Viticulture
Le filtre à particules arrive en cave et révolutionne les pratiques

Sous l’impulsion de producteurs eux-mêmes sous pression des consommateurs, la recherche met les derniers développements à une méthode d’élimination des résidus de ­pesticides dans le vin. Cache-misère ou solution d’avenir pour des vins sains? Ni l’un ni l’autre, explique le chef du groupe œnologie d’Agroscope Changins.

Le filtre à particules arrive en cave et révolutionne les pratiques

Le procédé n’est pas encore sur le marché, mais les professionnels en ont déjà eu vent par plusieurs canaux: dans quelques mois, quelques années au plus, les œnologues seront à même d’éliminer du vin prêt à la mise en bouteille les microscopiques résidus de produits de synthèse utilisés lors de la culture.
Car les «pesticides» dans le verre, les consommateurs n’en veulent à aucun prix. Ces dernières années, plusieurs études ont mis en évidence ce dont on se doutait bien: les produits de synthèse utilisés en viticulture se retrouvent parfois dans le produit final. Certes à l’état de traces infimes et largement sous les limites fixées par la loi (voir encadré ci-dessous). Mais leur simple présence suffit à inquiéter les amateurs de vin, et donc à les détourner éventuellement de leur achat. D’autant que si le fameux «effet cocktail» n’a jusqu’ici pas été établi par les scientifiques, il n’a pas non plus été réfuté, ce que les études ne se privent pas de souligner. En termes d’image, pour le vin, les dégâts sont à la fois considérables, indistincts et aussi irrémédiables que les ravages de la grêle ou du gel.

Les résidus posent problème
«Les producteurs qui ont déjà pris des mesures en amont pour réduire l’emploi de pesticides se retrouvent incriminés. Pour répondre au souhait des consommateurs sans opérer un virage complet vers le bio, il est logique de s’attaquer directement aux résidus dans le vin», expose Johannes ­Rösti, biotechnologue et responsable de la recherche en œnologie à Agroscope Changins. Raison supplémentaire de les traquer, ces résidus sont parfois accusés d’inhiber la fermentation du moins en présence de quantités importantes de résidus: «Les levures sont des champignons, par définition vulnérables au fongicides, qui forment l’essentiel des produits phytosanitaires de synthèse dont on retrouve des traces, les insecticides étant quasi désuets, et les herbicides peu utilisés.»
En quête d’une technique de cave permettant de diminuer la quantité de résidus indésirables, les chercheurs ont dû intégrer plusieurs constats: primo, la transformation du raisin en vin a globalement tendance à faire baisser leur quantité (mais les procédés de macération auraient plutôt l’effet inverse – d’où un plus grand nombre de vins rouges affectés que de blancs); secundo, entre traitements radicaux mais peu subtils, comme le charbon, potentiellement désastreux pour le goût et la couleur, et les «détoxifiants» à l’efficacité douteuse comme les écorces de levures, la marge de manœuvre semble faible.

Céréale à la rescousse
Finalement, c’est le hasard ou du moins la sérendipité qui s’en est mêlée et a conduit l’entreprise française Realdyme spécialisée dans la production de fibres végétales à des fins de panification et d’alimentation animale, à découvrir les propriétés filtrantes et absorbantes de certaines hémicelluloses issues d’une céréale, auxquelles on a fait subir «une succession de traitements mécaniques et d’extractions (…) permettant d’en concentrer le complexe actif sans en détériorer la structure», selon le descriptif officiel du produit.
Le processus exact ainsi que la céréale de base restent secrets, mais ces fibres «activées» placées en contact avec un liquide alimentaire (comme le vin ou la bière) voient augmenter leur pouvoir d’adsorption de certaines toxines – c’est-à-dire leur capacité de les fixer à leur surface. «Tous les pesticides ne sont pas adsorbés, mais les plus fréquents font partie du lot, commente Johannes Rösti. À terme, on peut donc se concentrer sur l’élimination, en amont, de ceux qui persistent. La ­deuxième bonne nouvelle, c’est que cette technique, mise en œuvre de manière adéquate, n’influe ni sur le goût ni sur la couleur du vin.»
Menés depuis plusieurs années auprès de producteurs de toute l’Europe, y compris en Suisse, les essais ont démontré une efficacité maximale du procédé par filtration, plutôt qu’en collage. Les filtres à terre semblent les plus adéquats, et les filtres à plaque obtiennent aussi des résultats probants – mais aucune plaque à hémicellulose n’existe pour l’heure sur le marché. «L’homologation devrait changer la donne», estime toutefois le chercheur. Les filtres tangentiels, eux, n’ont pas encore été testés.

Homologation en cours
Le dossier a été déposé à l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) en vue de son homologation – en œnologie, tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit. «Changins Agroscope a participé à cette phase en apportant sa crédibilité d’organe public et indépendant, en faisant le lien avec la filière vitivinicole et en coordonnant des essais pour prouver que la technique fonctionne et que le vin ne s’en trouve pas qualitativement affecté», rapporte Johannes Rösti.
Mis à l’ordre du jour du congrès annuel de l’OIV en juin, le projet fait partie des vingt-deux résolutions adoptées à l’unanimité. L’Union européenne va probablement réagir très rapidement en adaptant sa législation pour autoriser le procédé. En Suisse, il faudra attendre la prochaine révision de la loi, soit quatre ans au plus, à moins que la profession ne parvienne à faire bouger les choses plus rapidement, ce que le chercheur juge souhaitable. «Les coopératives en particulier, qui n’ont pas le contrôle des pratiques viticoles de leurs sociétaires, ont un besoin urgent de solutions.»
Johannes Rösti estime en revanche négligeable le risque d’utilisation frauduleuse du procédé pour masquer un éventuel recours massif aux intrants: «La technique est faite pour diminuer la quantité de traces de pesticides, pas pour décontaminer un vin. Ce qui serait interdit.»

Une solution de transition
Et si le coût du filtre à résidus devrait rester modéré comme celui de la plupart des produits de vinification, et de toute façon largement en deçà de celui d’une analyse de pesticides, Johannes Rösti ne voit pas son usage se généraliser dans chaque cave. «Personne ne va investir sans une raison solide. Cela restera sans doute une solution de transition entre la culture actuelle en production intégrée et une viticulture 2.0 avec un recours plus marqué aux produits bios, et surtout aux cépages résistants, qui sont, eux, l’avenir.» Sans compter que les produits bios, eux aussi, laissent des traces potentiellement problématiques (à l’exemple du cuivre) et que les progrès réalisés dans les méthodes d’analyse permettent de retrouver des traces de plus en plus fines, avec un risque de surenchère entre détection et élimination. «À un moment donné, la question de la pertinence de ces résidus devra bien être posée», conclut le chercheur.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Olivier Evard

La traque aux pesticides est lancée

Les études attestant la présence de pesticides dans des vins proposés à la vente sont assez nombreuses; en Suisse, deux d’entre elles, en particulier, ont eu un fort retentissement médiatique – alors même que tous les vins testés respectaient sans discussion les normes légales. La plus récente a été menée en été 2016 par l’ONG Greenpeace. Elle portait sur dix vins et six vignobles (baies immatures et prélèvements de sol) de différentes régions suisses. Elle faisait état de résidus d’intrants (jusqu’à 13 substances différentes) dans tous les vins testés non bios. En 2015, le magazine Bon à savoir avait quant à lui fait analyser dix-huit vins blancs et dix-huit rouges d’origines diverses, disponibles en grande surface. Quinze rouges et six blancs présentaient des résidus; dans son classement, le magazine pénalisait les vins contenant plusieurs types de substances – en raison du fameux «effet cocktail».