Agriculture
Le Campus de Grangeneuve, vitrine de l’agriculture fribourgeoise

Fribourg vient d’inaugurer sa nouvelle ferme-école, première étape du lifting qui va s’opérer sur le site de Grangeneuve-Posieux. Interview des deux protagonistes de ce chantier monumental.

Le Campus de Grangeneuve, vitrine de l’agriculture fribourgeoise

Grangeneuve s’offre une ferme à 8 millions de francs pour y loger cinquante vaches laitières. Quel paysan pourrait se permettre un tel investissement?

Didier Castella: La comparaison entre un projet privé et celui d’une ferme-école publique n’est absolument pas de mise! Notre but est avant tout de proposer un outil pédagogique aux futurs paysans, ainsi qu’un bâtiment permettant recherche et expérimentation, d’où des dimensions et un équipement conséquents.

Pascal Toffel: Le coût de la nouvelle ferme est certes trois à quatre fois plus élevé qu’un projet «standard», mais du même ordre de grandeur que les fermes-écoles des autres cantons. En outre, nous sommes à la pointe en matière d’économie d’énergie et de production d’électricité (voir ci-dessous), répondant ainsi à notre mission d’exemplarité.

À travers ce concentré de technologies, vous défendez un système de production basé sur la productivité. L’avenir de l’agriculture fribourgeoise passe-t-il nécessairement par ce modèle?

DC: Force est de constater que c’est actuellement le seul qui offre une réelle longévité économique! On a besoin d’une agriculture productive, professionnelle et nourricière, sans quoi on devra importer davantage. Cela dit, nous soutenons également le développement du bio, la preuve avec notre ferme de Sorens – dans laquelle nous allons prochainement investir –, le domaine viticole des Faverges, cultivé sans intrants chimiques depuis 2004 (sur une partie du domaine et depuis 2020 sur son ensemble, ndlr), et le projet de développement d’une filière maraîchère avec le PDR Bio Gemüse Seeland.

La nouvelle ferme s’intègre dans un projet de redéfinition du site de Grangeneuve-Posieux, budgété à 200 millions. Comment défendre ce projet monumental aux yeux du grand public?

DC: Ce montant, financé par la Confédération, le Canton et le secteur privé, est important. Il témoigne du dynamisme du site et de la volonté du Conseil d’État de doter l’agriculture et le domaine agroalimentaire d’infrastructures à la hauteur de notre ambition: faire de Fribourg le leader de l’agroalimentaire. Cela passe par le développement des infrastructures et celui
de collaborations avec Agroscope, entre autres.

PT: En redéfinissant les missions de Grangeneuve, désormais appelée à devenir une vitrine de l’agriculture fribourgeoise auprès du grand public et à recréer du lien entre ville et campagne. L’ancienne ferme va en effet être transformée en lieu d’accueil et de promotion-vente des produits du terroir fribourgeois. Un «chemin du lait» à but pédagogique sera ainsi créé entre la ferme, la fromagerie et l’espace de dégustation.

Les prochains chantiers – fromagerie-école, centre de compétences lait cru – donnent le ton: en dépit de la remise en question de la production de protéines animales, le lait de vache reste-t-il un pilier du paysage agricole cantonal?

PT: Ce n’est pas un tabou, on fabrique des tommes végétales dans notre fromagerie-école, et ça n’a rien de contradictoire ni d’incompatible avec le gruyère et le vacherin. Je préfère que le consommateur fribourgeois mette dans son bol une boisson à base d’avoine cultivée ici plutôt que du «lait de soja» brésilien!

DC: Si le développement d’aliments à base de protéines végétales ou de boissons à base de céréales va se faire principalement sur le site AgriCo à St-Aubin, on a en parallèle tout intérêt à trouver des solutions pour l’amélioration de l’empreinte écologique du lait fribourgeois, ce sur quoi Grangeneuve va se profiler.

Entre l’arrivée des services administratifs cantonaux et le développement d’Agroscope, la prochaine décennie sera placée sous le signe du béton à Grangeneuve. Le maintien des terrains agricoles productifs ne devrait-il pas être davantage prioritaire dans l’orientation de la politique agricole cantonale?

DC: Grâce à la protection des surfaces d’assolement, la législation fédérale sur l’aménagement du territoire cadre suffisamment bien les choses. Mais on ne peut ignorer les besoins qu’ont les paysans de développer leur outil de production! Posséder des terres, c’est une chose, mais si on ne peut pas les exploiter de façon moderne et efficiente, c’est vain.

PT: Ces deux visions ne sont pas antinomiques. Prenons l’exemple de notre nouveau rural, construit dans un talus. Il y avait initialement 7 mètres de dénivelé sur les 33 mètres de largeur du bâtiment. On s’est certes compliqué la vie d’un point de vue de la construction et on a augmenté les coûts de production, mais on a réussi à ne pas sacrifier la plus belle des parcelles du domaine!

La nouvelle ferme-école est-elle un moyen de séduire un nouveau public?

PT: Le nombre d’exploitations a beau diminuer depuis trente ans à Fribourg, nos effectifs de formation restent stables. Et ce grâce à un public croissant de personnes qui choisissent l’agriculture comme deuxième formation, ainsi qu’à des jeunes venus des villes, à la recherche d’un «retour aux sources». C’est d’ailleurs bien là notre principal défi: faire cohabiter des profils différents, tout en intensifiant notre offre en formations continues.

DC: Le nouveau Campus de Grangeneuve-Posieux se veut un lieu de rassemblement et d’échanges, permettant à tous ceux qui gravitent autour du monde agricole de s’y identifier.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Mathieu Rod

Bio Express

Didier Castella est conseiller d’État PLR depuis 2018. Âgé de 51 ans, ce physicien de formation est à la tête de la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts. Auparavant, il était responsable des questions environnementales au secrétariat général du Département fédéral de la défense.

Pascal Toffel dirige l’Institut agricole de Grangeneuve depuis 2015. Ingénieur agronome EPFZ, il a auparavant tenu les rênes de l’Union maraîchère suisse puis de Swiss granum.

Bientôt un biogaz de pointe

Rénovée dans les années 70, l’ancienne ferme-école de Grangeneuve datait du début du
20ème siècle. «L’outil était désuet, reconnaît Pascal Toffel. Il y avait un besoin pédagogique de disposer de plus de modernité.» Le nouveau bâtiment (14 m de haut sur une surface de 2900 m2) accueille 90 UGB, dont 50 laitières. Outre deux revêtements de sol différents dans la stabulation libre, quatre cellules permettront de comparer les techniques de séchage de fourrage. D’ici deux ans, un prototype de centrale de biogaz à traitement thermique devrait dédoubler le rendement énergétique du lisier et des coproduits issus du site.