Interview
«L’agroPrix est la preuve concrète de la capacité d’innovation des paysans»

Lancé il y a vingt-cinq ans, l’agroPrix, dont «Terre&Nature» est partenaire, récompense chaque année des projets agricoles innovants. À quelques semaines de la remise des prix, qui aura lieu le 2 novembre à Berne, le président du jury, Roland Stähli, revient sur la contribution de ce prix à notre agriculture et nous explique aussi comment travaille le jury en amont des nominations.

«L’agroPrix est la preuve concrète de la capacité d’innovation des paysans»

En vingt-cinq ans d’existence, qu’a apporté le concours de l’agroPrix à l’agriculture suisse?
➤ Avant tout de la visibilité, aussi bien pour les projets mis en lumière que pour l’agriculture dans son ensemble. L’agroPrix est un formidable outil pour faire connaître des idées et des projets non seulement au sein de la profession mais aussi et surtout en dehors. Tout en reflétant l’esprit d’ouverture et d’innovation de nos paysans, ce prix a également pour vocation de susciter d’autres initiatives: en montrant ce que certains producteurs osent faire, cela encourage et motive les autres à se lancer à leur tour dans un projet. Enfin, la dimension de compétition inhérente au prix s’avère une source de stimulation pour ces paysans qui se dépassent lors de la cérémonie finale à Berne.

Les prix récompensant l’innovation agricole, organisés par un canton ou par une organisation de branche, ont fleuri ces dernières années. Est-ce que cette concurrence se ressent quant au nombre de dossiers participant à l’agroPrix?
➤ Non, puisque nous avons toujours en moyenne 50 à 60 candidatures par année. Cette concurrence est tout à fait saine de mon point de vue. Du reste, l’agroPrix englobe tout le territoire helvétique et toutes les branches de production. C’est devenu au fil du temps une institution, reconnue et réputée, qui n’a pas d’autre équivalent dans le pays en matière agricole.

Quel est le genre de projet que plébiscite le jury et qui a toutes les chances de se retrouver nominé?
➤ Un projet qui nous surprend par son idée aussi bien que par la façon dont il est réalisé. Nous nous enthousiasmons autant pour un céréaliculteur qui récolte de l’épeautre en vert et le transforme en jus que pour un éleveur de porcs qui s’est lancé dans la myciculture et décide de fabriquer son propre substrat plutôt que de l’importer de l’autre bout du monde. Nous sommes aussi particulièrement sensibles à ceux qui ont eu la patience et l’endurance d’améliorer leur projet année après année et qui ne s’arrêtent jamais. C’est cela aussi, l’innovation: démontrer sa capacité d’aller au bout d’une idée, en la développant au fil du temps. D’ailleurs, la durabilité des projets est l’un des critères essentiels pour nous, les jurés.

Justement, on reproche parfois au jury de l’agroPrix de ne récompenser que des projets lancés de longue date. Pourquoi ne prenez-vous pas plus de risques en primant des projets jeunes, qui ont besoin d’un coup de pouce?
➤ Nous avons effectivement récompensé des projets matures ces dernières années, comme le sapalet de la famille Henchoz à Rossinière (VD) ou les lentilles de Sauverny de la famille Courtois à Versoix (GE), qui avaient déjà eu le temps de faire leurs preuves. Je n’ai cependant pas le sentiment qu’on pêche par excès de zèle ou manque de courage. L’agroPrix n’est pas un concours d’idées, mais une récompense pour des projets à succès: nous analysons en détail les résultats économiques sur plusieurs années. Un simple budget prévisionnel ne nous suffit pas! Cela dit, ces dernières années, nous avons également mis en avant des initiatives plus jeunes. Il n’y a qu’à voir les nominés du cru 2017!

Le jury de l’agroPrix se définit-il comme un prescripteur de tendances au sein du monde agricole?
➤ Les sept membres du jury sont tous des spécialistes dans leur domaine, que ce soit celui de la technique, de l’énergie, de l’agrotourisme ou encore de la formation. Nous avons donc une certaine légitimité pour effectuer un choix, et surtout évaluer dans quelle mesure le projet nominé peut servir de «modèle». Quand nous attribuons l’agroPrix à la famille Courtois, ce n’est bien sûr pas pour que tout le monde se lance dans la culture de lentilles. Mais cela se veut un signal fort, car, sur le marché suisse, le besoin est bien là pour des légumineuses et autres plantes produites localement et intéressantes d’un point de vue nutritif, tel le quinoa, par exemple.

Que sont devenus les anciens gagnants de l’agroPrix?
➤ Nous gardons bien évidemment toujours un œil sur l’évolution des paysans qui ont un jour été nominés. À quelques exceptions près – dues à des changements de vie comme un départ de la famille à l’étranger, par exemple –, tous les projets se sont bien développés. Mieux encore, et c’est remarquable, ils durent et résistent à l’épreuve du temps. La récompense obtenue a certes donné un coup de pouce financier, mais a aussi eu un impact sur la situation psychosociale des exploitants. La famille Henchoz, par exemple, a été récompensée en 2014, en plein milieu de la remise de l’exploitation et du changement de génération. Eh bien, lors de cette transition toujours délicate, l’agroPrix a constitué une source de motivation importante pour ces jeunes, qui reprennent le domaine en bénéficiant d’une reconnaissance unique en son genre!

De par vos mandats de formateur, vous voyagez beaucoup à l’étranger. Trouvez-vous que l’agriculteur helvétique est plus innovant que la moyenne?
➤ Ni plus ni moins! En Suisse comme ailleurs, on innove pour améliorer sa situation, en résolvant un problème ou en satisfaisant un besoin. Dans notre pays, les conditions-cadres ne sont pas plus favorables que chez nos voisins. Nous avons d’ailleurs une grande marge de progression dans ce domaine. Un élargissement de l’éventail de mesures de soutien étatique ou privé favoriserait clairement l’innovation.

Depuis qu’il existe, l’agroPrix n’a pas changé sa formule. Ne serait-il pas temps de faire évoluer cette compétition en l’ouvrant et en l’élargissant encore plus?
➤ On pourrait effectivement se diversifier en classant les prix par catégorie (services, concepts, idées techniques, etc.) afin d’attirer encore plus de candidats. Cela nous permettrait de prendre mieux en compte de nombreuses idées qui nous sont soumises mais qui ne correspondent pas exactement à nos critères de sélection. Je pense notamment à tous les agriculteurs qui optent pour une stratégie de production durable d’un point de vue environnemental, et cela dans toutes les facettes de leur domaine.

Texte(s): Propos recueillis par Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

De quoi parle-t-on?

Organisé par l’Emmental Assurances, l’agroPrix récompense depuis 1992 les projets originaux présentés par des agriculteurs ou des groupes de paysans. La sélection se base sur l’originalité, mais aussi la capacité d’améliorer durablement la rentabilité des exploitations agricoles concernées. Des acteurs extérieurs peuvent également être associés à ces projets. Les dossiers sont examinés par un jury constitué de professionnels du secteur agricole et d’anciens gagnants. Outre le prix du jury de 20 000 francs qui sera attribué le 2 novembre à Berne, un prix des lecteurs de 3000 francs sera remis par les rédacteurs en chef de Terre&Nature et du Schweizer Bauer. Vous pouvez donc voter jusqu’au 9 octobre pour votre projet préféré en vous rendant sur notre site internet: www.terrenature.ch/agroprix-2017. Un tirage au sort est organisé parmi les participants au vote et de nombreux lots sont en jeu!
+ D’infos www.agropreis.ch

Bio Express

Roland Stähli préside le jury de l’agroPrix depuis 2013. Agé de 53 ans, ce fils de pasteur bernois, ingénieur agronome de formation, est aujourd’hui responsable de l’enseignement à la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires de Zollikofen (BE). Passionné de littérature, de musique et de jardinage, il est régulièrement mandaté par Helvetas ou l’Entraide protestante suisse dans les pays en développement comme expert en formation agricole.