Reportage
La sécheresse de 2018 va marquer durablement la vie des cours d’eau

Dur, dur d’être une truite cette année: les lits des rivières du pays sont désespérément secs. L’absence de pluie complique la vie des poissons, mais aussi de leur garde-manger, composé d’insectes et de petits crustacés.

La sécheresse de 2018 va marquer durablement la vie des cours d’eau

Ce devait être une nouvelle frayère pour les truites farios du canton de Genève. Près de 400 mètres de cours d’eau renaturés, de nouveaux méandres, de petites chutes d’eau et des berges consolidées avec des saules tressés. Voilà des années que le directeur du Service genevois du lac, de la renaturation des cours d’eau et de la pêche (SLRP), Alexandre Wisard, attendait l’inauguration de ce tronçon. Mais cet été, le lit du ruisseau de Pralie, non loin de Dardagny (GE), est resté désespérément sec, comme celui de nombreuses rivières du pays. Pas une truite à l’horizon, ni aucun autre poisson d’ailleurs. Faute de pluie – le déficit est de l’ordre de 50% –, les nouveaux aménagements n’ont pas pu bénéficier à la faune. «On n’avait pas prévu que l’on nous couperait l’eau, se désole-t-il. Jusqu’en mai, il y en avait beaucoup ici, à tel point que ce ruisseau n’arrivait plus à se déverser dans l’Allondon, en contrebas.» Mais depuis, il n’a pas plu, il s’est tari, au grand dam d’Alexandre Wisard, au chevet des cours d’eau genevois depuis plus de vingt ans. Jamais le débit de l’Allondon n’avait été aussi faible. Ce sont à peine 196 litres d’eau par seconde qui s’écoulaient dans cet affluent du Rhône le 16 octobre dernier, presque 100 litres de moins que lors de la sécheresse record de 2003. C’est dire l’étendue des dégâts. «Je pense que 2018 va marquer un tournant. Les rivières mettront des années à se remettre de cette sécheresse et des canicules précédentes, estime-t-il. Cela fait maintenant quatre ans consécutifs que les températures grimpent au-delà des 30 degrés pendant plusieurs jours en été, les cours d’eau n’ont plus le temps de se régénérer.»

Frappés par une maladie fatale
En amont, une gouille apparaît dans le ruisseau de Pralie, et Alexandre Wisard s’en réjouit. C’est un signe de vie. L’eau y coule au compte-gouttes, ce mince filet n’arrivera jamais jusqu’à l’Allondon situé non loin de là, profond de quelques centimètres seulement. À se demander où sont passés les poissons. «L’année 2018 est très dure pour eux», confirme-t-il. Quand ils ne sont pas devenus des cibles faciles pour les oiseaux piscivores, ils ont été frappés par un mal incurable, la maladie rénale proliférative. «Elle se développe dès que la température de l’eau dépasse les 15 degrés pendant plusieurs jours, limite qui a été largement dépassée cet été, note Alexandre Wisard. Cette maladie est fatale pour la majorité des jeunes salmonidés. De nombreux cas ont été constatés.»

La macrofaune en danger
Les poissons ne sont pas les seuls à souffrir du manque d’eau chronique. La macrofaune, c’est-à-dire les minicrustacés, mollusques, vers et insectes aquatiques, a quasiment disparu des petits cours d’eau, dont le lit est à l’air libre depuis des mois. Leur disparition, passée incognito, pourrait avoir de grandes répercussions l’an prochain. Car ces microorganismes servent de nourriture aux poissons, qui en mangent une quantité considérable. «Les larves vivent dans l’eau, se transforment en insectes qui se reproduisent sur la terre ferme puis pondent dans le ruisseau, détaille Alexandre Wisard. La macrofaune revient coloniser les ruisseaux généralement depuis l’aval, mais ça prend du temps. Elle est nécessaire à la survie des poissons.» Lorsque l’on retourne une pierre, de petits insectes, des survivants, filent à toute allure se cacher sous le caillou d’à côté. «Quand cette macrofaune est diversifiée, cela prouve qu’une rivière est en bonne santé. Or, à Genève, de nombreux cours d’eau sont à sec, continue Alexandre Wisard. On dit toujours que si la colonne vertébrale – la rivière principale – et son squelette, donc ses affluents qui sont de véritables bibliothèques de faune, vont bien, tout va bien. Ce n’est pas le cas.»

Chamboulement au programme
Les pêcheurs se préparent d’ailleurs à changer leurs habitudes. Les salmonidés, comme les truites farios et les ombres de rivière, se font de plus en plus rares sur le Plateau. Le phénomène devrait s’amplifier: ayant dû lutter pour leur survie au lieu de se requinquer pour le frai, les géniteurs sont déjà faibles. D’ordinaire, 30% d’entre eux décèdent lors de la saison des amours. Cet hiver, l’hécatombe pourrait être encore plus grande. Et procéder à des repeuplements de rivières au printemps – une pratique décriée par certains – n’est pas la solution, notamment à cause de l’absence de macrofaune. «Peut-être que l’on devra abandonner l’idée de pêcher des salmonidés en plaine, commente Maxime Prevedello, membre de la Fédération suisse des pêcheurs. C’est un constat d’échec de la politique de renaturation de ces quarante dernières années. On vivra sûrement un bouleversement d’ici à 2030, avec la fin de la pêche de poissons sauvages. Elle sera peut-être remplacée par des lâchers de truites arc-en-ciel par exemple, ce qui serait une solution, certes artificielle.» De nombreux pêcheurs, à Genève notamment, ont d’ores et déjà choisi de se livrer à leu

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Olivier Evard

Les poissons se sont mis en mode survie

Si les chevennes, les vairons et les chabots n’ont pas trop souffert du chaud, les salmonidés, comme les truites farios (photo) ou les ombres de rivière, ont payé un large tribut. Barbotant dans de moins en moins d’eau, ils ont développé plusieurs techniques pour survivre, comme la fuite dans les gros affluents, plus frais et surtout mieux oxygénés. Parfois, cette recherche les a menés jusque dans les lacs. Mais certains n’ont pas eu le temps de réagir et ont été piégés dans des flaques peu profondes. «Pour survivre, les truites se posent sur le lit de la rivière et ne bougent plus, note Alexandre Wisard. Elles ne s’alimentent plus, se contentant de s’oxygéner.» En septembre, le Service de la pêche genevois et les pêcheurs ont effectué une pêche électrique dans la Drize. «Nous avons pu sauver 650 truites, conclut Alexandre Wisard. Certaines étaient maigres et n’auraient pas survécu quelques jours de plus dans dix centimètres d’eau.»

Attention à la pollution!

Les autorités craignent aujourd’hui la pollution des cours d’eau. «Comme les débits sont faibles, le moindre rejet polluant pourrait avoir de graves conséquences», estime Frédéric Hofmann, chef de la Section chasse, pêche et surveillance du canton de Vaud. Les propriétaires de piscines doivent notamment être vigilants. «Cette eau, chlorée, ainsi que celle utilisée pour nettoyer les bassins, doit être versée dans le collecteur des eaux usées et non dans les rivières», souligne le directeur du Service de renaturation des cours d’eau à Genève, Alexandre Wisard.