Viticulture
L’arbre fait son retour dans les vignes romandes

Autrefois considérés comme indésirables dans les vignobles, les arbres y retrouvent graduellement une place à la faveur du projet-ressource Agroforesterie – et grâce à l’enthousiasme de quelques pionniers.

L’arbre fait son retour dans les vignes romandes

Des lignes d’arbres intercalées entre les rangs, des haies en bordure de parcelles, de petits fruitiers animant des «coins morts» ou faisant carrément office d’échalas vivants: une vision impensable il y a quelques années, et qui pourtant façonne de plus en plus le paysage viticole chez nos voisins. «Depuis quatre ans, l’engouement pour la vitiforesterie en France est extraordinaire, s’enthousiasme Alain Canet, promoteur et spécialiste réputé des systèmes agroforestiers depuis 1990. Les plus grands domaines s’y mettent, à l’image du Cheval Blanc qui a franchi le pas cette année. Choisi, taillé, orienté et géré pour servir la vigne, l’arbre est un atout dont le caractère nécessaire ne fait que s’affirmer à la faveur des chocs climatiques de plus en plus fréquents et destructeurs.»

 

Information et exemples

En Suisse, les choses ne bougent pas si vite. La récente mise en œuvre du projet-ressource Agroforesterie dans quatre cantons romands (voir encadré ci-dessous) incite pourtant plusieurs producteurs à oser l’expérience – d’autant que les initiateurs de ce programme proposaient à la fin du mois d’août une journée d’information consacrée à la vitiforesterie.

Plusieurs pionniers, il y a quelques années, se sont déjà risqués sur ce terrain. À Chamoson (VS), Didier Joris peut aujourd’hui contempler une haie de fruitiers et d’arbustes indigènes plantés en 2010; à Plan-Cerisier, sur les hauteurs de Martigny, Mélanie Besse soigne sur ses parcelles une quarantaine d’oliviers que son père Florian avait importés de Provence.

Les nouvelles expériences, elles, sont en cours, par exemple à Rivaz (VD), où Basile Monachon, après une première plantation en 2020, s’y est remis ce mois-ci avec une nouvelle série de petits arbustes entre les rangs de certaines parcelles, et sur ces fameux coins morts où le traitement est fastidieux et non rentable. Ou à Begnins (VD), chez Noémie Graff, qui fait plus ou moins de même – en essayant en outre une rangée de hutins, inspirée par les pratiques antiques qu’elle connaît bien en tant qu’historienne. Ou encore à Soral (GE): déjà très impliqué dans le développement agroforestier de ses grandes cultures, Christophe Batardon a lui aussi planté deux lignes d’arbres au milieu d’une parcelle de vigne.

 

Plus de biodiversité

Pour ces deux derniers producteurs, le projet-ressource a clairement joué un rôle d’incitateur. Mais pour l’essentiel de ces incursions vitiforestières, c’est d’abord la volonté de promouvoir la biodiversité qui est au cœur de la démarche, couplée à l’image positive de l’arbre – voire à son utilité en tant que paravent à la dérive des aspersions voisines. «La mise en place de véritables systèmes vitiforestiers, avec des plantations intercalaires à large échelle, se heurte encore au scepticisme des vignerons quant au ratio coût/gain à en attendre», constate David Marchand. C’est pourtant en matière de bénéfice écosystémique que l’association a le plus à offrir, souligne le conseiller viticole au FiBL – qui faisait d’ailleurs partie des interlocuteurs de la journée d’information du projet-ressource. «L’arbre est un excellent régulateur thermique et hydrique, énumère-t-il. Complémentaire au couvert, il protège le sol, mais lui amène beaucoup plus de carbone, notamment par les résidus de taille qui constituent un véritable BRF à disposition sur place. Et il pourrait servir d’ombrage aux animaux utilisés dans le cadre de l’agropastoralisme.»

«Avec un arbre, la vigne a la tête au soleil et les pieds à l’ombre, renchérit Alain Canet. Et dès qu’elle y est connectée par les champs mycorhiziens, elle augmente sa capacité à lutter contre le mildiou.» Les bénéfices climatiques de la vitiforesterie intéressent de fait les structures cantonales de la branche. «Ils seraient particulièrement appréciables en Valais, où l’on a des sols drainants, des températures élevées et un manque chronique d’eau, réfléchit Bertrand Nominé, chef de secteur viticulture au Service cantonal de l’agriculture. On réfléchit d’ailleurs à faire un essai de ce type au domaine du Grand-Brûlé. Mais la petite surface moyenne des parcelles ne facilite pas les choses.»

 

Des précautions nécessaires

Se lancer dans la vitiforesterie exige quoi qu’il en soit un minimum de précautions, soulignent à l’unisson nos deux spécialistes: choisir un système réaliste et gérable, éviter les essences très allélopathiques, privilégier celles qui sont taillables en trogne pour déployer leur couronne sans gêner la vigne ni entraver les travaux…

Le choix des essences doit aussi tenir compte des cycles végétatifs des deux plantes appariées. Mieux vaut choisir celles dont le pic de besoins en nutriments ne coïncide pas avec celui de la vigne! Noémie Graff, d’ailleurs, indique avoir choisi ses arbres en veillant à ce que leur floraison n’ait pas lieu en même temps que celle de la vigne. La clé, surtout, réside dans l’association arbres-couverts permanents et temporaires. «Plus on utilise l’énergie solaire pour créer du végétal en parallèle de la vigne, plus on obtiendra des systèmes sol-vigne résilients aux chocs climatiques», formule David Marchand.

En résumé, «il faut se renseigner, aller voir des systèmes fonctionnels et des intervenants expérimentés». La création d’un réseau de vignerons impliqués dans la démarche, que le projet-ressource vise aussi à favoriser, s’avère payante. «Là où la vitiforesterie marche le mieux, c’est dans les régions où l’on a multiplié l’information et la circulation des retours d’expérience», note le Français.

Certes, les arbres plantés aujourd’hui ne déploieront pas leurs effets bénéfiques avant plusieurs années. «Mais c’est maintenant qu’il faut agir: d’ici 2050, on va se prendre 2°C de plus, et le vignoble suisse sera lui aussi impacté, le Valais en particulier», avertit David Marchand.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Encourager l’agroforesterie

Soutenu par l’OFAG, le projet-ressource Agroforesterie a été lancé en 2020 dans 4 cantons romands (Vaud, Genève, Neuchâtel et Jura). Les 140 exploitations qui y participent à titre volontaire bénéficient d’un encadrement technique personnalisé et d’un soutien financier d’un montant maximum de 36000 francs jusqu’à 2026, le suivi scientifique de chaque projet s’étendant sur deux années supplémentaires.

Questions à Alain Canet, formateur en agroforesterie

Qu’est-ce qui explique le succès de la vitiforesterie en France?

Les pratiques ancestrales, les besoins des vignerons et les acquis des recherches menées il y a vingt ans ou plus ont montré le bien-fondé de l’arbre comme accompagnateur de la vigne! On a mis en place un système d’évaluation des résultats agronomiques et techniques, et un réseau efficace permet de de comparer ceux-ci chaque semaine. L’agroforesterie est désormais considérée comme un maillon essentiel de l’agroécologie.

 

Est-elle donc sortie de sa dimension expérimentale?

On a en tout cas suffisamment de recul pour voir ce qui fonctionne et comment. Nous avons beaucoup travaillé avec des spécialistes des mycorhizes pour déterminer les essences les plus indiquées, la taille et la gestion de la croissance. On a pu rectifier les erreurs commises, affiner notre connaissance des cycles de l’humus et du carbone.

 

Le système est-il généralisable à tous les vignobles?

Oui, je le crois. Le constat que l’arbre entretient la vigne, induit de la fertilité et permet de réduire les intrants et les atteintes au sol s’impose de plus en plus. Et les réglementations des appellations ont en général une souplesse qui permet la plantation – quand elles n’introduisent pas volontairement des changements dans ce sens.