De saison
Le charme discret du yacon a conquis un couple de maraîchers vaudois

Aussi nommé poire de terre, ce tubercule, originaire de l’Amérique du Sud, associe les atouts des légumes à ceux des fruits. Des qualités à découvrir à Cuarny (VD), où il a pris racine.

Le charme discret du yacon a conquis un couple de maraîchers vaudois

Imaginez. Une plante géante d’un bon mètre cinquante agitant des feuilles immenses, et coiffée d’une fleur jaune minuscule, semblable à un tournesol qui aurait oublié de s’épanouir. À ses pieds, une masse noueuse tissée en un entrelacs racinaire inextricable, mi-rouge mi-blanc nacré. Le yacon est une énigme botanique et gustative. En plantant quelques lignes de ces astéracées d’origine andine dans leur microferme bio de Cuarny (VD), Liliane et Pierre-Alain Rochat entendaient miser sur l’originalité: «On s’est creusé les méninges pour ne pas proposer les mêmes légumes que la grande distribution», explique la maraîchère, reconvertie après une formation de biologiste. Et le yacon – ou poire de terre – fait son petit effet…

«Dans les paniers distribués à nos abonnés, l’accueil est plutôt bon, même s’il faut s’habituer à apprêter ces tubercules et oser de nouvelles recettes», relève Liliane Rochat. Nous sommes dans les voiles de brume automnaux accrochés au Nord vaudois, où les premières gelées blanches ont déjà imprimé leur marque: de larges taches violettes parsèment certaines feuilles, des pans de végétation commencent à sécher ici et là. «Nous attendons en principe le mois de novembre et le vrai gel pour la récolte: avec le froid, la sève descend de plus en plus dans les racines qui vont encore grossir, au détriment du feuillage.»

 

Issus de rhizomes

L’intéressant avec cet étrange cousin exotique du topinambour et du tournesol, vivace dans son terroir d’origine, est qu’il se reproduit chez nous à la manière des dahlias: par le rhizome. Liliane Rochat nous en fait la démonstration en plongeant délicatement un trident entre deux lignes. Elle met au jour une lourde masse; c’est en somme le seul moment délicat de cette production peu complexe, car il faut veiller à ne pas abîmer les racines, fragiles et emmêlées tel un écheveau de fibres brutes. «On distingue les rhizomes, de petites sphères irrégulières, compactes et rouge violacé, des yacons eux-mêmes, tubercules allongés et fusiformes, plus ou moins charnus», indique-t-elle. Certains sont rouges, d’autres blanc-crème. «Nous en avons cultivé jusqu’à cinq variétés, pour ne retenir que ces deux-là, nommées red moro et blanc de Nouvelle-Zélande», complète la maraîchère.

 

Pas de grandes exigences

Pour en revenir à nos yacons, on les détache d’abord délicatement de la tige principale, de la motte et du reste de la pelote racinaire, avant de les nettoyer grossièrement. On met ensuite de côté les rhizomes, que l’on va conserver en chambre froide, avec un peu de terre ou de sable durant l’hiver, pour les replanter finalement une fois germés en mai, juste après les Saints de glace. En matière de culture, pas grand-chose d’autre à signaler, explique Liliane Rochat, sinon qu’un sol profond et bien drainé, ainsi que suffisamment de chaleur et d’eau conviennent très bien à ces plantes. Les poires de terre occupent cette année une parcelle d’une cinquantaine de mètres de long par cinq de large environ. Elle devrait produire entre 400 et 500 kilos de tubercules.

 

Du salé au sucré, cru ou cuit

Mais au fait, comment les consomme-t-on? On peut les goûter crus ou cuits: Liliane Rochat suggère de les tailler en rondelles croquantes, qu’on mangera avec un peu de sel, sous la forme de dips à l’apéro ou dans une salade. Elle aime aussi les cuisiner en fricassées ou currys de légumes. «La texture est intéressante: même cuits longtemps, les yacons gardent un côté croquant.» En bouche, on dira que le légume évoque un melon peu mûr, une poire croquante, voire une noisette verte. Certains les apprêtent comme des fruits: «Quand on les conserve plusieurs semaines, les yacons vont concentrer les sucres et se prêter à de délicieuses salades de fruits. On les trouve d’ailleurs sous forme de sirop dans le commerce», détaille la maraîchère.

Chef français triplement étoilé, Alain Passard craque lui aussi pour le yacon. Il lui réserve «tous les usages de la pomme de terre: gratin dauphinois, robe des champs avec la raclette, purée à l’huile d’olive, sauté au beurre salé et au thym, voire, pour les plus gourmands, en pâté chaud additionné d’un peu de poutargue». Y’a plus qu’à tester…

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Thierry Porchet

la productrice

Liliane Rochat

Le terrain appartenait au grand-père de Liliane, qui le louait en fermage. «En 2002, nous sommes venus nous y installer, avec des envies de changer de vie et de nous rapprocher de la nature», raconte Liliane Rochat, qui a fait des études de biologie puis travaillé dans l’informatique, comme son mari Pierre-Alain. Ils songeaient d’abord à la culture d’herbes médicinales et à un élevage de chevaux islandais. Ce sera finalement une microferme de 10 hectares, tout en maraîchage et en diversité atypique: quelque 200 variétés de plantes comestibles s’y épanouissent, du chénopode rouge au maïs doux, des brassicacées aux tomatilles et autres aubergines de toutes tailles et couleurs, en passant par la tanaisie, utile comme répulsif. Et accessoirement, une dizaine de petits chevaux. Depuis les premières récoltes, en 2010, toute la production est cultivée en mode biologique et destinée à un réseau de paniers distribués sur abonnement dans la région d’Yverdon-les-Bains (VD).

à réhabiliter

Smallanthus sonchifolius figure sur la liste des cultures marginalisées de l’ONU, aux côtés de l’oca du Pérou et du pois patate, soit des variétés qui, après avoir joué un rôle de premier plan, ont été délaissées, malgré des vertus attestées. Le yacon est de fait un bon substitut de la patate elle-même, en plus de favoriser la flore intestinale et d’être riche en antioxydants. Connu depuis des millénaires au Pérou, sa terre d’origine, il pousse spontanément sur les hautes terres andines. Les paysans en croquaient pour tromper la soif, et les chaskis, ces messagers des rois incas, en emportaient, dit-on, en guise de réserve d’énergie lors de longues courses. La science moderne conforte comme souvent les récits anciens: le yacon est riche en sucres, potassium, magnésium, calcium, fer, tous nutriments utiles dans l’effort. Traditionnellement séché au soleil sous des climats plus propices, il concentre ses sucres (inulines) par transformation de l’amidon et convient aux diabétiques.