Arboriculture
La production d’abricots bios oscille entre embûches et espoirs

Stéphane Dessimoz est un pionnier du bio en Valais, qu’il a démarré en 1992 avec les pommes. Il y a dix ans, il a poursuivi sa démarche en se lançant dans les abricots. Avec un succès en demi-teinte.

La production d’abricots bios oscille entre embûches et espoirs

«Il y a trente ans, quand je me suis lancé dans le bio, on m’a pris pour un farfelu», sourit Stéphane Dessimoz dans le verger du Domaine d’Uvrier, à deux pas de Conthey (VS). C’était en 1992 et le producteur avait alors converti une dizaine d’hectares de ses pommiers en culture biologique, «comme ça, pour se faire la main», se souvient-il. Aujourd’hui, si ce précurseur a été rejoint dans sa démarche par de nombreux collègues dans la production de pommes et de poires notamment, il continue à faire figure d’exception sur le marché de l’abricot bio. «En Valais, sur 710 hectares d’abricotiers, seule une quinzaine est actuellement cultivée ainsi. Cela ne représente que trois ou quatre producteurs dans le canton. Pourtant l’espoir est là avec quelques nouveaux qui se lancent et sont actuellement en reconversion bio», précise Danilo Christen, responsable du groupe Production fruitière en région alpine de l’Agroscope de Conthey.

Année 2019 catastrophique

Il faut dire que le fruit emblématique valaisan est du genre délicat. En cause, la moniliose, un champignon destructeur qui attaque le pistil de la fleur et peut décimer jusqu’à une branche entière. Résultat: l’année dernière, Biofruits, la société dans laquelle Stéphane Dessimoz œuvre comme responsable de production, n’a pas été en mesure de livrer les abricots promis à la grande distribution, son principal client. Le millésime 2020 s’annonce heureusement plus prometteur, même si la récolte restera très loin des chiffres de la culture conventionnelle. «Un arbre en production intégrée donne entre 2 et 3 kg au mètre carré. En bio, la récolte se situe plutôt autour de 0,5 kg», relève Stéphane Dessimoz. Les remèdes naturels contre la moniliose sont à la fois limités et peu performants. «Il y a les traitements au cuivre ou au soufre et les produits à base de bicarbonate de potassium. Certains collègues utilisent aussi des huiles essentielles d’origan. Avec des résultats aléatoires», nuance le producteur.

Avancées génétiques

L’espoir de rendements meilleurs réside donc avant tout dans la recherche génétique. «Notre démarche consiste à infecter des arbres avec la moniliose afin d’observer les variétés qui s’en sortent le mieux, puis de les recroiser avec d’autres variétés internationales résistantes pour espérer, à terme, engendrer des enfants superrésistants à la maladie», détaille Danilo Christen. Pour l’heure, deux variétés indigènes ont fait leurs preuves, elsa et mia, lancées en Suisse en 2018. Un travail de longue haleine assuré presque exclusivement par les instituts publics, au grand regret du chercheur de l’Agroscope. «Les programmes privés d’amélioration génétique des abricots sont peu nombreux. À peine une vingtaine dans le monde. Bien loin des recherches menées sur la pomme, par exemple. D’autant que ces programmes privés se concentrent avant tout sur la qualité et la productivité des fruits, mais ne s’occupent guère des résistances aux maladies. Il y aurait davantage d’émulation si les privés s’y mettaient en plus grand nombre.» L’autre vulnérabilité de l’abricot bio est la maladie criblée, un champignon qui boursoufle et craquelle le fruit. «Certains arbres sont également victimes d’enroulement chlorotique, une infection causée par un phytoplasme qui les déphase complètement. Ils se mettent soudain à pousser au mois de février et ramassent le gel juste après», explique Stéphane Dessimoz.

Enfin, depuis quelque temps, l’abricot valaisan a également vu débarquer un nouvel ennemi: la cochenille farineuse, aperçue dans quelques vergers de Riddes et de Saxon. Un parasite déjà difficile à éliminer en production intégrée avec des insecticides mais qui, là encore, donne du fil à retordre aux cultivateurs bios. «Pour l’heure, rien d’efficace ne fonctionne. Nous sommes en train de travailler sur des parasitoïdes, soit l’intervention d’insectes bénéfiques destinés à manger les œufs des ravageurs problématiques, indique Danilo Christen. Mais aucun n’a encore été trouvé qui a fait ses preuves.» Il en existe bien à l’étranger, mais les chercheurs se heurtent à des restrictions législatives, l’Office fédéral de l’environnement n’autorisant pas l’importation de parasitoïdes étrangers.

Une culture loin d’être rentable

Autant d’embûches qui ne permettent pas, pour l’heure, à Stéphane Dessimoz de gagner sa vie avec ses abricots. Pas de quoi décourager le producteur pour autant. «Quand j’ai démarré avec les abricotiers bios, c’était avant tout pour répondre à une demande des consommateurs. Chez Biofruits, la saison commence dans les premiers jours d’avril avec les asperges blanches et vertes, puis nous enchaînons avec les fraises. Il y avait un trou jusqu’aux premières pommes et poires. L’abricot était aussi un moyen de le combler afin de compléter notre assortiment.» Et de poursuivre un idéal démarré il y a trente ans, celui de «cultiver en respectant la terre».

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Agroscope Carole Parodi/nicola-cutti

Questions à Danilo Christen, responsable du groupe Production fruitière en région alpine à l’Agroscope de Conthey (VS)

En quoi les variétés d’abricots elsa et mia sont-elles prometteuses pour la culture bio?

D’abord parce qu’elles sont tolérantes à la moniliose sur fleurs, qui est
le problème majeur de l’abricot bio. J’insiste sur le terme de «tolérance», différent de la «résistance». Elsa et mia ne résistent pas à la moniliose, mais la tolèrent relativement bien. Ensuite, parce que nous les utilisons déjà comme géniteurs pour d’autres croisements. Nous voyons naître aujourd’hui les enfants d’elsa et mia avec d’autres variétés également tolérantes à cette maladie, afin d’améliorer encore un peu plus cette tolérance. C’est un processus qui ne s’arrête jamais.

Peut-on déjà les goûter?

Oui, mais la récolte est minime, parce qu’il n’existe pour l’heure qu’un hectare de chaque variété en production. Cette saison, il y a eu une dizaine de tonnes de chacune à disposition. Nous les avons mises en essai chez certains producteurs, mais le consommateur ne le sait pas, car les abricots ne sont pas commercialisés sous le nom de leur variété, contrairement aux pommes ou aux poires. On parle d’abricot du Valais, c’est tout.