De saison
Le fromage de brebis fait revivre un hameau

Au hameau des Barmes, une famille fabrique tommes fraîches et fromages mi-durs avec le lait de leurs brebis frisonnes.

Le fromage de brebis fait revivre un hameau

Le réveil sonne à 5 h 15. Dans le hameau des Barmes (VS) ne brille qu’une seule lumière, dans le minuscule mayen où vivent Sophie et Stéphane Jaccard. Leurs deux petits garçons, Adrien et David, dorment encore, alors que sonne l’heure de la traite. Quelques bêlements se mêlent au chœur de l’aube des oiseaux. Dans la grange-étable voisine, il y a une dizaine de brebis à traire. «Cela fait dix jours qu’elles ont agnelé. Le lait de la nuit commence à être pour nous, explique Sophie. La journée, les agneaux ont tout loisir de téter leur mère. On ne les sèvre qu’après six semaines afin de passer au rythme de deux traites par jours. Économiquement, c’est la manière de faire la plus intéressante, car il n’est pas nécessaire de donner du lait artificiel aux agneaux.» En contrepartie, les amateurs de fromages de brebis des Barmes doivent attendre un peu. Or, ils sont de plus en plus nombreux, dans le val d’Anniviers et ses environs, à savourer ces spécialités artisanales au lait cru.

Production saisonnière
Depuis 2012, Sophie et Stéphane produisent et vendent des tommes fraîches, à croûte lavée et des fromages mi-durs du printemps à la fin de l’été. En prenant soin de respecter le cycle naturel de lactation des brebis. Alors que mars touche à sa fin, la production reprend doucement après cinq mois de tarissement. «Neuf brebis tardent encore à mettre bas», s’inquiète la bergère. La production est encore confidentielle: quatorze tommes fraîches seront fabriquées avec les sept litres de lait récoltés la veille.
Les bêtes, familières et toutes baptisées d’un petit nom, sont de race frisonne. «Les lacaunes ne sont pas assez rustiques et ne me plaisent pas. Les corses, on ne peut plus les importer pour des raisons sanitaires.» Elles arborent une tête nue plutôt plate et une drôle de longue queue dépourvue de laine. Leur toison est pourtant généreuse, en cette fin d’hiver. Il faut d’ailleurs fourrager un peu dans la laine pour trouver les trayons. Ici, pas de machine, la traite est manuelle. Il faut dire que l’électricité n’arrive pas aux Barmes! Bien que l’on ne soit qu’à 950 mètres d’altitude, bien en dessous de Chandolin ou de Vissoie, on se sent au bout du monde. Autour de cet éperon surplombé par les falaises d’Anniviers ce ne sont que forêts et pâturages depuis longtemps abandonnés. Trois mayens, cinq granges, une route non goudronnée et les remous sonores de la Navizence qui coule en contrebas: c’est là que s’est établie Sophie en 2011 avec quelques brebis.

Le bon goût de la pâture
C’est grâce à l’Aide suisse aux montagnards que le couple a pu pérenniser son activité. «Le développement de cette exploitation agricole sauve le hameau des Barmes et remet en culture des terrains abandonnés», précise l’expert bénévole Henri Rouge. L’an dernier, l’aide financière apportée par la fondation a permis de transformer une ancienne grange en bergerie afin d’y accueillir le troupeau de renouvellement. Dans la laiterie, elle aussi rénovée, Sophie met le caillé dans des moules avant de retourner les fromages produits la veille. Ils seront laissés nature, ou aromatisés de paprika ou d’herbettes. La bergère a appris à fromager en achetant ses premières brebis. Son mari a suivi ensuite un cours de fabrication fermière. «Quand les brebis mangent du foin, je trouve quand même que le fromage n’a pas la même saveur que quand elles sont au pâturage», relève-t-il. Cette année, les bêtes se régaleront de l’herbe de l’alpage de Ponchet, au-dessus de Chandolin, les coteaux arides des Barmes ne leur assurant pas une nourriture suffisante en fin d’été. Stéphane s’active pour déboiser de nouvelles pâtures. Le travail est colossal, mais gratifiant. Les brebis s’y égaient dès que s’ouvre l’écurie.
«Les fromages des Barmes sont un produit de niche, presque de luxe, convient Sophie autour d’un café, le petit David sur ses genoux. Mais nous voulons garder une taille raisonnable afin de ménager notre vie de famille. À nous deux, on est actifs dans tous les domaines: primaires, secondaires et tertiaires! Lorsqu’il faut traire matin et soir, fromager, soigner les bêtes, garantir leur protection contre les prédateurs et accomplir les deux heures et demie de route pour assurer les livraisons, la journée est vite passée.»

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): Sedrik Nemeth

Les producteurs

mars 2017, Stephane Jaccard avec sa compagne Sophie Largo nous présentent leur fromages de brebis
© sedrik nemeth

Sophie et Stéphane Jaccard élèvent une trentaine de brebis. Sophie a rénové le mayen, qui ne devait servir que de résidence secondaire estivale, avant qu’elle s’y installe finalement avec son compagnon, Stéphane Jaccard, en 2011. Depuis, leur élevage s’est agrandi et professionnalisé. La famille s’est elle aussi agrandie avec l’arrivée d’Adrien, 3 ans, et David 20 mois. L’un des deux fils aînés de Stéphane, Nathanaël, âgé de 20 ans, vit également avec eux. Titulaire d’une formation musicale, Sophie enseigne la musique dans plusieurs écoles publiques valaisannes. Elle dispose également d’un CFC de viticultrice et d’un lopin de vigne à Saillon dont elle a, en ce moment, confié l’entretien à un tâcheron. Né dans une famille de paysans, Stéphane a suivi une formation de pépiniériste-paysagiste avant de travailler durant dix ans dans l’agrocommerce. Depuis sa reconversion professionnelle avec Sophie, il a complété son cursus par un cours de transformation fermière et une formation de berger à l’École d’agriculture de Châteauneuf.

 

Bon à savoir

Condensé de matières grasses et de protéines
On doit aux brebis de sacrés fromages: le roquefort français, le manchego espagnol, la ricotta et le pecorino italiens ou la feta grecque! Le lait de brebis est de plus en plus apprécié, non seulement sous forme de fromages ou de yogourts, mais aussi comme lait de consommation. En 2011, la production suisse se montait à 4900 tonnes. Elle est en augmentation mais reste toutefois très marginale par rapport au lait de vache. Du point
de vue nutritionnel, celui de brebis contient cependant plus de matières grasses et de protéines que les laits de vache et de chèvre. Pour 100 ml, il annonce 7 g de gras contre 3,9 g pour le lait de vache entier et 4,3 g pour celui de chèvre. La teneur en calcium est aussi un peu plus élevée. Le taux de lactose reste semblable. Le lait de brebis n’est donc pas forcément mieux toléré par les personnes qui y sont sensibles.