Tremblements de terre
La Suisse se dote d’un réseau de mesures sismiques unique au monde

L’année s’annonce chargée pour le Service sismologique suisse: les chercheurs installent des dizaines de stations de mesure pour mieux étudier les tremblements de terre. Nous les avons suivis sur le terrain.

La Suisse se dote d’un réseau de mesures sismiques unique au monde

La barrière qui bloque l’accès à la piste se lève à l’approche de la camionnette frappée du sigle de l’ETHZ, l’École polytechnique fédérale de Zurich. Le véhicule roule sur le tarmac, contourne un ­avion et s’immobilise sur une parcelle herbeuse. Aujourd’hui, les chercheurs du Service sismologique suisse sont en mission sur l’aérodrome des Éplatures, à La Chaux-de-Fonds (NE). Des sorties qui font désormais partie de la routine pour ces scientifiques basés à Zurich: ils sont en plein développement du nouveau réseau accélérométrique suisse. Leur objectif? Installer cent stations permanentes de mesure des séismes d’ici à 2019, soit le réseau le plus dense du monde. Clotaire Michel est l’un des trois sismologues qui collaborent pour mener à bien cette mission ambitieuse.
À ce jour, la moitié des stations sont en place. C’est le cas de celle des Éplatures, installée voilà quelques semaines. L’accéléromètre, un capteur de force ancré dans le sol par des tiges métalliques pour en mesurer le moindre mouvement, est caché sous un couvercle métallique. Mais le travail n’est pas fini pour les chercheurs: après la mise en fonction de chaque station, les sismologues effectuent des mesures pour mieux connaître le sous-sol du site et interpréter plus précisément les futurs résultats.

Travail de précision
«Nous allons commencer par installer les capteurs les plus éloignés, indique Clotaire Michel en tendant son plan aux deux étudiants venus l’assister. Ils sont à quelques centaines de mètres.» Les seize capteurs doivent être placés selon un schéma bien précis autour de la station de mesure. Arrivé au premier point désigné, Simon Rouwendaal se met au travail. L’étudiant néerlandais prête régulièrement main-forte à Clotaire Michel. «Parce que ça m’intéresse, mais aussi pour découvrir la Suisse. On se déplace dans tout le pays, au rythme d’une nouvelle station installée par mois.»
Le sol gelé ne facilite pas la tâche du jeune scientifique: lorsqu’il parvient à dégager un carré plan de 40 centimètres de côté, il est en sueur. «Le capteur doit être en contact direct avec la terre, explique-t-il. Si on le pose sur l’herbe, il n’enregistrera pas bien les mouvements du sol.» Il cale le trépied puis sort l’appareil de mesure de sa mallette: un cylindre métallique bleu, relié par un long câble à un ordinateur, qui enregistrera durant trois heures la moindre vibration du terrain. Lorsque Simon Rouwendaal enclenche l’appareil, une petite lumière indique le début de l’enregistrement des mesures. Il ne reste plus qu’à enregistrer la position exacte du senseur au moyen d’un GPS. Une perche munie d’un récepteur à la main, Simon Rouwendaal doit rester parfaitement immobile durant dix secondes. «C’est fait. Au suivant!»

On entend clapoter les vagues
Une heure passe, puis une autre. Autour de la piste de décollage, les prés sont parsemés de taches bleues. Il ne reste plus qu’une poignée de capteurs à mettre en place. Clotaire Michel vérifie sur sa boussole le positionnement de l’un des appareils. «Nous devons être précis, explique-t-il. Ce qui est important, c’est la distance qui les sépare. Je les ai disposés de sorte que nous obtenions des intervalles différents, afin de comparer la vitesse de transmission des ondes dans le sol.» Le but de l’opération est de connaître la rapidité avec laquelle les vibrations se déplacent sous nos pieds. C’est le meilleur moyen de savoir de quoi est composé le sous-sol. En moyenne, une onde sismique progresse à la vitesse d’un kilomètre par seconde. Mais que peut-on mesurer alors qu’aucun séisme n’a été signalé? «Nous n’avons pas besoin d’attendre un gros tremblement de terre. Le sol vibre en permanence. Il y a des causes humaines, comme le trafic routier ou une activité industrielle, mais aussi des sources naturelles: on perçoit toutes les cinq secondes environ une onde provoquée par les vagues dans l’océan Atlantique.» Capter le ressac océanique dans le canton de Neuchâtel, voilà qui donne une idée de la sensibilité des appareils de sismologie!

Des résultats concrets
La vitesse de déplacement des ondes en apprend beaucoup aux chercheurs sur la rigidité du sol: «La Chaux-de-Fonds est située sur une plaine alluvionnaire, souligne Clotaire Michel. Il faut imaginer un tapis de 100 mètres de sédiments, plutôt meuble, déposé sur de la roche du Jura.» L’information est loin d’être anecdotique: un sol sédimentaire peut multiplier par dix l’amplitude d’un séisme. Et parce qu’on préfère construire en plaine que sur les reliefs, la plupart des villes suisses sont érigées sur des sols de ce type. Les événements de grande ampleur sont rares (voir l’encadré ci-dessous), mais le nouveau réseau de capteurs permettra d’enregistrer même de plus petits séismes, qui sont autant d’indicateurs sur le comportement du sous-sol. Avec pour finalité d’établir ce que les spécialistes appellent l’aléa: «L’aléa, c’est l’amplitude des mouvements du sol auxquels on peut s’attendre dans une zone donnée. Placez l’aléa en regard des infrastructures locales et vous obtenez un facteur de risque.» Cette analyse ne concerne pas que les scientifiques: l’aléa sismique est un composant central de la législation sur les constructions. Le canton du Valais, en particulier, contrôle de près le respect des normes destinées à favoriser la résistance des bâtiments aux secousses. Le réseau accélérométrique permettra également de déclencher une alerte sismique: «En cas de tremblement de terre, on pourra évaluer immédiatement son amplitude et les dégâts potentiels, relève Clotaire Michel. Mais aussi identifier l’épicentre et déterminer un ordre de priorité pour l’intervention.» Sans oublier la possibilité de réaliser des simulations sur ordinateur qui permettront notamment d’entraîner le schéma de réaction en cas d’alerte.
Les trois heures consacrées aux mesures sont terminées. C’est le moment de remballer les capteurs et de reprendre la route de Zurich. Une station après l’autre, les sismologues poursuivent leur quadrillage du territoire. En sachant bien que, malgré ces précautions et ces installations dernier cri, aucun scientifique ne pourra jamais prévoir où et quand se produira le prochain séisme.

+ D’infos www.seismo.ethz.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Le réseau suisse, c’est:

100 stations de mesure qui seront disséminées dans tout le pays. S’y ajoutent une trentaine de stations déjà existantes.
4 d’entre elles sont placées dans des puits forés à 150 mètres de profondeur.
1 station est installée tous les mois en moyenne.
3 sismologues sont chargés du projet.
Quelques dixièmes de secondes: le temps qu’il lui faudra pour détecter un séisme.

Le risque existe aussi pour notre pays

L’an dernier, le Service sismologique suisse a enregistré 800 séismes en Suisse. Rassurez-vous, l’immense majorité de ces événements étaient d’une amplitude très faible: seuls dix à quinze d’entre eux, d’une magnitude supérieure à 2,5, ont pu être ressentis. En comparaison internationale, le risque en Suisse est considéré comme modéré. Le Valais est la région qui présente l’aléa sismique le plus élevé, devant Bâle et les Grisons. D’ailleurs, le plus violent recensé dans notre pays au XXe siècle a eu lieu à Sierre, en 1946.

Malgré les tremblements de terre qui ont endeuillé l’Italie en automne, les sismologues ne constatent aucune recrudescence de ces phénomènes: chaque année, environ 150 séismes d’une magnitude supérieure à 6 ont lieu autour du globe.