Agriculture
«L’agriculture du Jura a les moyens de tirer son épingle du jeu»

La politique agricole 2014-17 profite à l’agriculture jurassienne, même si certaines mesures ont des effets négatifs. Le regard du patron de l’Économie rurale cantonale, Jean-Paul Lachat.

«L’agriculture du Jura a les moyens de tirer son épingle du jeu»

D’ici quelques semaines, l’agriculture suisse s’apprête à entamer un nouveau cycle de politique agricole (avec la PA 2018-21). Comment les paysans jurassiens ont-ils tiré leur épingle du jeu de la précédente réforme?
➤ À mes yeux, le bilan est positif, puisque l’enveloppe des paiements directs à destination du canton a été légèrement supérieure aux périodes précédentes. Les raisons de ce succès, ce sont la taille des domaines – ils sont deux fois plus grands que l’exploitation moyenne helvétique –, mais aussi les projets de contribution à la qualité du paysage. Le Canton s’est en effet efforcé, dès 2014, d’offrir la possibilité à tous les exploitants sans exception d’adhérer à un des trois projets – Franches-Montagnes/Clos du Doubs, district de Delémont et Ajoie. Ça a parfaitement fonctionné, puisque nous avons pu observer un taux de réponse de 80% parmi nos exploitants. Le fait d’avoir été nommée région pilote par la Confédération nous a bien sûr aidé. Une bonne implémentation des réseaux écologiques sur toute la surface du canton aussi. Mais le plus marquant, c’est que les paysans ont su saisir les enjeux de cette réforme. Désormais, les surfaces de compensation écologiques représentent 15,5% de toute la surface agricole utile du canton. Au final, on a pu offrir à nos exploitants une enveloppe de 6 millions de francs et, surtout, les accompagner et leur donner des conditions de mise en place acceptables.

Cela ne semble cependant pas avoir freiné la restructuration du secteur agricole: plus de 30% des exploitations ont disparu en moins de vingt-cinq ans, dont 100 ces six dernières années, et les cheptels bovins, équins et porcins sont en diminution. La grande taille des domaines n’aide-t-elle donc en rien à leur bonne santé économique?
➤ L’agriculture jurassienne est aujourd’hui au premier rang des agricultures rationalisées. La construction des autoroutes nous a permis d’accéder plus facilement aux marchés nationaux, dont nous avons longtemps été privés. Mais le niveau d’endettement des exploitations est effectivement identique à la moyenne nationale. Dans le contexte économique actuel morose, la taille ne change pas la donne. Cependant, j’observe que nombre d’exploitants ont réorienté leurs activités en se diversifiant ou en se convertissant à l’agriculture biologique. Le Jura est aujourd’hui la région leader en Suisse romande au niveau de la proportion d’agriculteurs bios. Près d’une vingtaine de domaines sont d’ailleurs inscrits pour une reconversion en 2018.

La Fondation rurale interjurassienne a formulé l’objectif de 20% des exploitations en bio à l’horizon 2020. N’est-ce pas trop ambitieux, quand on voit que certaines filières bios sont victimes de leur succès, entraînant des engorgements de marché?
➤ Non, je ne crains pas de retour de bâton. Ces reconversions répondent à une demande du marché: volaille, blé panifiable, produits laitiers, les marchés sont là. Nos structures sont parfaitement adaptées: les fermes sont certes grandes, mais relativement extensives. Le pas à franchir pour passer au bio est donc moins important qu’ailleurs.

Les perspectives d’avenir sont moins enthousiasmantes pour les producteurs de lait de centrale. La filière laitière jurassienne s’est effondrée en quelques années, alors qu’elle était votre fer de lance, avec une SAU constituée à 70% d’herbages. Pourquoi le Canton n’intervient-il pas directement pour soutenir cette filière exsangue?
➤ Apporter des soutiens directs à la production, comme l’a fait le canton du Valais il y a quelques années, ne résoudra pas les problèmes. Le rôle des pouvoirs publics cantonaux est d’accompagner le renouvellement des outils de production, par le biais d’améliorations structurelles. Nous mettons à disposition une enveloppe cantonale de 3,2 millions de francs chaque année, c’est loin d’être négligeable! Ce n’est par ailleurs pas le seul levier, puisque nous prenons également des mesures de soutien direct en faveur de l’élevage, via des contributions sur les marchés publics. Là encore, il s’agit d’environ 500 000 francs, qui ont un effet direct sur la santé de l’économie agraire régionale.

Quel avenir esquissez-vous pour la production de lait de centrale au Jura?
➤ Pour que, demain, le nombre de producteurs laitiers ne recule pas, il faudrait augmenter la part de lait transformé en fromage. Actuellement, seulement 25% du lait jurassien est valorisé en fromage. Les producteurs de lait de centrale sont, depuis plus d’une année, membres de la plus grande structure d’achat laitière du pays, Mooh. Elle collecte le lait auprès de 3900 producteurs dans dix-sept cantons. La voix des Jurassiens est donc faible! Je garde cependant espoir au vu de la motivation de nos troupes. Une société de laiterie est ainsi en train d’étudier un projet pour transformer et conditionner du lait. En parallèle, il y a une réelle volonté politique de soutenir cette stratégie.

Pourtant, compte tenu de l’adoption de deux récentes motions – la première pour l’interdiction du glyphosate et la seconde pour la réduction de 50% des volumes de pesticides –, on a plutôt l’impression que l’agriculture n’est plus vraiment en odeur de sainteté au Parlement jurassien…
➤ Pas du tout! L’agriculture jurassienne bénéficie d’une bonne image et de bons relais politiques avec neuf parlementaires paysans sur soixante élus, et deux suppléants. Ces deux motions traduisent les préoccupations d’une partie de la population que j’entends parfaitement. La mise en œuvre de ces requêtes constitue un défi de taille: comment réaliser leurs objectifs sans pénaliser les producteurs? Mais force est de constater que les exigences formulées par le Parlement sont difficilement atteignables. Pour supprimer le glyphosate du commerce de détail comme pour réduire de 50% les volumes de produits phytosanitaires, il nous manque passablement de bases légales.

Qu’attendez-vous de la politique agricole 2022, dont le message devrait être délivré prochainement? Le Jura continuera-t-il à tirer son épingle du jeu?
➤ Pour moi, elle doit permettre de mieux valoriser la production de denrées alimentaires, qui a clairement diminué suite à la dernière politique agricole. Il y a aujourd’hui évidemment un souci quand on voit qu’une jachère ou des bosquets rapportent davantage que le lait… La prochaine politique agricole doit donc être rééquilibrée. J’espère également une simplification administrative. La politique agricole constitue une charge administrative considérable pour le Canton, mais s’avère surtout extrêmement compliquée à mettre en place pour un exploitant. Le paysan passe des heures à remplir de la paperasse et à intégrer les contraintes de la politique agricole dans chacune de ses décisions. Pour moi, il y a un risque que les agriculteurs n’arrivent plus à suivre, qu’ils s’épuisent. Ces contraintes permanentes sont moralement pesantes, il faut à tout prix alléger ce système.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Nicolas de Neve

Bio express

Jean-Paul Lachat est un enfant de Clos du Doubs. Né en 1964, il suit la formation d’ingénieur agronome à la Haute École de Zollikofen (BE) et devient gérant d’une coopérative Landi dans son canton d’origine. Il dirige la Chambre d’agriculture jurassienne entre 2003 et 2011 avant d’accéder au poste de chef de service de l’Économie rurale.

En chiffres

L’agriculture jurassienne, c’est:

  • Un petit millier d’exploitations agricoles.
  • Plus de la moitié de ces fermes font au moins 30 hectares.
  • 400 producteurs de lait produisant en moyenne un peu plus de 200’000 kg de lait par année.
  • 70% du lait jurassien est écoulé sous forme de lait industriel. Le reste est transformé en tête-de-moine AOP et gruyère AOP dans sept fromageries.
  • 10’000 hectares de terres ouvertes et 20’307 hectares de pâturages.