De Saison
Le cervelas artisanal mérite ses lettres de noblesse

Indissociable des 
grillades estivales, 
le cervelas est un 
best-seller culinaire. Un jeune boucher 
valaisan le fabrique 
à partir de viande 
de la race d’Hérens.

Le cervelas artisanal mérite ses lettres de noblesse

Le cervelas n’est jamais aussi bon que lorsqu’il a été planté au bout d’un bâton et grillé sur la braise. Il a le goût de l’enfance, celui des feux de camp, des soirées d’été et des nuits à la belle étoile. Celui de la cendre, aussi, si l’on a mal calé sa pique sur les pierres qui bordent le foyer. Un goût inimitable. Mais voilà, en général, on préfère ne pas savoir ce qu’il y a dedans. «Eh bien, vous avez tort, lance Sylvain Planchamp. Lorsqu’un de mes clients me dit que les cervelas sont faits avec des restes de viande, je l’invite à venir me rendre visite, un jour de fabrication. Je n’ai rien à cacher!» Le boucher de Vouvry (VS) met en effet un point d’honneur à ne travailler que des produits de première qualité.
Durant l’été, le jeune artisan a fort à faire pour suivre la demande de cervelas, qui explose en période de grillades. «Suivez-moi, je vais vous montrer comment ça marche», nous invite-t-il en poussant la porte qui nous mène dans le local de fabrication. Une charlotte de protection sur la tête – hygiène oblige!– nous voilà fin prêts pour démarrer la visite.


Croquant et onctueux à la fois
Sylvain Planchamp aligne les ingrédients nécessaires sur un plan de travail en inox. De la viande de bœuf, et pas n’importe laquelle: «La quasi-totalité du bœuf que je vends est de l’Hérens, précise-t-il en déballant de beaux morceaux choisis sur la nuque de l’animal. Je me fournis auprès d’éleveurs de la région. Et je ne fais pas d’exception pour le cervelas!» A côté, il dépose une caisse remplie de pièces de gras de porc, puis une autre qui contient de la couenne. Voilà pour les trois ingrédients principaux. Chacun a son utilité: «Un cervelas se doit d’être croquant sous la dent, rappelle Sylvain Planchamp. C’est la couenne qui lui donnera cette indispensable caractéristique. Quant au gras, il lui procure sa texture onctueuse.» Les proportions, elles, sont gardées secrètes.
À la viande, il faut encore ajouter des épices: poivre, noix de muscade, coriandre, clou de girofle, ail et oignon. Peu de marge de manœuvre de ce côté-là, puisqu’elles 
sont incontournables si l’on entend donner à la saucisse le nom de cervelas. La référence, c’est le Code des usages, un cahier des charges établi par l’Union suisse des professionnels de la viande. Puis vient le sel. Pas celui de cuisine, mais du sel nitrité, qui permettra à la petite saucisse de conserver sa couleur rosée: «Sans ce sel particulier, la charcuterie virerait au gris.»

Façonnés à la main
Tous les éléments sont soigneusement pesés. «C’est le moment de les déposer dans le blitz.» Dans le quoi? «Le blitz est un outil indispensable, explique Sylvain Planchamp en soulevant le couvercle de cette imposante machine. C’est une sorte de mixeur qui hache la viande très finement.» Un processus qui permet de rendre la chair d’une saucisse parfaitement uniforme, comme l’est aussi celle d’une saucisse de veau, par exemple. C’est ce que l’on appelle une pâte fine. «On cherche à obtenir une émulsion, dit encore le boucher. Pour faire simple, ce mélange parfait des ingrédients garantit que chaque portion de la saucisse aura le même goût.» Dans l’appareil, six couteaux aux lames acérées tournent à toute vitesse. Pour limiter la montée en température qui résulte de ce travail, un employé verse l’eau nécessaire à la recette sous forme de glaçons. En quelques instants, les morceaux de viande se transforment en une pâte épaisse d’un rose profond. Les yeux rivés sur l’écran de contrôle, Sylvain Planchamp vérifie la température du mélange et stoppe la machine lorsque le thermomètre indique 12 degrés.
Sans attendre, le mélange est transvasé dans le poussoir: cet appareil permet de former les cervelas. Sitôt mise en route, la machine injecte la masse dans le boyau que le boucher maintient au bout d’un tube de métal.  En une minute à peine, une immense saucisse de plus de 4 mètres apparaît sur la table. Il n’y a plus qu’à séparer les cervelas: une machine à air comprimé s’en charge à grands coups d’agrafes métalliques. «Pour déterminer la longueur des cervelas, il n’y a pas de pesée ou de mesure précise. On se repère uniquement en fonction de la taille de sa main! Du coup, ils ne sont pas réguliers. C’est pour cette raison que les cervelas artisanaux ne sont jamais vendus au poids, mais à la pièce.»
Placée sur une tringle, les cervelas filent en direction du fumoir, où ils restera entre deux et trois heures. La chaleur leur donnera alors leur belle couleur rouge orangé. Reste enfin à les cuire à basse température. Ensuite seulement, ils seront prêts à rejoindre l’étal de la boucherie. Il faudra les manger dans la semaine: Sylvain Planchamp refuse de pasteuriser ses saucisses pour éviter d’en altérer le goût. Mais ce n’est pas un problème: ses cervelas artisanaux ne résistent jamais très longtemps à l’appel du feu de bois…

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Les producteurs: Mélanie et Sylvain Planchamp

La Boucherie Planchamp SA, 
à Vouvry (VS), c’est une véritable institution. Ce sont les parents de Sylvain qui l’ont fondée en 1986. Depuis quelque temps, le jeune homme prend peu à peu leur relais avec son épouse Mélanie. L’empire familial s’étend dans tout le Chablais valaisan: outre la boucherie de Vouvry, Planchamp SA possède deux autres enseignes à Troistorrents et à Muraz. «Nous misons sur 
la fabrication artisanale, relève Sylvain Planchamp. Pour nous démarquer des grandes surfaces, nous avons à cœur de proposer des produits de grande qualité et prenons toujours le temps de conseiller notre clientèle.» Chez Planchamp SA, on garantit également une traçabilité irréprochable: sur les belles pièces de viande qui trônent dans l’armoire à rassir figurent le nom des propriétaires, la date d’abattage et le numéro d’identification de chaque animal.
+ d’infos Boucherie Planchamp SA, Vouvry, tél. 024 481 18 38, 
www.traiteurplanchamp.ch

Bon à savoir

Ce fleuron suisse a bien failli y laisser sa peau
En 2008, coup de tonnerre sur les barbecues de Suisse: on prédit une disparition du cervelas. À l’origine de cette vague de panique nationale, la crise de la vache folle: les boyaux utilisés par les boucheries industrielles, provenant du Brésil, sont frappés d’une interdiction d’importation. Une «task force» est créée pour tester une alternative: boyaux de porc, synthétiques ou en fibres végétales, mais sans résultat probant. Autant dire que le soulagement est général lorsque l’interdiction est levée. Cela dit, les producteurs artisanaux, eux, n’ont même pas tremblé: cela fait longtemps qu’ils travaillent avec des boyaux de bœuf suisse.