Rencontre
À travers son oculaire, l’amoureux des étoiles contemple l’univers

Cet été, nous vous emmenons à la découverte du ciel suisse. René Durussel, lui, le connaît comme sa poche. Fondateur de l’observatoire de Vevey, il a également fabriqué la plupart des télescopes de l’établissement.

À travers son oculaire, l’amoureux des étoiles contemple l’univers

Alors que le soleil est au zénith, il porte à bout de bras son impressionnant instrument et le dépose au milieu des coquelicots. «C’est un peu lourd pour quelqu’un de mon âge, mais j’y arrive encore», sourit René Durussel, 81 ans. L’esprit vif, le pas décidé et le ton blagueur, le Vaudois manie son télescope avec adresse, en chantonnant à tout-va. «Je pourrais aussi m’installer dans la coupole, mais je n’y suis pas très à l’aise. Pour tout vous dire, je suis claustrophobe», confie-t-il. Un comble pour ce féru d’astronomie, qui a fondé l’observatoire de Vevey en 1977.

Aujourd’hui, le curieux bâtiment aux reflets argentés règne en maître sur les hauts de la commune vaudoise. Plusieurs mardis par mois, par ciel dégagé, l’astronome amateur y anime des soirées gratuites pour tous publics. Véritable pilier de l’établissement, il est le plus ancien membre actif de la Société d’astronomie du Haut-Léman. Mais pas le plus discret, pour le grand plaisir de ses collègues. «René est toujours dans les parages, prodiguant des conseils et rangeant le matériel. Il est disponible pour tout le monde en permanence, assure Jean-Pierre Maire, membre du comité. De plus, il a fabriqué la plupart de nos télescopes de ses propres mains! C’est un savoir-faire très rare de nos jours.»

Fasciné par le cosmos

Il est vrai que notre homme a un talent remarquable et de nombreuses heures de bricolage derrière lui. Fils d’un sellier tapissier établi à Saint-Cierges (VD), il a longtemps bénéficié d’un «petit coin d’atelier pour taper du marteau». Lorsque son professeur de philosophie, au gymnase, l’initie à l’astronomie, le jeune René, téméraire, décide de se lancer. «Je n’avais pas d’argent pour me payer un télescope alors je m’en suis construit un», résume en quelques mots cet adorateur des astres. Pourtant, la tâche est minutieuse et ardue. Fabriquer la structure de bois, trouver les matériaux adéquats, calculer les bons angles et surtout polir les miroirs, nécessaires au bon fonctionnement de l’engin. «Il faut une force d’ours pour frotter certains disques de verre entre eux. Je ne pourrais plus le faire aujourd’hui», relève l’artisan.

Fier de sa quinzaine de créations, dont certaines permettent de contempler le cosmos deux cents fois plus près qu’à l’œil nu, ce grand-père de deux petites-filles aime se rappeler le bon vieux temps. «J’ai occupé toutes sortes de locaux pour monter mes machines, tels que l’ancienne morgue de l’école de médecine de Lausanne ou de vieilles étables à cochons. C’était la belle époque! Mon plus beau souvenir reste tout de même le jour où j’ai fait l’acquisition de la coupole.»

Astronome et professeur

À la fin des années 1960, l’Université de Genève, au fait de son engagement dans le domaine, l’appelle pour lui proposer de récupérer une partie de l’observatoire du Gornergrat (VS), afin de le ramener à Vevey. Ni une ni deux, l’étudiant en lettres motive deux de ses amis à prendre la route en sa compagnie. «C’était une expérience incroyable. Nous avons déplacé l’imposante structure en la faisant glisser sur la neige puis en la chargeant sur un wagon. Je m’en rappelle comme si c’était hier», raconte-t-il, photos à l’appui. Aujourd’hui, l’institution veveysanne est «l’une des mieux équipées du pays». Fraîchement rénovée, elle attire des centaines d’amoureux des cieux de tout âge chaque année, du canton de Vaud au Valais.

Bien que René Durussel y ait passé beaucoup de temps ces quarante dernières années, il assure ne jamais avoir négligé son métier: celui de directeur du collège de Vevey, qu’il a exercé pendant près de vingt ans, en plus d’enseigner le français et l’allemand. «J’ai toujours eu le temps de conjuguer mes différentes activités, c’est une chance.» Polyglotte, il est également tombé en extase devant le russe, sa langue favorite, qu’il emploie tout particulièrement lors de ses prières quotidiennes. «Ce sont des mots qui me touchent, notamment les romans d’Alexandre Pouchkine», précise-t-il. Quand on lui en demande la raison, il ne sait dire que: «C’est tout simplement beau et riche, comme la voûte céleste.» Malgré sa rigueur d’ancien militaire, il suffit de voir l’étincelle dans ses yeux lorsqu’il évoque la constellation d’Orion pour saisir ce qui l’anime. «Le ciel en été est incroyable, mais en hiver, c’est encore mieux.»

Au plus près du Soleil

En attendant les premières neiges, il passe l’été dans son chalet à Chandolin (VS) avec son épouse Monique, elle aussi ancienne professeure de langues. Perché à 1980 mètres d’altitude, le couple profite de sa terrasse, «le plus bel observatoire de tous». Comètes, amas globulaires, voie lactée et planètes en tout genre: de 20 h à minuit, René Durussel, contemplatif, a les yeux rivés sur son télescope. «Quand je scrute l’infini, je ne réfléchis pas, j’admire. Je me sens petit, mais ça ne me fait pas peur. Je me dis que j’ai de la chance de pouvoir accéder à cet univers magique.»

Demain, aux premières lueurs du jour, ce grand amateur de promenade enfilera ses chaussures de marche. «J’aime me balader dans nos montagnes, mais je ne suis pas un globe-trotter. Mon voyage favori, c’est là-haut qu’il se passe», conclut-il, l’index pointé vers le ciel.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Mathieu Rod