Point fort
La pluie apporte un soulagement bienvenu, mais insuffisant

Les précipitations de ces derniers jours ont partiellement comblé le niveau des lacs et rivières de Suisse. Toutefois à l’orée de l’hiver, elles ne suffiront pas pour compenser l’important déficit des eaux souterraines.

La pluie apporte un soulagement bienvenu, mais insuffisant

«À conditions exceptionnelles, mesures exceptionnelles, titre le Syndicat des eaux des Franches-Montagnes dans un récent communiqué. Il faudra plusieurs semaines de précipitations pour que nappes et sources retrouvent des niveaux et des débits normaux, et ce, espérons-le, avant l’arrivée des grands froids.» En conséquence, on enjoint à chacun de limiter sa consommation d’eau au quotidien. Et les pluies de ces derniers jours ne changeront pas longtemps la donne. «Dans un relief de type karstique comme le Jura, le débit des sources s’améliore lorsqu’il pleut. Par contre, dès que la pluie cesse, il chute à nouveau en quelques jours. L’effet est rapide, mais pas durable», souligne Marc Schürch, de la section bases hydrogéologiques de l’Office fédéral de l’environnement.
Début décembre, la sécheresse fait encore parler d’elle. On craint en effet qu’avec l’arrivée de la neige et du gel, les précipitations hivernales n’atteignent que tardivement les eaux souterraines pour combler le déficit. «Dans le Jura, les restrictions d’utilisation de l’eau se multiplient depuis deux semaines, ce qui est très inhabituel, à cette période de l’année, relève Christophe Badertscher, responsable du domaine Eaux et Environnement de l’Office de l’environnement du canton du Jura. Pour l’instant les recommandations sont suffisantes. Des mesures plus drastiques, comme la surveillance des compteurs, ne sont pas encore nécessaires.» En hiver, l’arrosage est minimal et les piscines sont vides. La marge d’économie se réduit comme peau de chagrin.

Répit sur les lacs et cours d’eau
L’été s’est montré particulièrement sec sur le Plateau, dans les Préalpes et dans la partie est du Jura. Et l’automne a confirmé la tendance, ce qui n’a pas amélioré la situation d’étiage persistante dans laquelle se trouvent la plupart des lacs et rivières de Suisse. Dans le canton de Vaud, Philippe Hohl, chef de la division Ressources en eau et économie hydraulique, constate des débits très faibles qui n’ont jamais été observés fin novembre. En cause, les sécheresses qui se sont multipliées en 2003, 2015 et à l’hiver 2016-2017 et que l’été 2018 n’a fait qu’accentuer. «On part de loin», conclut-il.
Début décembre, la limite des chutes de neige est restée relativement élevée et les précipitations se sont généralisées dans toute la Suisse. «Elles ont permis une augmentation des niveaux des lacs et rivières dans les Préalpes sur le Plateau et dans l’ouest du Jura. Néanmoins, certains plans d’eau comme ceux de Zurich, de Zoug, de Constance et des Trois-Lacs affichent toujours des niveaux nettement inférieurs à la moyenne», lit-on dans le Bulletin hydrologique de l’Office fédéral de l’environnement du lundi 3 décembre.

Déficit des eaux souterraines
La pluie finit d’abord dans les lacs et cours d’eau avant de disparaître dans le sol où se forment les eaux dites souterraines: nappes phréatiques et sources. Bien qu’elles soient abondantes en Suisse (voir l’infographie ci-contre), leurs niveaux demeurent faibles et affichent une tendance générale à la baisse. Elles peuvent donc venir à manquer localement. L’eau potable provenant à 80% de cette ressource, des pénuries peuvent conduire à d’importantes restrictions d’utilisation, comme dans les Franches-Montagnes. Certaines communes ont également dû revoir leur réseau d’approvisionnement devant l’urgence de la situation. «Au niveau des eaux souterraines, la situation n’a pas beaucoup évolué malgré les dernières pluies, indique Marc Schürch. Les aquifères proches de la surface, dans le Seeland, par exemple, ou liés à des rivières ont déjà réagi. Par contre, seules de fortes précipitations prolongées peuvent s’infiltrer suffisamment profondément dans le sol pour reconstituer les réserves et l’effet n’est perceptible qu’à long terme.» Des précipitations sous forme de neige, auraient également pour effet d’immobiliser temporairement l’eau jusqu’au moment de la fonte, au printemps. Pour que l’eau s’immisce en profondeur, il faut également que le sol ne soit pas gelé.
Avec le réchauffement climatique, il est désormais rare que la température du sol reste négative tout l’hiver à basse altitude. Si cette saison est pluvieuse, comme l’hiver dernier, les réserves pourraient en partie être reconstituées. «L’année 2018 est exemplaire dans la mesure où elle correspond à une année future typique avec des étés et des automnes chauds et secs puis des hivers doux et humides», prévient MétéoSuisse. Une tendance qui ne fait que se confirmer depuis une trentaine d’années.

+ D’infos www.hydrodaten.admin.ch, www.meteosuisse.ch

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): Navigation sur le lac des Brenets

Forts contrastes dans les Alpes

La situation sur les versants nord et sud des Alpes varie fortement. Le Tessin a été copieusement arrosé au moins d’octobre, ce qui a même provoqué des crues. C’est le seul endroit de Suisse où le niveau des eaux souterraines et des sources est plus élevé, en comparaison avec d’autres années. En Valais, l’eau provient principalement de la fonte nivale et glaciaire. Or, celle-ci est accentuée par le réchauffement climatique. Après un été et un automne chauds, les niveaux de la nappe et du Rhône sont très hauts.
«C’est valable pour les affluents de la rive gauche jusqu’au verrou de Saint-Maurice, signale Marc Bernard, chef de section protection des eaux. Sur la rive droite, il n’y a plus de glaciers à partir de Salquenen, les enjeux liés au captage des eaux sont donc plus importants pour les communes riveraines. Toutefois, seul le Chablais valaisan a connu quelques restrictions d’eau cette année.» Dans les Préalpes vaudoises et fribourgeoises, la situation est plus alarmante. Il manque toujours 15 à 25 jours de pluie, le déficit étant de l’ordre de 200 à 600 millimètres, selon MétéoSuisse.

Infographie