Point fort
La Suisse manque de spécialistes pour lutter contre les tiques

Les tiques n’ont jamais autant piqué que ce printemps. Mais, alors qu’il a longtemps été à la pointe au niveau mondial dans la recherche sur ces acariens, notre pays ne compte quasi plus d’experts en la matière.

La Suisse manque de spécialistes pour lutter contre les tiques

S’il en est qui tirent profit de la pandémie actuelle, ce sont bien les tiques. Avec tous ces nouveaux adeptes d’activités en plein air, autant dire qu’elles se régalent. Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), le nombre de consultations en lien avec une piqûre de tique a ainsi plus que doublé à la fin du mois d’avril par rapport à la même période l’an dernier, 32 cas d’encéphalites ont déjà été déclarés et la belle saison ne fait que commencer. Quant à l’application interactive Tiques, qui renseigne  sur la présence de ces parasites et les mesures pour s’en protéger, elle cartonne. «On a reçu jusqu’à 200 observations par jour ces dernières semaines, c’est énorme», relève  son concepteur, Werner Tischhauser.

Inconnues climatiques
Si le printemps précoce et la situation sanitaire particulière ont joué en faveur des tiques, la question de  leurs effectifs se pose: sont-elles en nette augmentation, vu le nombre croissant de piqûres, et si oui, pourquoi? «Les hypothèses sont nombreuses, mais on ne dispose plus de chercheurs pour les vérifier sur le terrain», indique Olivier Péter, un des rares spécialistes suisses de cet acarien, aujourd’hui à la retraite. Un manque d’autant plus regrettable, selon le biologiste valaisan, que notre pays a longtemps été à la pointe et réputé mondialement dans ce domaine. Dans les années 1970, l’Institut de zoologie de Neuchâtel a ainsi été pionnier dans la collecte des tiques et leur élevage en laboratoire, ce qui a permis non seulement de beaucoup mieux connaître leur cycle de vie, leur métabolisme, leurs hôtes et le mode de transmission des maladies, mais aussi d’identifier la bactérie responsable de la borréliose et de développer les premiers tests de diagnostic. Pourtant, depuis deux ans, plus aucun projet de recherche d’envergure nationale n’est mené, les soutiens financiers faisant défaut. «D’autres thèmes, comme la résistance aux antibiotiques ou la lutte contre le moustique tigre, sont actuellement plus porteurs. Pour ce qui est des tiques, la situation sanitaire semble sous contrôle, puisque des traitements et un vaccin existent contre les principales maladies qu’elles transmettent. Mais on sait, notamment par les pays voisins qui les ont identifiées, que  des  espèces venues de l’est ou de la Méditerranée, potentiellement porteuses de nouveaux pathogènes, font leur apparition chez nous. Comment s’en protéger si on ne les étudie plus?», s’inquiète Reto Lienhard, microbiologiste à  Admed, laboratoire de référence pour la borréliose, à La Chaux-de-Fonds (NE).

Cette perte d’expertise préoccupe  également Olivier Péter, bien placé pour mesurer le manque actuel de données: «Il reste énormément d’inconnues, par exemple quant à l’effet du réchauffement climatique sur les tiques. Le fait que leur territoire s’étend en altitude et en latitude – on en trouve désormais jusque sur la côte arctique! – est documenté, mais on ignore à quel point des températures plus élevées pourraient accélérer leur cycle de reproduction. On sait aussi qu’en périodes de sécheresse, elles vont privilégier les zones fraîches et humides, par exemple les bords de lac ou de rivière… exactement comme nous, qui en deviendrons davantage encore les cibles. Ces milieux à risque exigeraient un véritable suivi de terrain pour pouvoir évaluer l’ampleur du problème», plaide le biologiste.

Science participative à l’œuvre
En veille ces dernières années, la recherche en Suisse a de grandes chances d’être réactivée par la médecine vétérinaire. Il n’est pas rare en effet que les animaux domestiques soient porteurs d’espèces peu courantes chez nous, ramenées de voyages à l’étranger, et que de nouvelles maladies fassent ainsi leur apparition. «C’est  le cas avec la fièvre boutonneuse, transmise au chien et à l’homme par une tique vivant sur le pourtour méditerranéen. Le climat suisse lui est pour l’instant peu propice, mais il se réchauffe et elle ne va certainement  pas tarder à s’installer au nord des Alpes», prévient Olivier Péter.

Pour confirmer la présence de tels envahisseurs, des collectes à grande échelle sur le terrain seraient nécessaires. Des analyses longues et coûteuses, qu’aucun laboratoire n’envisage pour l’instant. «Mais il existe une autre source de données sur les tiques: la science participative, note Reto Lienhard. Même si les informations du grand public sont moins fiables que celles issues d’un protocole de recherche, elles permettent de valider certaines tendances et surtout de découvrir de nouveaux spécimens.» L’application développée par l’Institut zurichois de l’environnement et des ressources naturelles (ZHAW) a ici un rôle important à jouer: «Depuis cinq ans qu’elle existe, pas moins de 35‘000 observations ont été enregistrées, se réjouit Werner Tischhauser. Grâce à cela, on est en train de développer un modèle de prévision spatio-temporel des risques. Ce printemps, on avait aussi prévu de lancer une grande campagne de sensibilisation pour qu’on nous signale toute espèce inhabituelle de tiques. Mais c’était avant que le coronavirus ne monopolise  toute l’attention…»

+ D’infos www.zecke-tique-tick.ch/fr

Texte(s): Céline Prior
Photo(s): DR

Virus et bactérie

Sous nos latitudes, les tiques sont surtout actives entre mi-avril et mi-juillet et transmettent à l’homme deux principaux pathogènes: une bactérie (présente chez environ 25% d’entre elles) provoquant la borréliose ou maladie de Lyme, et un virus (moins d’une tique sur 1000 en est porteuse en Romandie) responsable de l’encéphalite verno-estivale. En cas de piqûre, divers moyens permettent de retirer le parasite: brucelles, pince à échardes ou couteau spécialisé.  L’essentiel étant de l’extraire sans l’incliner ni l’écraser et en évitant d’utiliser de l’huile, de la cire ou du dissolvant.

Questions à...

Yann Hulmann, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique

  • Les maladies transmises par les tiques sont-elles considérées comme un problème sanitaire important en Suisse?
    Oui. On compte entre 6000 et 18 000 cas de borréliose par an – chiffre extrapolé sur la base des données Sentinella – et entre 150 et 370 méningo-encéphalites à tiques, des pathologies qui peuvent avoir des conséquences neurologiques graves. Si l’on peut soigner la borréliose ou la tularémie par antibiotiques, il n’y a en revanche pas de traitement contre le virus de l’encéphalite.
  • Quels sont les moyens préconisés par l’OFSP pour limiter les cas?
    La vaccination est largement recommandée, mais elle ne protège pas contre les maladies dues aux bactéries. C’est pourquoi nous misons surtout sur la prévention, en informant la population des dangers liés aux tiques et de la marche à suivre en cas de piqûre.
  • Des mesures sont-elles prises pour identifier et traiter de nouveaux pathogènes?
    L’OFSP mandate pour cela le Centre national de référence pour les maladies transmises par les tiques, à Spiez (BE). Le diagnostic et la surveillance de pathologies émergentes font notamment partie de ses missions.

+ D’infos www.bag.admin.ch; www.labor-spiez.ch