres cuisines asiatiques, tajines, pâtisseries anglaises, ginger beer, infusions, thés, conserves, sirops, poudre, bonbons…
Son nom savant de Zingiber officinalis l’atteste: ses vertus médicinales sont exploitées depuis des temps immémoriaux. Sa réputation aphrodisiaque n’est pas étrangère à son succès phénoménal au Moyen Âge. Si aucune étude «sérieuse» ne démontre sa capacité de dynamiser le désir, son effet en tant que tonique est, lui, bien réel, tout comme ses propriétés antioxydantes, digestives et anti-inflammatoires. Mais encore? Le gingembre combat les nausées et la toux et stimule la circulation sanguine comme la vue.

Le producteur

Lully. 17.10.2016. Philippe Magnin et son gingembre. photo © eddy mottaz
Lully. 17.10.2016. Philippe Magnin et son gingembre. photo © eddy mottaz

Philippe Magnin aime bien faire des expériences, même si la chose se limitait plutôt, jusqu’ici, aux variétés de tomates. Ce maraîcher de Lully, accessoirement vice-président de l’Union maraîchère de Genève (UMG), règne sur un domaine familial de 13 hectares, dont 5 couverts et 8 en plein champ. Il y produit essentiellement une douzaine de variétés de tomates, des concombres et des fraises maras des bois sous serre, mais aussi des cardons, des courges, du céleri, des colraves, du rampon et autres chicorées à l’extérieur. Philippe Magnin a repris progressivement l’exploitation des mains de son père, dès la fin des années huitante, et emploie désormais six collaborateurs fixes tout au long de l’année – jusqu’à une trentaine au plus fort de la saison. L’intégralité de sa production est commercialisée via l’UMG.