De saison
Le cornichon fait son come-back dans le Chablais

Disparue de Suisse romande depuis plusieurs décennies, la culture de ce curcubitacé fait un retour remarqué à Vouvry (VS). Nous sommes allés à la découverte d’un légume craquant.

Le cornichon fait son come-back dans le Chablais

Il est des légumes que l’on ne mange jamais avant qu’ils aient été conditionnés. Le cornichon est de ceux-là, aux côtés de ses voisins de bocaux, le petit oignon, le câpre ou encore l’épi de maïs, par exemple. N’imaginez pas les trouver frais sur les étals d’un marché. Leur rayon, c’est la conserve. Habitués à les déguster à tout moment de l’année, et surtout en accompagnement d’une bonne raclette en hiver, on en oublie presque de se demander d’où viennent ces concombres miniatures.
Dans les années 1970, les cornichons poussaient dans la plaine du Rhône. Puis ils ont disparu, détrônés par des cornichons étrangers, bien moins chers. Aujourd’hui, la plus grande partie des cornichons que nous croquons en Suisse vient d’Inde, où une multitude de petites exploitations familiales produisent ces cucurbitacées. Et si certains bocaux portent une croix suisse, une mention indique généralement en petits caractères une nuance qui est loin d’être négligeable: «Élaboré en Suisse.» Comprenez par là que les cornichons, produits à l’étranger, sont assaisonnés et confits dans notre pays, mais rien de plus.

Il pousse à nouveau en Valais
Tandis qu’une poignée de producteurs alémaniques faisaient toujours pousser ce petit légume, la Suisse romande l’a boudé pendant plus de trente ans. Il a fallu attendre 2015 pour voir refleurir les premières fleurs de cornichon dans la plaine du Rhône. L’initiative n’est pas le fait d’un agriculteur nostalgique, mais bien d’un poids lourd du bocal suisse, Reitzel SA. Le groupe familial aiglon, spécialiste du cornichon en conserve, décide de miser sur le local et lance un appel aux maraîchers de la région. Bruno Isenegger n’a pas hésité longtemps avant de relever le défi. Les 2000 m2 de terrain sur lesquels l’agriculteur a fait ses premiers essais l’an dernier ont doublé en 2016. Autour de nous, les plantes s’étendent au sol en lignes parallèles, chaque pied sortant du plastique biodégradable qui évite la prolifération des mauvaises herbes. Les feuilles ressemblent à celles du concombre, et ce n’est pas étonnant: «Le cornichon et le concombre sont tous deux des cucurbitacées du genre Cucumis, explique Bruno Isenegger. Ils sont très proches.» Proches mais tout de même pas pareils. Un concombre n’est pas un cornichon qui serait resté plus longtemps sur la plante.

C’est la taille qui compte
Cela fait quelques jours que la récolte a commencé. Le long des robustes tiges d’un vert profond, chaque fleur jaune annonce l’arrivée d’un fruit. Les premiers à atteindre la taille désirée sont les plus proches du pied, puis les autres suivent, jour après jour. Ce qui fait la spécificité du cornichon, c’est le timing serré de la récolte: «Le calibre est déterminant, fait remarquer Bruno Isenegger. On veut obtenir des cornichons d’une taille de 3 à 5 centimètres environ.» Attention, cet étalon n’est valable qu’en Suisse romande: nos voisins alémaniques, eux, préfèrent des cornichons un peu plus volumineux.
La récolte serait aisée si les cornichons ne croissaient pas aussi rapidement: «En l’espace d’un seul jour, un fruit peut prendre jusqu’à 2 ou 3 centimètres, souligne l’agriculteur. Oubliez de ramasser un cornichon et il sera trop gros le lendemain.» Pour illustrer ses explications, Bruno Isenegger sort deux cornichons de la grande caisse en plastique contenant la récolte du jour. Le premier correspond à ceux que l’on est habitués à trouver dans nos bocaux, alors que l’autre, dodu et bien plus grand, ferait de l’ombre à une raclette… Malgré cette impressionnante différence, un seul jour de croissance les sépare. L’enjeu n’est pas uniquement esthétique: les cornichons du bon calibre rapportent un prix supérieur au kilo lorsque Bruno Isenegger les livre à la conserverie d’Aigle (VD).

Mieux vaut les laisser macérer
Au moment de la récolte, l’agriculteur de Vouvry doit engager des ouvriers supplémentaires. Car tout se fait à la main, précision de la cueillette oblige. «Qui dit main-d’œuvre dit aussi frais, rappelle-t-il. La production de cornichons est coûteuse. C’est ce qui a poussé les maraîchers de la région à l’abandonner.» Aujourd’hui, le Valaisan d’adoption compte sur le regain d’intérêt suscité par les produits locaux pour contrebalancer des prix supérieurs aux légumes cultivés à l’étranger. Les faits semblent lui donner raison: bien qu’un bocal de cornichons 100% suisses coûte près du double de son équivalent d’importation, les premiers produits commercialisés l’an dernier se sont vendus rapidement.
Même s’il aime ses cornichons, Bruno Isenegger déconseille de les croquer crus: «Ils ont vraiment très peu de goût, remarque-­t-il. Il vaut mieux attendre qu’ils aient macéré dans le vinaigre!» Justement, quelle est la composition du mélange dans lequel sont confites les petites cucurbitacées? Mystère. On sait qu’il est fait en bonne partie de vinaigre de vin blanc, mais la conserverie garde jalousement le secret sur les épices qui sont intégrées à la recette. Qu’à cela ne tienne: au moins, on sait dés­ormais d’où viennent les cornichons.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Eric Bernier

Quand la situation tourne au vinaigre

«Ce soir entre tous, fallait pas faire les cornichons», chante Boris Vian. Difficile de savoir comment le nom du petit légume est devenu synonyme de nigaud. Ce qui est sûr, c’est qu’au XIXe siècle déjà, Maupassant traite volontiers quelques petits-bourgeois de cornichons. Le terme de cornichon aurait d’abord désigné un mari trompé, du fait de son nom évoquant une petite corne, symbole de la trahison amoureuse…

Le producteur

Bruno Isenegger est originaire du canton de Lucerne. Cela fait près de trente ans qu’il est installé en Suisse romande, et cinq qu’il est propriétaire du domaine Les Terraillaz, à Vouvry. Sur l’exploitation de 30 hectares qu’il dirige avec son épouse Nathalie, Bruno Isenegger élève une centaine de têtes de bétail d’engraissement. Grandes cultures, pommes de terre et carottes complètent le tableau. Cet agriculteur passionné, qui a longtemps enseigné à l’École d’agriculture de Châteauneuf (VS), a volontiers relevé le pari des cornichons. Il faut dire qu’il n’a pas peur de la nouveauté: il y a une dizaine d’années, il avait essayé de faire pousser du riz dans la plaine du Rhône… Le succès de ses cornichons ne devrait pas tarder à donner des idées à certains de ses voisins.