Reportage
Le chanvre argovien en passe de conquérir le marché suisse

Depuis l’an passé, une vingtaine de paysans alémaniques cultivent du chanvre destiné à la production alimentaire et textile. Reportage à Bünzen (AG), à l’heure de la récolte.

Le chanvre argovien en passe de conquérir le marché suisse

Sur les bords de la Reuss, un champ se détache dans la brume matinale. En cette mi-octobre, rares sont les cultures encore en place, mais le chanvre, lui, attend son heure. L’automne humide n’aide pas les plantes de 1 m 40 de haut à parvenir à maturité et les graines collent encore aux inflorescences, observe Daniel Appert, en frottant entre ses doigts la végétation résineuse d’un vert brunâtre. L’Argovien, collaborateur de la coopérative Landi-Freiamt de Bünzen, est à l’origine du projet Hanfwohl («Les bienfaits du chanvre»), qui vise à redonner à la culture de chanvre alimentaire ses lettres de noblesse.

Car ce que visent Daniel Appert et la vingtaine de paysans argoviens, bernois, soleurois et bâlois qu’il représente, ce ne sont ni les fleurs ni les feuilles de Cannabis sativa, mais bien les graines, particulièrement riches en acides gras insaturés – oméga-3 et oméga-6 – et pouvant contenir jusque 25% de protéines. «Le chanvre a été cultivé en Suisse jusque dans les années 1950, avant tout pour la fabrication d’huile alimentaire et de fibres textiles, raconte le coordinateur du projet. Aujourd’hui, on reconnaît ses atouts nutritifs et il est désormais en voie de retrouver le chemin de nos assiettes.»

Une plante facile à vivre
Il y a quelques années, sur la suggestion d’un importateur de produits à base de chanvre autrichien, Harmonius, Daniel
Appert propose à une poignée d’agriculteurs de la région de se lancer à leur tour dans l’aventure, avec le soutien technique et financier de leur coopérative. «J’avais la sensation qu’il y avait un marché à décrocher et qu’on trouverait rapidement un public pour ce superaliment.» La première saison se révèle concluante, tant agronomiquement qu’en termes de marketing. Si bien qu’au printemps 2020, les surfaces semées doublent pour atteindre 35 hectares.

Mises en terre vers la fin avril à l’aide d’un semoir à céréales, les semences ont besoin d’un sol suffisamment réchauffé, ressuyé et parfaitement meuble. «La réussite de la culture se joue essentiellement au moment de son implantation, affirme Daniel Appert. Le chanvre est une plante qui se suffit à elle-même, se passant d’engrais minéral et de traitement phytosanitaire, mais qui ne craint rien tant que la concurrence des mauvaises herbes.»

Les racines profondes – plus d’un mètre – et les tiges épaisses font du chanvre une culture solide et résistante à la verse. «Nous en cultivons trois variétés différentes, dont une un peu moins productive, mais sélectionnée pour ses tiges monumentales, 3 à 4 mètres de hauteur.» La paille issue de cette culture hors norme est valorisée auprès d’une petite coopérative glaronnaise, Glärnisch Textil, qui lui fait subir une étape de macération appelée rouissage, destinée à séparer la fibre (partie filamenteuse périphérique) de l’anas (moelle centrale). Cette dernière fraction est exportée dans le Tyrol du Sud pour en faire de la litière et des panneaux agglomérés pour la construction, tandis que les fibres sont transformées en linge de maison 100% suisse.

Les semenciers intéressés
Avec des rendements moyens d’une tonne à une tonne et demie par hectare, le chanvre permet aux paysans participant au projet Hanfwohl de dégager une marge brute équivalente à celle du colza. «Jusqu’à présent, la plante a surtout été sélectionnée pour ses teneurs en CBD (voir encadré) et pour la paille, regrette Daniel Appert. Mais les semenciers se penchent enfin sur ses qualités nutritionnelles et la sélection devrait nous permettre d’améliorer les rendements ces prochaines années.»

Une fois décortiquées, les graines de chanvre sont en partie pressées, mais la majorité de la production est ensachée et commercialisée dans les Landi et Volg de la région, au prix de 5 fr. 90  le sachet de 150g. Au vu du succès rencontré par Hanfwohl, Daniel Appert ne cache pas ses ambitions. «Le marché est actuellement capable d’absorber la production d’une centaine d’hectares de chanvre. Et il y a clairement un potentiel du côté de la Romandie, glisse-t-il en observant une nuée de moineaux s’abattre soudain sur la culture. C’est un signe qui ne trompe pas: il est temps de battre!»

+ D’infos www.harmonius.ch; www.glaernischtextil.ch

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Chanvre, cannabis ou CBD?

Entre 2014 et 2019, la culture de chanvre a explosé en Suisse, passant de 5 à 243 hectares, selon les chiffres de l’Office fédéral de l’agriculture. Malgré l’absence de paiements directs pour cette production, plus de 150 paysans l’ont adoptée dans leur rotation. Outre le projet argovien Hanfwohl, une trentaine de paysans des cantons de Saint-Gall et des Grisons en cultivent également pour la marque Alpenpionier, qui propose graines, huile et pâtes à base de chanvre. En parallèle, et depuis son autorisation à la vente en 2016, des producteurs – agriculteurs ou non – se sont lancés dans la production de cannabidiol (appelée communément CBD), un chanvre sans THC (la substance psychoactive) qui peut être fumé, infusé, transformé en comprimés ou en liquide pour cigarette électronique. Ce cannabis parfaitement légal n’est pas soumis à la loi sur les stupéfiants, qui interdit la culture, la consommation et le commerce du cannabis dès lors que sa teneur en THC est supérieure à 1%.

+ D’infos www.blv.admin.ch – Association faîtière du chanvre en Suisse www.ighanf.ch

En chiffres

Hanfwohl, c’est…

  • 35 hectares de chanvre alimentaire répartis sur les cantons de Berne, Argovie, Soleure et Bâle-Campagne.
  • 23 producteurs membres du projet, cultivant entre 0,5 et 3 hectares chacun.
  • 45 tonnes de graines récoltées en 2020.
  • 1 centre collecteur basé à Bünzen, dans le Freiamt argovien.
  • 25 points de vente (Landi et Volg).
  • 380 fr. de revenu au producteur par décitonne de chanvre.
  • + D’infos www.hanfwohl.ch