De saison
Le fellenberg ne compte pas pour des prunes

C’est la variété de ­pruneaux préférée des Suisses. Sa récolte coïncide avec la tradition du Jeûne et de ses fameuses tartes. Reportage dans des vergers bios de La Côte vaudoise.

Le fellenberg ne compte pas pour des prunes

«Fruits bios en self-service»: abritées sous une vaste ombrelle blanche, l’ardoise et la desserte qu’elle désigne ont échappé de justesse aux violentes averses du matin. Au Domaine du Cotrable, à Villars-sous-Yens, le visiteur est accueilli par des cartons débordant de pruneaux, avant de bifurquer direction la ferme, elle-même noyée sous un déluge de verts, entre tilleuls, noyers et vergers, en contrebas.
Des pruniers, Éric Petit en cultive sur quelque 3000 m2 en mode biologique. La saison est courte, d’autant plus que l’arboriculteur vaudois se limite aux fellenbergs, cette variété si typiquement suisse associée à la tradition du Jeûne. «J’attends leur pleine maturité et je cueille tous les jours. On a récolté les premiers vers la mi-août; les derniers seront en principe mûrs autour du Jeûne fédéral, vers la mi-septembre.»
D’autres producteurs misent sur des cousins aux noms plus exotiques, tels la belle de Kakacs ou le pitestant, ou les récoltent avant l’heure pour les stocker en chambre froide, mais la vraie saison est aussi éphémère que celle des cerises. À peine le temps de quelques tartes, confitures, voire d’en tirer un tonneau d’une eau-de-vie de derrière les fagots, comme le fait Éric.

Une année médiocre
Mais disons-le d’emblée, 2017 ne sera pas un grand millésime… «Le gel d’avril a détruit les pommes et mis à mal une partie des pruniers. Les bonnes années, j’en fais 2 à 3 tonnes, mais là, ce sera nettement moins.» Selon les estimations de Fruit Union Suisse, la récolte 2017 devrait ainsi être inférieure de 10% à celle de 2016, en raison des conditions météo. Les fellenbergs représentent quelque 1250 tonnes par an – soit un tiers de la quantité totale de pruneaux suisses – pour 85 hectares, soit le quart des surfaces de pruniers.
L’espèce Prunus domestica serait originaire du Moyen Orient ou du Proche-Orient et elle englobe une multitude de prunes, pruneaux, quetsches, reines-claudes et autres mirabelles. Selon une étude menée à l’Agroscope de Changins, la Suisse en recense 285 variétés génétiquement distinctes. La prune de Chézard aurait vu le jour dans le Jura neuchâtelois et la damassine serait venue de Damas jusqu’à nos vergers par les voies commerciales romaines. De nombreuses variétés sont toutefois cultivées en Suisse depuis si longtemps qu’elles font partie de notre patrimoine, tels les fellenberg, bühler et damassine, relève la même étude.

Des fruits bios
«Le fellenberg reste le plus apprécié, estime Éric Petit, qui a également quelques arbres isolés d’autres variétés: la belle de Kakacs, un bon précoce, et le pruneau de Bâle, délicieux mais plus tardif.» Sauf météo particulière, «c’est une culture plutôt facile», reconnaît le producteur vaudois. Parmi les éventuels ravageurs, citons le carpocapse, un papillon qui pond dans le fruit, d’où la présence occasionnelle de petits vers. «En arboriculture biologique, on travaille avec la méthode de la confusion sexuelle. Au printemps, on accroche des rubans aux branches, à intervalles réguliers. Ils vont diffuser des phéromones pour perturber les carpocapses. C’est une bonne alternative aux traitements. Sinon, il peut y avoir des pucerons: on va s’en prémunir à l’aide d’huiles minérales ou de pyrèthre.»
Sinon, comme tous les vergers, il faut tailler. Les arbres du domaine le sont encore en palmettes, c’est-à-dire disposés en un large éventail au gré de deux fils de fer. «C’est ce qu’il y a de plus pratique pour les cueillir, mais cette taille n’est pas idéale pour les pruniers, qui préfèrent librement pousser en bouquets», relève Éric Petit. Avec l’âge, les arbres deviennent fragiles, cassants comme du verre: «Une partie de nos pruniers a 20 ans, on va devoir songer à les renouveler, en privilégiant la permaculture.»

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Philippe Evrard

Quetsche ou couètche, mais kézako?

La date du Jeûne fédéral a été fixée en 1832 au troisième dimanche de septembre, tandis que le Jeûne genevois le précède. La tarte aux pruneaux est associée à ces deux dates depuis le début du XXe siècle, indique le Patrimoine culinaire helvétique. Si cette pâtisserie est mentionnée pour la première fois en Suisse alémanique en 1624, la première recette apparaît dans La cuisinière genevoise en 1817. On cuit alors les tartes dans les fours banals, après le pain, mais elles sont consommées de manière épisodique. Pourquoi les associer à une célébration religieuse? L’Église prône de s’abstenir de manger à midi, pour se contenter d’un sobre repas vespéral. Selon d’autres sources, les obligations religieuses auraient empêché les dévots de préparer un vrai repas de midi, note en substance le patrimoine.
Quoi qu’il en soit, la traditionnelle tarte aux pruneaux est toujours appréciée à cette saison, mais elle représente plus souvent le dessert que le plat unique. Petite précision lexicale, le pruneau est une variété de prune, synonyme de quetsche, ce terme dérivant de l’allemand et de l’alsacien (Quetsche ou Zwetschge); le patois jurassien l’a transformé en couètche. En France toutefois, le mot pruneau signifie prune séchée. Enfin, non moins utile précision, notre pruneau est aussi peu calorique qu’il est riche en fibres, en antioxydants et en fer.

Le producteur

Éric Petit est à l’origine pépiniériste viticole. Il a pris un double virage en 2012 en quittant la coopérative pour vendre lui-même les vins du domaine familial et en passant en mode biologique. Son beau domaine du Cotrable occupe quelque 6,5 hectares, l’essentiel en vignes, pour 1,5 hectare de raisin de table et 1 hectare de vergers produisant pruneaux, pommes et poires. Le raisin est vinifié à façon par un œnologue, essentiellement en vins d’un seul cépage (kerner, chasselas, solaris, muscat mousseux, pinot noir, gamay, garanoir, galotta, etc.). Les produits du domaine (fruits, jus de fruits et eaux-de-vie) sont proposés en vente directe sur place, mais l’essentiel est écoulé via plusieurs paniers de l’agriculture contractuelle et l’épicerie en ligne Vita Verdura. Éric Petit loue également un studio de vacances sur le domaine et y organise un festival de musique très convivial.