Johann Schneider-Ammann
«L’agriculture suisse doit préparer sa révolution numérique»

La semaine dernière au Salon de l’agri­culture de Paris, Johann Schneider-Ammann a plaidé pour la digitalisation de l’agriculture. Dans quelle mesure les paysans suisses pourront-ils en tirer profit? Interview exclusive.

«L’agriculture suisse doit préparer sa révolution numérique»

La révolution numérique dans les fermes est votre nouveau cheval de bataille. Comment expliqueriez-vous concrètement ce concept de digitalisation de l’agriculture?
➤ Les nouvelles technologies – capteurs en tout genre, stations météo, robots de traite, drones – se généralisent dans nos fermes. Ces outils collectent aujourd’hui, dans les champs et les étables, des données qu’on pourra, demain, croiser à l’échelle d’un domaine, voire mettre en réseau entre plusieurs exploitations. Correctement utilisée et valorisée, cette masse d’informations sera un atout évident pour les acteurs du monde agricole.

En quoi cette numérisation peut-elle aider les producteurs suisses à sortir du marasme ambiant, voire, dans certains secteurs, de la crise?
➤ Je ne crois pas qu’on puisse dire que l’agriculture est en crise. Elle lutte avec des coûts élevés, des prix des matières premières effectivement trop faibles. Elle fait face à des défis. Pour moi, elle est en transition permanente. L’une des prochaines étapes sera la digitalisation, qui permettra par exemple aux exploitants de faire des économies d’intrants sur les cultures grâce à l’agriculture de précision, ou de réduire l’usage de médicaments en élevage grâce à la biosurveillance. Ils auront à leur disposition de nouveaux outils d’aide à la gestion, leur permettant de prendre des décisions et d’anticiper les problèmes. Ils pourront également accéder à de nouvelles plates-formes de vente. Qu’on le veuille ou non, la révolution est déjà en marche. L’agriculture se renouvellera par la numérisation, et sa compétitivité en sortira renforcée.

Des voix s’élèvent cependant, inquiètes que la digitalisation ne bénéficie qu’à la frange la plus dynamique des exploitations. N’y a-t-il pas effectivement un danger de voir un fossé se creuser entre les exploitations en fonction de leurs capacités d’adaptation et d’investissement?
➤ J’ai confiance en notre système de formation professionnelle, l’un des meilleurs et des plus flexibles du monde. C’est notre atout le plus solide pour être capables d’affronter cette révolution 4.0. Par ailleurs, je constate régulièrement que les agriculteurs sont très ouverts aux innovations technologiques, et même passionnés par les nouvelles possibilités qu’elles offrent pour faciliter leur quotidien. J’ai confiance en eux, ils sauront s’adapter.

Une autre préoccupation de taille pour le milieu agricole, c’est l’usage que les entreprises gravitant autour des exploitations pourraient faire de ces données. Face à ce risque de voir ces firmes acquérir encore plus de poids, l’État ne devrait-il pas accompagner la transition par des règles?
➤ Je ne suis pas favorable à une hyperrégulation. Je suis un libéral et je veux éviter tout dirigisme. Je suis bien conscient des craintes relatives à la position dominante de certains acteurs, mais fixer des conditions-cadres trop strictes risquerait de brider les initiatives des entreprises. À mon avis, il faut pour l’instant laisser le temps et l’espace maximum pour faire les premières expériences et en tirer les enseignements. Il sera toujours temps de clarifier les points litigieux par des règles une fois que ceux-ci apparaîtront. Mon message aux paysans: Soyez courageux et innovants, engagez-vous dans cette voie de la digitalisation!

Plus que de numérique, les producteurs de lait ont surtout besoin d’espoir pour continuer à produire… Les temps sont difficiles pour eux, en témoignent encore les demandes répétées des organisations paysannes pour une augmentation des prix et une intervention de l’État. La priorité n’est-elle pas là?
➤ Contrairement à ce que vous laissez entendre, je ne laisse pas la filière laitière se débrouiller toute seule. Je suis en contact avec les différents acteurs de la branche et j’essaie de juger la situation correctement. Je peux offrir un espace de dialogue, mais je reste convaincu que c’est à la branche de trouver sa propre solution. Une distribution de subsides étatiques ou une intervention trop directe des pouvoirs publics ne sont pas des solutions durables.

Vous êtes favorables à la libéralisation des marchés et à l’ouverture des frontières. Mais le Brexit et l’élection de Trump aux États-Unis ne vous font-ils pas vous interroger sur la ligne que vous défendez?
➤ Je reste convaincu que le maintien de conditions-cadres libérales est source de stimulation pour l’économie et invite les investisseurs et entrepreneurs à aller de l’avant. Quant à Donald Trump, il aura beau se focaliser sur son marché américain, il sera tôt ou tard rattrapé par les besoins d’échanges de son pays avec l’extérieur!

Alors que la politique agricole pour 2022 est en cours d’élaboration, dites-nous quelle agriculture vous souhaiteriez voir demain, en Suisse.
➤ Je souhaite en priorité qu’elle soit capable de nourrir notre société et sa population grandissante, avec un taux d’autosuffisance de 60% et des aliments de première qualité. Pour cela, il faut une gestion plus efficiente des ressources, mieux coller aux marchés et davantage faire appel à la responsabilité privée, à l’esprit entrepreneurial des exploitants agricoles.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): DR

De quoi parle-t-on?

Smart farming, agriculture 4.0, ferme intelligente: voilà quelques-uns des termes qu’on a pu entendre à l’occasion de la venue au Salon de l’agriculture de Paris du conseiller fédéral Schneider-Ammann. La numérisation de l’économie est au cœur des préoccupations actuelles du ministre de l’Économie, qui a participé à un séminaire avec une délégation de parlementaires et de représentants du monde agricole helvétique et français. Les jeunes pousses actives dans les nouvelles technologies étaient également du voyage, comme Combagroup, basé à Molondin (VD). L’Union suisse des paysans suit de très près cette thématique et travaille actuellement avec l’Office fédéral de l’agriculture, Agridea et la Fenaco.

En France, La ferme digitale prend son envol

Ces dernières semaines dans les médias français, il n’y en a que pour elles: ces start-up qui poussent comme des champignons et proposent aux exploitants agricoles de l’Hexagone toutes sortes de services: plate-forme de financement participatif, logiciels de gestion, capteurs (pluviomètre, tensiomètre, hygromètre) aidant à la fertilisation, site web permettant aux consommateurs de cultiver virtuellement une parcelle de potager et de recevoir ses récoltes à domicile, etc. Le plus emblématique de cette nouvelle génération de sociétés est sans doute le site web marchand consacré aux paysans Agriconomie, véritable Amazon de l’agriculture, dont le jeune patron, Paolin Pascot, est également président de l’association La ferme digitale. Cette dernière regroupe une quinzaine de jeunes entreprises agricoles employant au total 350 personnes. «Notre but, c’est de promouvoir l’usage du numérique dans les fermes, mais également de rapprocher le consommateur final des producteurs, explique-t-il. En combattant les oligopoles, nous souhaitons que les chefs d’exploitation puissent reprendre les rênes de leurs exploitations.»