Interview
«L’agriculture genevoise est plus réactive qu’ailleurs, c’est sa force»

À la tête de l’Office genevois de l’agriculture et de la nature depuis l’automne dernier, Valentina Hemmeler Maïga considère l’avenir agricole du canton avec optimisme.

«L’agriculture genevoise est plus réactive qu’ailleurs, c’est sa force»

D’après les projections démographiques, le canton de Genève comptera 100 000 habitants de plus en 2040. Faut-il y voir une menace ou une opportunité pour l’agriculture genevoise?
➤ Disposer d’un grand bassin de population à portée de main est plutôt un atout. J’ai confiance en la capacité d’adaptation des familles paysannes et de leur outil de production, qui occupe quand même plus d’un tiers de la surface cantonale. Normalement, les grands déclassements de zones agricoles sont derrière nous, il s’agit désormais de densifier la ville. Reste encore l’enjeu de la construction d’infrastructures, qui ne se fera pas sans menacer les surfaces d’assolement.

Les producteurs genevois ne partagent pas tous votre optimisme. Ces derniers temps, on a ainsi entendu à plusieurs reprises la filière viticole s’inquiéter pour son avenir. Le canton a-t-il abandonné ses vignerons à leur propre sort?
➤ La viticulture suisse traverse une mauvaise passe, baisse de la consommation et hausse des importations obligent. Si ça va mal partout, les Genevois l’expriment peut-être avec plus de vigueur. Il est vrai que le contexte leur est moins favorable: la part de vin en vrac est non négligeable chez nous, et le tourisme d’achat pèse probablement plus à Genève. Pour ce qui est des quotas d’importation de vins étrangers, il me semble évident qu’il faut faire bouger les lignes, mais c’est là la responsabilité de la Confédération. À notre échelle, nous avons accompagné certaines résolutions ou interpellations destinées à Berne. Une nouvelle campagne de promotion vient par ailleurs d’être lancée. Enfin, nous ne pouvons qu’inciter la profession à faire davantage preuve d’unité au niveau national.

À peine 15 kilomètres séparent une exploitation agricole du centre-ville de Genève. Les produits locaux peinent pourtant à se faire une place dans les assiettes des consommateurs…
➤ En effet. L’accessibilité physique des produits du terroir est un point à améliorer. Il faut savoir que 30% des citadins genevois ne quittent pas la ville de toute l’année. C’est en aménageant des filières de proximité qu’on atteindra ces consommateurs. Raison pour laquelle nous contribuons actuellement à un projet de «points relais agricoles en zone urbaine», afin d’encourager non seulement la diversification de la production, mais aussi des formes de commercialisation. La diffusion des produits genevois passe également par l’élargissement du label Genève Région Terre d’Avenir (GRTA): la gamme n’a cessé de se diversifier grâce aux innovations des familles paysannes et des transformateurs. Les éleveurs genevois planchent actuellement sur la construction d’un nouvel abattoir afin de relocaliser au mieux cette filière. Mais Genève possède encore un taux d’autoapprovisionnement trop faible: la moitié de la production agricole cantonale est aujourd’hui exportée!

Genève a fait œuvre de pionnier il y a quinze ans en votant une loi pour la promotion de l’agriculture régionale. La création du label GRTA n’a cependant pas pu enrayer la disparition des exploitations. Était-ce finalement une stratégie pertinente?
➤ Oui, j’en suis totalement convaincue. Prenons l’exemple de la production de lait de centrale. Aujourd’hui, il n’y a plus que quatre fermes laitières dans le canton. Mais existeraient-elles encore s’il n’y avait pas eu le projet de brique rémunérant le producteur 1 franc par litre de lait, mené, entre autres par les Laiteries réunies genevoises? Autre exemple, celui des céréales bios: leur prix est à Genève le meilleur de Suisse! Si on a réussi à maintenir le thème de l’équité des prix au cœur des négociations et donc à agir sur le revenu agricole, c’est justement grâce à ces projets de filières locales! Quant aux disparitions de domaines, il y en a certes eu, comme partout, mais nous avons aussi pu observer la création de nouvelles exploitations. Il n’y a qu’à voir le phénomène émergent de fermes urbaines.

Mais n’est-ce pas utopique de penser que ces fermes vont pouvoir alimenter des quartiers entiers?
➤ Je les considère plutôt comme des outils pour promouvoir la production agricole genevoise et sensibiliser les consommateurs. La ferme de Budé, par exemple, permet aux exploitations agricoles situées en périphérie d’exister en centre-ville. Preuve que les deux modèles – ferme urbaine et traditionnelle – sont complémentaires.

L’accès à la terre reste un problème pour de nombreux néo-paysans qui aimeraient pouvoir s’installer. Défendez-vous la proposition du programme Politique agricole 22+ d’assouplir le droit foncier rural?
➤ C’est une nécessité. On doit laisser émerger de nouveaux modèles de production et d’organisation, qui viennent dynamiser l’agriculture traditionnelle. Par contre, il faut mettre des garde-fous à cet assouplissement, afin d’éviter l’arrivée d’investisseurs mus uniquement par l’appât du gain! Je pense en outre que le modèle collectif a un avenir et peut répondre aux aspirations de la nouvelle génération d’agriculteurs, qui cherchent davantage de flexibilité dans leur travail, quitte à partager les responsabilités.

Il est souvent question de consacrer davantage d’espace à la nature et d’améliorer la biodiversité dans le canton. Faut-il en déduire que l’agriculture genevoise n’en fait pas assez dans ce domaine?
➤ Absolument pas. Le canton de Genève a été pionnier dans la mise en place de réseaux agroécologiques depuis 1995. Certaines espèces d’oiseaux, de papillons et d’insectes se portent ainsi mieux ici qu’ailleurs en Suisse. Près de 15% des surfaces agricoles genevoises sont désormais inscrites à la promotion de la biodiversité, c’est plus du double de ce qui est exigé par Berne! Nous avons prouvé par divers exemples, comme la renaturation de la Seymaz, qu’une sanctuarisation de la nature n’est pas indispensable pour la protéger, mais qu’il y a des synergies entre espaces sauvages et cultivés. La preuve encore avec le projet naissant d’agroforesterie, auquel Genève prend activement part. C’est un parfait exemple qui permet de concilier production de denrées alimentaires et protection des ressources naturelles!

De plus en plus de producteurs dénoncent l’agribashing dont ils font l’objet et vivent parfois mal le fait que leurs méthodes de travail – notamment le recours aux produits phytosanitaires – soient remises en question. Les agriculteurs n’auraient-ils pas besoin d’être davantage soutenus dans un canton urbain comme Genève?
➤ Bien sûr. Mais le défi est de taille, car les gens ne sont pas ici aussi attachés à leur agriculture que dans d’autres cantons. Concernant les initiatives de novembre prochain, elles seront d’autant plus préoccupantes si les accords de libre-échange avec le Mercosur ou d’autres pays sont ratifiés. Ces injonctions paradoxales – augmenter les exigences de production et accroître la concurrence avec les produits importés – peuvent porter un coup fatal à notre agriculture! De leur côté, les paysans ne doivent pas craindre les citadins, mais rester ouverts au dialogue. Je les conjure de ne pas se refermer sur eux-mêmes et surtout de ne pas se décourager.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Guillaume Mégevand

bio express

Née en 1973 à Genève, Valentina Hemmeler Maïga est titulaire d’un diplôme d’agronome de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Après avoir travaillé pour AgriGenève et Agridea, elle a occupé durant onze ans le poste de secrétaire générale d’Uniterre. Elle a rejoint l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature en 2017, en tant qu’adjointe scientifique, avant de reprendre la direction de l’office à l’automne 2019.

En chiffres

L’agriculture genevoise, c’est:

  • 386 exploitations, dont 250 touchant les paiements directs.
  • 8473 hectares de surface agricole utile (zones franches exclues).
  • 38 exploitations labellisées Bourgeon, exploitant 1275 hectares.
  • 80 hectares de cultures fruitières.
  • 250 hectares de cultures maraîchères en plein champ et sous serre; 32 exploitations maraîchères.
  • 220 viticulteurs, dont 90 encaveurs, pour un vignoble cantonal de 1287 hectares.
  • 23 hectares de surface horticole dont 16 sous abri.
    + d’infos www.ge.ch