Interview
«La Suisse est une nation phare de l’élevage et de la sélection bovine»

Alors que Swiss Expo vient d’ouvrir ses portes à Lausanne, le Vaudois Pascal Henchoz, qui officiera comme juge pour le concours holstein, se confie à Terre&Nature.

«La Suisse est une nation phare de l’élevage et de la sélection bovine»

Swiss Expo se profile comme l’une des meilleures expositions d’Europe, voire du monde, comment se prépare-t-on, en tant que juge, à un tel rendez-vous?
➤ Depuis plusieurs semaines, je répète mes «gammes. Quand je suis seul, au moment de traire par exemple, j’entraîne mes gestes et ma parole, comme si une catégorie passait devant moi. C’est un exercice dont j’ai l’habitude, mais il faut reconnaître qu’il y a une pression supplémentaire cette fois! Dans la carrière d’un juge, Swiss Expo est en effet une véritable apothéose. Il n’y a que Madison ou Toronto qui soient au-dessus de Lausanne! Je m’apprête donc à vivre un rêve: juger le concours holstein représente un sommet de ma carrière.

Comment résister à la pression face à des éleveurs qui ont fait des milliers de kilomètres pour venir présenter leurs vaches à Lausanne et… gagner?
➤ Je me mets dans une bulle. Quand je suis sur le ring et que je regarde une bête, j’oublie qui la mène, d’où elle vient, son pedigree. Je me laisse uniquement imprégner, sans a priori, par ce qu’elle dégage à ce moment-là. Cette année, il y aura beaucoup de vaches avec d’excellents précédents européens. Elles sont toutes prétendantes au titre de grande championne. Je mettrai en vedette celle qui sera dans un grand jour.

Vous allez voir défiler plus de 400 génisses et vaches holsteins sur le ring ce samedi, pendant près de douze heures. Comment faire preuve de suffisamment de lucidité pour choisir, après un tel marathon, la grande championne?
➤ C’est un exercice qui demande une concentration hors du commun. Ces dernières semaines, j’ai levé le pied à la ferme et pris du temps pour me reposer afin d’être en parfaite forme le moment venu. Voilà plus de quinze ans que je pratique ce métier de juge: avec le temps et l’expérience, j’ai appris à gérer la pression et la fatigue. Nous sommes un peu comme des sportifs poussés par l’adrénaline. Voir défiler ces belles vaches a quelque chose d’exaltant. On ne voit pas le temps passer. Mais il faut de l’organisation: entre chaque classe, je n’ai que quelques secondes pour me réhydrater!

Vous avez régulièrement jugé hors des frontières suisses ces dernières années. Comment a évolué le niveau des expositions helvétiques et internationales?
➤ En quinze ans, le niveau a progressé de façon considérable. Une grande championne des années 2000 serait à l’arrière de la classe aujourd’hui! Auparavant, il fallait faire des compromis sur le ring: une vache était soit très grande, soit très profonde, soit très laitière, mais elle n’avait qu’un seul point fort. Désormais, les bêtes qu’on voit défiler à Swiss Expo n’ont plus de gros défauts et beaucoup plus équilibrées. Le juge n’a plus à faire de compromis. Son travail consiste à détecter certains petits détails pour départager les animaux. C’est d’ailleurs ça qui est passionnant.

Où se situent les éleveurs suisses en comparaison internationale?
➤ Lors des confrontations européennes de 1996, 2000 et même 2004, la holstein suisse accusait un certain retard. Mais force est de constater que nous rivalisons désormais avec des pays qui affichent 2 millions de vaches au herd-book! L’une des explications tient au fait que nous sommes un pays où l’élevage est une tradition et où la proportion d’éleveurs parmi les détenteurs de bétail laitier reste plus élevée qu’ailleurs. C’est un atout à conserver précieusement, même si la tendance est à l’agrandissement des troupeaux. Il est en effet difficile de faire de l’élevage de pointe dans une écurie qui compte toujours plus de têtes de bétail. On avance donc moins vite en termes de sélection. Cette montée en puissance de l’élevage suisse sur le plan international s’explique aussi par ce que j’appelle l’«effet Bretagne». La victoire de cette vache fribourgeoise à la confrontation européenne de 2006 a permis à beaucoup d’éleveurs de prendre confiance en eux et à la branche holstein d’affirmer son excellent niveau. La Suisse est désormais une nation phare en termes d’élevage et de sélection génétique.

Cela a-t-il une incidence positive pour un producteur de lait lambda qui doit gagner sa vie dans un contexte économique morose? Les objectifs d’élevage de ce dernier ne sont-ils pas aux antipodes de ceux d’un éleveur de vaches d’élite?
➤ L’exposition s’est professionnalisée, certes, et il est effectivement plus compliqué d’obtenir un résultat lors d’une expo du niveau de Lausanne. Mais je ne peux pas laisser dire que la vache d’expo n’est pas capable d’aller pâturer et de produire du lait de façon économique. C’est parfaitement faux! Prenez Irene, des frères Schrago, à Middes (FR), par exemple: elle a été deux fois championne d’Europe, et ça ne l’empêche pas de vêler et de continuer à produire! Autre exemple, dans ma propre étable: Solene, qui a une belle carrière sur les rings, est aujourd’hui la vache la plus âgée de mon troupeau, avec plus de 100 000 kg de lait au compteur. Les vaches d’expo sont jugées selon des critères de classification traditionnels – le format, la mamelle, la croupe, les membres – qui se basent sur des performances avant tout techniques et économiques!

Comment réagissez-vous à l’introduction de nouveaux contrôles lors des expositions bovines?
➤ Il y a eu, par le passé, des abus. Nous avons réglé ces problèmes avec les juges, les vétérinaires et les organisateurs d’expositions. Mais il n’y a pas autant de tricheurs parmi les exposants que ce que l’on peut entendre. Quant aux accusations de maltraitance, elles sont tout simplement calomnieuses et proviennent de personnes qui ne connaissent pas ou mal l’élevage. Tout ce raffut cause du tort à tous les éleveurs! Désormais, si une vache décroche un flot à Bulle ou à Lausanne, on ne va plus considérer son propriétaire comme une célébrité, mais le traiter de tricheur. Cette stigmatisation est vraiment regrettable.

D’aucuns reprochent à l’exposition de ne plus être compatible avec les souhaits de la société et du monde agricole lui-même. Pensez-vous que ce genre de manifestations existera encore sous cette forme dans quinze ans?
➤ Oui, je le pense et le souhaite vivement! L’exposition est une vitrine, un atout pour l’agriculture suisse qui peut ainsi exporter sa génétique, ce dont profitent de nombreux éleveurs. Elle est l’affaire de passionnés, qui aiment leur bétail. On a tort de dénigrer ces gens très pointus qui font aussi avancer la génétique utilisée par la suite par tous les détenteurs de bétail laitier.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Thierry Porchet

Bio express

Âgé de 43 ans, Pascal Henchoz exploite en association avec Yves Collet un domaine d’une centaine d’hectares à Essertines-sur-Yverdon (VD). Il coule le lait de ses 70 holsteins à la fromagerie du Gros-de-Vaud, à Vuarrens. Marié à Véronique, père de quatre filles, il a représenté notre pays dans des confrontations européennes et remporté de nombreux titres en Suisse. Il est juge agréé depuis 2002, activité qu’il exerce lors de concours principalement en Suisse, mais aussi en France et en Belgique.

Bon à savoir

Un millier de vaches et génisses de huit races laitières différentes, 400 éleveurs, huit nations représentées, plus de 20 000 visiteurs attendus: les chiffres de Swiss Expo n’en finissent plus de donner le tournis. En vingt-trois ans, la petite expo née sur un parking de La Chaux-de-Fonds (NE) est devenue un événement incontournable dans le monde de l’élevage et de la génétique laitière. Au point d’être désignée première exposition européenne et troisième mondiale en termes de qualité par la revue Holstein International. Cette année, le règlement de l’exposition a été revu. Une commission contrôlera ainsi chaque vache avant son entrée sur le ring et décidera sur la base de critères visuels (santé générale et bien-être) si l’animal peut être classé ou non.
+ d’infos www.swiss-expo.com