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Le domaine où les autruches ont supplanté veaux, vaches et cochons

Près de Lucerne, une exploitation traditionnelle a opté pour un élevage pour le moins particulier. Un changement de cap rendu possible par la commercialisation directe liée au tourisme régional.

Le domaine où les autruches ont supplanté veaux, vaches et cochons

Les vastes pâturages du domaine de Markus Grüter et Yves Wagner, à Sempach (LU), ont des allures de savane africaine. À deux pas du lac, des dizaines d’autruches dévisagent en effet avec curiosité les visiteurs de cette ferme unique. Dans cette région réputée pour ses vaches laitières et ses porcs d’engraissement, la présence de ces étranges volatiles a de quoi surprendre. «Lorsque nous avons repris l’exploitation familiale, continuer le mode traditionnel ne nous attirait guère, expliquent les Lucernois. Nous avons cherché une alternative qui permette de mettre en place un élevage de type extensif. La nature attachante de ces oiseaux géants nous a séduits.» Les débuts n’ont cependant pas été évidents. Difficile en effet de convaincre la clientèle locale de goûter une viande jugée exotique… Une filière suisse étant inexistante, ils ont dû créer leur propre marché. Aujourd’hui, ils comptent parmi les principaux producteurs suisses. «Dès le départ, nous avons fait le choix de mêler production et tourisme, souligne Yves Wagner. Régulièrement, nous organisons divers événements sur la ferme, que cela soit le brunch du 1er Août ou des visites d’entreprise (une cinquantaine par année), qui nous permettent de faire découvrir nos produits. Nous accueillons aussi des touristes en chambre d’hôte.»

Des œufs de luxe

En parallèle, Yves et son compagnon tiennent un stand hebdomadaire au marché de Lucerne. Toute la production est vendue en direct à une clientèle en majorité privée, mais quelques restaurateurs s’y intéressent également. Avec un goût évoquant le bœuf, une légère touche sauvage en sus, cette chair pauvre en matière grasse et riche en protéines est surtout réputée pour ses qualités nutritionnelles et sa texture très fine. Les deux Lucernois maîtrisent la chaîne de A à Z, de la ponte à l’abattage qui a lieu sur la ferme. De février à juillet, leurs pensionnaires pondent tous les 5 à 7 jours un œuf XXL, qui équivaut à 25 œufs de poule et pèse entre 1,2 et 1,8 kilo. Mis en couveuse, ils éclosent 6 semaines plus tard dans la pouponnière. Ce jour-là, les autruchons nés la veille nous surprennent par leur taille déjà respectable. «La production de viande est l’objectif prioritaire pour tous les éleveurs d’autruches, note Markus Grüter. Les œufs sont en effet trop coûteux à produire pour que cela soit un but en soi.» Une petite part d’entre eux sont néanmoins valorisés, soit pour confectionner des meringues, des pâtes ou de la liqueur, soit comme objets de décoration, très convoités en période de Pâques.

Tout est valorisé

Steaks et pavés, bien sûr, représentent le débouché le plus intéressant sur le plan financier. Mais tout ou presque, dans l’autruche, peut être utilisé. Le cuir, travaillé par un artisan bernois, est transformé en porte-monnaie; quant aux plumes, elles peuvent être employées comme ornement. Le prix de vente de la viande est semblable à celle du bœuf; ses coûts de production sont néanmoins plus élevés, notamment à cause de la durée d’engraissement d’un an et demi. Un individu n’en fournit en outre que 40 kg en moyenne. «Nous vendons aussi quelques animaux, notamment pour des zoos comme Zurich ou Bâle.»

Les autruches étant principalement herbivores, les vastes herbages lucernois leur conviennent à merveille. À Sempach, la majorité de leur alimentation est produite sur le domaine. L’infrastructure liée à la détention de ces animaux nécessite un budget plus faible que pour les bovins. Les clôtures grillagées doivent cependant atteindre une certaine hauteur. «Ces animaux sociaux doivent obligatoirement être détenus à plusieurs», observe Yves Wagner. Les groupes de reproducteurs sont constitués d’un mâle et de quelques femelles, alors que les jeunes destinés à l’abattage sont détenus en plus grand troupeau. La difficulté principale de la détention de ces animaux est liée à leur tempérament sauvage. «Jusqu’à l’âge d’une année, ils ne sont pas dangereux, mais il en va tout autrement des adultes», souligne l’exploitant. Leur bec n’est pas le plus à craindre: la vitesse de frappe de leurs pattes, armées de griffes tranchantes, atteint les 300 km/h. Retirer les œufs des mères demande donc une attention toute particulière. Si les bipèdes à long cou représentent sans aucun doute l’attrait principal du domaine, le couple a fait le choix de diversifier au maximum sa production. Sapins de Noël, légumes, plantons, arbres fruitiers complètent notamment leur vaste assortiment. Sans oublier un troupeau de vaches galloways.

+ d’infos www.straussenfarm-sempachersee.ch

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Véronique Curchod

Un marché de niche

Pouvant atteindre 3 mètres de haut et peser jusqu’à 150 kilos, l’autruche d’Afrique est le plus grand et le plus lourd des oiseaux. Actuellement, près de 90% de la viande d’autruche consommée en Suisse est importée d’Afrique du Sud. Malgré le potentiel existant, seule une vingtaine d’exploitations, toutes situées en Suisse allemande, se consacrent à cette production de niche. Ils sont réunis au sein de l’Association suisse des détenteurs d’autruches, fondée en 2002, qui a notamment pour objectif de permettre à ses membres d’échanger des informations sur un type d’aviculture confidentiel. La difficulté principale pour les nouveaux éleveurs consiste à devoir créer son propre marché, car il n’existe pas de filière suisse. Un couple d’autruches coûte environ 8000 francs. En raison du taux de consanguinité en Suisse, les reproducteurs sont principalement importés d’Allemagne.

En chiffres

28 hectares exploités en IP-Suisse.

2012, achat des premières autruches: 8 animaux d’élevage en provenance d’Allemagne.

150 autruches, dont une trentaine de reproducteurs.

50 bovins de race Galloway.

200 arbres fruitiers haute tige: pommiers, poiriers, cognassiers et pruniers.

2 chambres d’hôte.